Выбрать главу

Il tira une mince chemise de son cartable.

— Bon, alors, on lui a asséné plusieurs coups sur le crâne. Le docteur pense que si elle n’avait pas le crâne aussi dur et qu’elle n’était pas aussi têtue, elle contemplerait toute cette merde depuis un nuage.

Hecke s’amusa de sa blague, mais pas Kälterer.

— Bon, s’empressa l’inspecteur en haussant les épaules, c’est du moins ce que le docteur a prétendu.

— Autre chose encore ?

— Non, rien de plus. Je vous ai fait appeler tout de suite. À vous de l’interroger vous-même. Dieu merci, je ne suis plus dans le coup. Il faut que j’aille à Steglitz, il en est tombé cette nuit.

Il lui désigna au fond du couloir un lit d’où les observait une tête ébouriffée, à moitié cachée sous un bandage.

— J’ai failli oublier l’essentiel. Elle prétend que son agresseur l’a bâillonnée. J’ai confisqué le bâillon en question et je vous l’ai apporté.

L’inspecteur tira de sa poche de manteau un récipient en verre qui contenait un immonde morceau de coutil qu’il tendit à Kälterer.

— Faites-en ce que vous voudrez. Je n’ai pas enregistré l’agression, ni pris sa déposition, elle me paraissait trop confuse.

Hecke ajouta encore :

— Ce sera tout. Je vous souhaite beaucoup de succès. J’espère que vous réussirez à tirer quelque chose de ses bredouillis.

L’inspecteur lui tendit la main et se hâta en direction de l’escalier.

Kälterer s’approcha du lit.

— Frau Fiegl ?

Elle se redressa en gémissant.

— Vous voilà enfin ! C’est pas trop tôt !

La moitié droite de sa tête, œil compris, était dissimulée sous une épaisse couche de cellulose. Son visage était livide comme celui d’une morte.

— Comment allez-vous ?

— J’ai encore réussi à sauter de la faux, murmura-t-elle en retombant sur son oreiller. Vous aviez raison : Haas m’a épiée, il a voulu me tuer et m’étouffer. Si cet homme n’était pas passé…

— Frau Fiegl, une chose après l’autre, l’interrompit-il en lui prenant le poignet pour la calmer. Je sais que ce qui vous est arrivé est terrible, mais si nous voulons mettre la main sur l’agresseur, il faut que nous sachions tout, et dans les moindres détails.

Elle le regardait, tenta d’approuver de la tête.

— En fait, je ne sais pas grand-chose. Il m’a surprise alors que j’étais en train de ramasser du bois, m’a jetée dans cette cave et m’a bombardée de questions.

Elle tâta prudemment son pansement.

— Il pensait que je l’avais dénoncé et que j’avais sa famille sur la conscience.

Elle leva des yeux où se lisait la peur et l’indignation.

— Qu’est-ce qui peut lui faire croire des choses pareilles ? Je n’ai jamais fait de mal à une mouche. J’ai toujours été aimable avec sa femme, et voilà comment on me remercie. Et je me suis même occupée de sa valise. Ça ne l’a pas empêché de m’agresser, de me jeter par terre et de me frapper avec son morceau de bois jusqu’à ce que tout soit plein de sang.

Elle avait la respiration oppressée. Elle poursuivit à voix basse :

— Je crois que je me suis réveillée parce que je n’arrivais plus à respirer. Il m’avait enfoncé quelque chose dans la bouche, une espèce de vieux chiffon. J’ai réussi je ne sais comment à le recracher un peu, j’ai crié et je suis retombée dans les pommes. Je me suis réveillée sur une civière.

Elle avait vraiment eu de la chance. Haas l’avait certainement laissée pour morte avant de disparaître. Il inspecta le morceau d’étoffe grossière que Hecke lui avait donné. Manifestement, Haas l’avait bâillonnée après l’avoir tabassée. Ça n’avait aucun sens.

— C’est tout, Frau Fiegl ?

Elle tourna la tête d’un seul mouvement et gémit de douleur.

— Il faut sans doute que j’attende un peu avant de pouvoir remuer la tête.

Elle esquissa un sourire.

— Sinon, vous ne vous rappelez rien ? Le plus petit détail peut être important. Réfléchissez.

La moitié visible de son front se couvrit de rides.

— Il m’a aussi demandé où était la valise de sa femme.

— Et alors ?

— J’ai donné cette valise à l’Everding, à la rouge. Après tout, j’avais déjà assez d’ennuis avec mes propres affaires.

Il y avait deux jours que Haas avait agressé la Fiegl. Il rendrait certainement visite à Frau Everding. Cette fois-ci, il le serrait de près.

50

— Qu’est-ce que vous me voulez encore ?

Cette fois, Everding en personne s’était encadrée dans la porte, bras croisés sur la poitrine.

Ces gens-là, faut les cogner tout de suite, après, tout marche comme sur des roulettes. Si quelqu’un avait montré autant de mauvaise volonté et d’agressivité au cours d’un de ses interrogatoires, l’instructeur avait eu tôt fait de remettre les pendules à l’heure. Mais à présent, il valait peut-être mieux montrer de la retenue pour commencer, même s’il n’avait pas envie non plus que Frau Everding lui marche sur les pieds.

— Frau Everding, vous devriez baisser d’un ton, je peux aussi m’y prendre autrement.

Elle haussa les épaules.

— Bien, laissez-moi entrer, j’ai quelques questions à vous poser.

Elle le précéda dans une petite pièce sombre. Le mur de l’immeuble voisin se dressait à quelques mètres de l’unique fenêtre. Une colocataire, qu’il connaissait de sa première visite, était assise sur le lit. Une table, une chaise et une armoire brune éraflée composaient tout le mobilier de cette minuscule chambre. La jeune femme rit et se leva :

— Mais le revoilà, ce beau jeune homme !

Elle alla à sa rencontre et mit les poings aux hanches.

— Et encore avec la vieille Gerda. Ça vous dirait pas de sortir plutôt avec moi ? Je vous invite.

Elle le toisa du regard, puis fixa ses yeux sur sa braguette. Elle s’approcha de lui à le toucher, frotta son bas-ventre contre son entrejambe et lui sourit.

Il sortit son laissez-passer et le lui brandit sous le nez.

— Gestapo. Ça vous ennuierait de sortir ?

Elle recula d’un pas pour lire le document.

— Bon, ben tant pis ! dit-elle, et elle passa lentement devant lui en se déhanchant.

Arrivée à la porte, elle lui lança :

— M’aurait étonnée aussi que vous veuillez sortir avec Gerda. Demandez-lui donc pourquoi elle rapporte plus de viande et de poisson que nous autres à la maison !

Everding cria après elle :

— Comme si je ne vous en donnais pas !

— Calme-toi, vieille conne.

La voix de la femme leur parvenait de la cuisine.

Gerda Everding leva les bras, résignée :

— J’ai droit au supplément pour travaux pénibles, je le leur ai déjà dit souvent, mais elles n’écoutent jamais !

— Vous ne travaillez plus à la centrale d’échanges ?

— Bombardée et déménagée plus loin ; ils n’avaient plus besoin de moi. Je tourne des obus en équipe de nuit. (Elle ricana…) Ça n’a pas l’air d’aller bien fort pour vous autres, que vous voilà obligés de confier votre production de munitions à des ennemis de l’État !

— Vous n’avez plus peur de rien, n’est-ce pas, Frau Everding ? Mais ne vous fiez pas éternellement à mon bon cœur. Il vous reste encore quelque chose à perdre.