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— Asseyez-vous donc ! Vous voulez boire quelque chose ?

— Non — plus tard — peut-être[6]. Je peux faire quoi pour vous, monsieur ?

Serge approcha une chaise. Il glissa quelques mots inaudibles aux Italiens qui allèrent s’installer quelques tables plus loin.

— J’ai besoin de votre aide, Serge. Atze avait dit que je pourrais toujours me tourner vers vous, au cas où… Vous vous rappelez ?

— M. Atze, mort.

Le Français enleva son bonnet de laine et le posa sur la table.

— Arrêté, déporté à Buchenwald. Quatre semaines après, mort.

Il regarda Serge et pensa un instant qu’il avait mal compris à cause du fort accent. Atze Kulke, le Siegfried de Wilmersdorf, mort à Buchenwald, là où il avait été interné lui aussi, dans le même camp, les mêmes baraques, terrorisé par les mêmes crevures ? Qui est la pute qui t’as chié au monde ? Atze devait avoir dominé sa peur, Siegfried quoi. Il voyait son vieux copain debout dans la baraque, entendait les mêmes questions écœurantes, sentait le regard ferme d’Atze et espéra qu’il avait trouvé une réponse adéquate à balancer à la face de cette saloperie de SS : « La même pute, Sturmbannführer, que celle qui a tellement ri le jour où tu n’as pas réussi à bander devant elle avec ta petite queue. » Le Siegfried de Wilmersdorf a eu beau avoir le dernier mot, il n’a pas survécu à Buchenwald. Pour survivre, il fallait le heaume qui rend invisible, comme Alberich. Lui s’en était tiré.

Il prit conscience que le Français attendait une réaction de sa part. Sa main tremblait quand il saisit son verre de bière.

— Je ne savais pas, c’est terrible.

Il leva les yeux.

— Mais il faut bien qu’on continue à vivre, vous et moi, vous comprenez ?

— Je comprends, oui[7]. Vous avez besoin quoi, monsieur ?

La voix de Serge était strictement commerciale.

— Essence ? Charbon ? Radiateur ?

Il secoua la tête.

— Non[8] ? Alcool peut-être, cigarettes, viande, cartes d’alimentation ? Non[9] ? Papiers ? Je veux dire carte d’identité, passeport, certificat de travail, carte de travailleur forcé ?

Il tendit l’oreille.

— Un jeu complet de papiers, ça coûterait combien ?

— Quatre-vingt-huit mille marks, jeu complet, à peu près[10]. Authentique, absolument[11]. Livrable une semaine.

Serge se pencha en avant, il semblait flairer une affaire lucrative.

Haas fit signe que non.

— Je n’ai pas tant d’argent que ça. Il me faut aussi autre chose.

— Étoile jaune ?

Le Français s’adossa de nouveau et haussa les épaules.

Encore ces étoiles jaunes.

— Qu’est-ce que vous voulez que je fasse avec une étoile jaune ?

— Mon Dieu[12].

Serge le regarda, étonné.

— Vous êtes idiot ? Étoiles juives se vendent comme petits pains. De plus en plus chères au marché noir.

Il cligna des paupières.

— Je ne comprends toujours pas.

— Merde[13], répliqua Serge en tapant sur son bonnet de laine. Plein de gens, pas Juifs, achètent étoiles jaunes, cousent sur leur manteau, quand la guerre finie… ont leurs raisons, veulent cacher leur vilain passé derrière étoile juive. Pour échapper à vengeance des vainqueurs.

— Ce n’est pas possible ! Et qu’on ne vienne pas me raconter plus tard que personne ne savait ou n’avait rien vu !

Il parlait à voix très basse, rien que pour soi. Mais Serge l’avait entendu.

— Exactement, dit-il et il respira, comme s’il se réjouissait que Haas eût enfin compris. La vérité a toujours l’air différente. C’est la vie[14] !

Ils observèrent un moment la porte jusqu’à ce que Haas finisse par demander :

— Voulez-vous boire quelque chose maintenant ?

— Oui, oui[15]. Allez chercher bouteille vin rouge.

Serge remplit les verres et ils trinquèrent.

— A votre santé[16] !

Le Français se rejeta en arrière.

— Alors, vous avez besoin quoi ?

— D’une arme. D’un pistolet.

— Oh ! là ! là !

Serge siffla entre les dents.

— Un pistolet ? Et pour quoi faire, s’il vous plaît ?

— Je veux tuer la crevure de nazi qui m’a mené dans le camp de concentration, répliqua-t-il.

Le Français le regarda un moment droit dans les yeux. Puis il ricana.

— Très bien[17]. Très raisonnable.

Ils ne purent s’empêcher de rire, trinquèrent de nouveau. Peu à peu, toute distance disparaissait entre eux ; le vin rouge y avait sa part.

— Je sais avoir un pistolet. Mais cher.

— Combien ?

— Mille, à peu près… Et avance, naturellement[18].

— Pas de problème. Levons nos verres. Affaire conclue.

Il partagea le reste de vin rouge et trinqua avec Serge.

— Au camp, il y avait aussi beaucoup de vos compatriotes.

— Oui[19]. Beaucoup d’amis dans des camps. Ça va très vite. Si tu obéis pas, organises des trucs, tu es bon. Certains sont venus ici travailleurs volontaires…

Serge secoua la tête.

— Et vous ?

Le Français lui parla de son recrutement forcé. Il avait travaillé aux ateliers Fer-Kulke, mais depuis quelques mois, il était occupé dans un salon de coiffure, derrière lequel il avait aussi une petite chambre.

— Je vais très bien.

Serge éclata de rire.

— Quand les bombes tombent pas. Nous n’avons pas droit au bunker. Mais[20] les recrutés de force peuvent circuler librement dans la ville. Ceux des baraquements aussi. Avant l'invasion[21], pendant les congés, on pouvait même rentrer à la maison. On pouvait ramener des trucs, très bien[22]. Interdit maintenant. Sinon, je serais parti depuis longtemps. Mais comme ça, il faut des petites affaires pour m’en sortir.

Il grimaça un sourire, mais reprit aussitôt son sérieux.

— Mais c’est dangereux[23], ça peut vite coûter la vie.

Haas l’approuva et dit :

— Il y a beaucoup de travailleurs étrangers dans la ville.

— Oui[24]. Ne peuvent plus sortir maintenant. Même les Italiens, les Roumains, les Hongrois, ils avaient des privilèges[25] avant, pouvaient se déplacer librement, même salaire qu’Allemands. Mais maintenant, peuvent plus sortir, plus rentrer. Autres ont pas intérêt à rentrer…

— Il faut savoir de quel côté on est, pour qui on travaille.

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6

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7

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8

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11

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12

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13

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14

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15

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16

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18

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19

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20

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21

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22

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23

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24

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25

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