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Et voilà qu’il était allongé dans ce train crasseux : une balle lui avait traversé la cuisse.

« La bonne blessure, avait dit le chirurgien. Pour ce qui est de galoper, ça prendra son temps, au moins un mois ; on vous expédie à Berlin pour une guérison complète. »

Il n’aurait vraiment pas dû aller sur le champ de bataille ; c’est Bergmann qui était compétent pour diriger les opérations de terrain. Quelle mouche avait bien pu le piquer ? Après le débarquement en Normandie, les actes de sabotage de la Résistance avaient augmenté et elle avait porté des coups sensibles à la logistique allemande, y compris dans le secteur dont il avait la responsabilité. Il fallait compter tous les jours avec des attaques contre des postes de garde, des ponts qui sautaient, des agressions contre des lieux de spectacle et de loisirs. Ajoutons à cela des opérations bien préparées contre des unités allemandes en voie de regroupement, en route vers le nord, vers le front. La Résistance s’enhardissait de plus en plus, le nombre de coups échangés augmentait et les Français devenaient de plus en plus imprudents. C’était le moment d’agir vite et de frapper fort.

Il avait tout réglé à la perfection, recueilli comme toujours toutes les informations, en avait fait la synthèse, avait exploité les écoutes radio, tiré l’essentiel des rapports des indicateurs. Grâce à ce flot de renseignements, d’allusions, de messages codés et d’aveux arrachés, il s’était fait une idée d’ensemble très précise. Il s’agissait d’une importante livraison d’armes des Anglais dans le secteur G/7. Il avait organisé ses unités, mis en place le dispositif, prévu des groupements tactiques d’intervention rapide ainsi que la surveillance des environs comme dans les manuels d’instruction. Tout devait se dérouler sans accroc. Le temps avait manqué pour peaufiner tous les détails, mais il n’y avait pas eu moyen de faire autrement…

Une ferme isolée du Massif central servait de repaire aux résistants. Un terrain facile à surveiller, quoique intelligemment choisi par les défenseurs. Il avait à sa disposition des fascistes français, des miliciens fermement décidés à s’attaquer à leurs propres compatriotes dans la lutte finale contre le bolchevisme. Il avait détaché ses propres groupes de sécurité en vue d’un encerclement d’envergure, y ajoutant tous les hommes qu’il avait pu obtenir. Arrivant par le nord, les miliciens devaient pénétrer sur les lieux en premier, par surprise. Les autres unités s’occuperaient du reste de l’encerclement, dresseraient des barrages sur les routes.

Évidemment, l’affaire avait mal tourné, comme souvent.

Sa place était aux transmissions. À ce poste, son travail consistait à coordonner les mouvements de troupes sur le terrain, les déplacements rapides d’unités. Il était celui qui avait l’œil à tout. Le « Debout, en avant, en avant ! », c’était le métier de Bergmann. Et Bergmann s’était senti mis à l’écart parce que, cette fois, il s’était rendu en personne sur les lieux pour diriger l’opération.

La ferme avait été rapidement cernée. Il faisait clair, une nuit de pleine lune, le terrain était accidenté. Armes au poing, ils traversèrent des champs parsemés de cailloux. Au voisinage de murets de pierres sèches isolés, des buissons de genévriers se détachaient du sol. Une région faite pour des chèvres et des ânes, sèche mais pleine de charme. La douce France. On entendait le chant des cigales et il flottait des odeurs d’herbes qu’il ne connaissait pas. Certaines, suaves, sentaient le savon, Paris, d’autres le moisi, comme chez lui en automne.

— Hans, ça sent la pourriture, ici.

Il rit.

— C’est beau ici.

Merit avait ramé avec lui en direction de l’îlot. Ils étaient allongés sous le saule pleureur. L’eau de la petite rivière clapotait doucement contre la berge qui sentait la vase. Il lui caressa l’avant-bras, elle le repoussa.

— Hans, tu sens la pourriture…

— Tu dis des bêtises.

Un signal rouge avait soudain clignoté dans la nuit. On entendit le crépitement d’une mitrailleuse, suivi d’un tir nourri dévastateur. Il ne savait absolument pas pourquoi il était venu là. Il avait donné l’ordre : « Debout, en avant, en avant ! » Bergmann assistait à tout cela, l’air consterné. Les hommes se précipitèrent en avant, firent feu avec leurs pistolets et les mitrailleuses, installèrent les mortiers dans la pagaille. Plus question de faire des prisonniers. Le vacarme était assourdissant. Des tirs courts et hachés, des lueurs, de sourdes déflagrations.

Tuer à quatre temps.

Merit au piano, So nimm denn meine Hände…

La douleur ne le transperça qu’au moment où sa tête heurta violemment le sol. La guerre était finie pour lui. Apprécier cette fin à tout prix, car ce qui suivrait serait terrible.

3

— Alors comme ça, vous êtes un ami de ce petit bout de femme !

Le vieil homme regardait Haas, l’air cordial ; il sortit sur le seuil et se planta devant lui sur le palier obscur.

Haas opina.

— Une simple connaissance, à vrai dire…

— Oui, elle habite en bas, au deuxième, chez sa tante, la Wachowiak.

Un sourire rusé illumina le visage ridé du vieil homme.

— C’est une de ces demoiselles genre pète-sec, mais au comportement irréprochable envers notre Führer, ajouta-t-il.

Le vieux n’avait pas l’air bien clair, mais il n’était pas tombé sur la tête. Il était seul à habiter ce cinquième étage sous les toits, sans doute une ancienne chambre de bonne. Il voyait le monde d’en haut. Il n’y avait certainement pas de mal à en rajouter un peu :

— Oui, je sais, elle a toujours été une fanatique, une des premières à adhérer à la Ligue des Jeunes Filles allemandes, le petit doigt sur la couture de la jupe. Mais vous semblez très bien la connaître, vous ; elle n’a pas l’air d’avoir changé, hein, cette brave fille ?

— C’est que je les connais, tous ces oiseaux !

Le vieux baissa la voix.

— Vous savez, ici, c’est une maison, comment que je vous dirais ? une maison où tout le monde connaît pas forcément la date exacte de l’anniversaire du Führer.

— Franchement, moi non plus.

Le vieux s’approcha encore.

— C’est ce que je me suis dit tout de suite. À voir votre tête, il semble pas que le brun soye votre couleur préférée.

C’était vraiment un drôle de numéro. Bien trop confiant. Il fallait qu’il prenne garde à ne pas en dire trop, ça pouvait lui coûter la vie.

— Vous savez, poursuivit-il, elle est venue habiter ici il y a quelques mois, son immeuble avait été bombardé. Elle s’est tout de suite débrouillée pour prendre la direction de la défense antiaérienne, parce qu’elle estimait que le collègue Kretschmer, le chef d’îlot, à cause de sa jambe raide, il ne pourrait pas arriver assez vite au grenier pendant les raids aériens. Elle est comme ça. Toujours la première. Mais elle a du cran, la petite, toujours seule dans les combles, armée d’une simple pelle, d’un seau de sable et d’une lance à eau, et ça à chaque alerte, de jour comme de nuit. On peut dire ce qu’on veut, mais finalement, ça surprend qu’un moustique pareil puisse avoir le cuir aussi épais.