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La jeune femme le regardait amicalement.

— Que désirez-vous ?

— Je cherche Herr Bideaux, Ludwig Bideaux. Il a bien habité ici, n’est-ce pas ?

— Oui.

La femme éloigna sa fille de la porte, sortit sur le seuil.

— Le Hauptsturmführer Bideaux a effectivement habité là-haut.

Elle désigna le ciel du doigt.

— Juste au-dessus de nous, au deuxième. Mais vous voyez, il n’y a plus rien. Par quel miracle notre appartement est-il encore debout, seuls les Ricains le savent !

La femme esquissa un sourire pâlot.

Il se sentit défaillir.

— Vous dites qu’il a habité là. Il serait donc mort dans le bombardement ?

Il ne put contenir le tremblement de sa voix.

La femme sembla remarquer l’importance de sa réponse et hocha tout de suite la tête :

— Non, non ! C’est arrivé en plein jour. Il n’y avait personne dans tout l’immeuble. Tout le monde était au travail ou au bunker.

— La maison a été bombardée quand, alors ?

— L’année dernière, fin juin.

— Est-ce que vous sauriez où Herr Bideaux habite maintenant ?

La femme haussa les épaules.

— Non, je suis désolée, aucune idée. La dernière fois que je l’ai vu, c’était ce jour-là. Il s’est précipité ici en voiture pour évaluer les dégâts. Personne n’avait enfin plus de soucis à se faire pour son appartement, qu’il a encore dit.

Elle tordit la bouche.

— Il avait toujours le mot pour rire, ce Bideaux.

— Vous ne l’aimiez pas particulièrement ?

— Ça allait. On l’aimait bien dans la maison, les femmes surtout. Pour moi, il était toujours trop policé, trop lisse. Je préfère le genre rude, naturel, si vous voyez ce que je veux dire.

Il échappa à son regard direct et se tut.

— Mais qu’est-ce que vous lui voulez, à Bideaux ? questionna-t-elle en reculant d’un pas vers la porte de son appartement.

— J’ai encore un compte à régler avec lui.

— Renseignez-vous donc à l’Office central pour la Sécurité du Reich, c’est là qu’il travaille, vous l’y trouverez certainement…

Elle s’interrompit, le toisa de la tête aux pieds et ajouta :

— Mais c’est peut-être pas la meilleure idée.

65

Il se retournait nerveusement sur le matelas déchiré qu’il avait déniché sur un tas de décombres. Il avait passé les deux derniers jours au-dehors, avait fouillé des maisons en ruine à la recherche d’objets qui pourraient lui être utiles. Pendant qu’il furetait partout, des gens qui comme lui habitaient des caves aménagées avaient quelquefois surgi de leurs trous pour le chasser en proférant les pires menaces. Il avait tout de même réussi à traîner ce matelas dans son réduit, puis deux chaises intactes, une petite table, plusieurs couvertures avec des trous de brûlures, un seau, un tuyau de poêle cabossé et enfin un petit fut d’huile vide qu’il avait transformé en brasero en perçant deux trous dans la paroi de tôle. Un en bas, pour y enfourner le combustible, et un en haut, derrière, pour le conduit qui sortait par un soupirail protégé du froid avec un épais morceau de carton. Le fourneau improvisé fonctionnait parfaitement et quand on y mettait beaucoup de bois, on pouvait même faire cuire quelque chose sur le couvercle. Il y avait du combustible en suffisance dans les ruines et il avait déjà fait une grosse provision de bois, entreposée dans la cave voisine.

Son trou de cave se trouvait dans l’ancien immeuble d’une arrière-cour de maison de rapport entièrement détruite. Personne n’habitait les restes des deux bâtisses si bien que Haas se sentait en parfaite sécurité dans son logis. Outre un escalier à moitié enseveli sous des décombres et qui menait à une première cave, la construction en voûte comprenait environ une douzaine de petits celliers de différentes tailles, dont certains impraticables ou bouchés par des gravats.

Il avait choisi le plus grand. Tout en gardant une étagère branlante pleine de bocaux de fruits, il avait débarrassé cet espace d’environ quatre mètres carrés de tout son bric-à-brac qu’il était allé entasser dans un coin de la grande cave. Il avait bien entendu fouillé l’ensemble des lieux à la recherche d’objets utilisables et, outre quelques outils et bouts de chandelles, il avait mis la main sur son trésor : une petite batterie de cuisine de campagne comme en utilisent les soldats ou les campeurs.

Il prenait pour latrines la caisse à pommes de terre d’un cellier plus éloigné. Pour cuisiner et se laver, il allait chercher de l’eau dans son seau à un carrefour situé à quelques centaines de mètres où il y avait encore un abreuvoir en grès en état de marche.

Il était satisfait de son logement, quoiqu’il fût plein de poussière, qu’il sentît le moisi et qu’il restât sombre même en plein jour parce que la lumière ne pénétrait que très faiblement d’un soupirail calfeutré. Il ne faisait jamais assez chaud à cause d’un courant d’air permanent, même quand la tôle du brasero était chauffée au rouge.

Mais tout cela lui était bien égal. La recherche de cette nouvelle cache et son aménagement n’avaient été qu’une courte interruption, pénible mais nécessaire, dans l’exécution de son plan. Après sa visite infructueuse Barbarossastrasse, il avait compris qu’il aurait besoin de beaucoup de temps dans sa quête de Bideaux. Il ne pourrait trouver ce chien teigneux et le descendre que s’il survivait lui-même à la guerre. Ce qui signifiait qu’il devait se cacher encore dans les ruines de Berlin, ne pas se faire remarquer, trouver de quoi manger jusqu’à ce qu’il abatte ce Bideaux ou que cette guerre prenne fin, et avec elle le danger qui le guettait jour après jour.

Il était allongé sous ses couvertures pleines de trous et se demandait comment il pourrait retrouver son homme. Il ne savait même pas à quoi elle ressemblait, cette crevure. Théoriquement, il pouvait bien sûr se rendre à l’Office central pour la Sécurité du Reich et s’informer à son sujet. Mais il avait bien trop de danger à se jeter ainsi dans la gueule du loup. Et sans motif valable, on ne lui donnerait certainement aucun renseignement.

Un léger frottement le fit sursauter. Il se redressa et épia dans l’obscurité. Les crissements venaient du mur, comme si on grattait une ardoise avec les ongles. Il alluma une bougie et la leva au-dessus de sa tête. Dans la lueur vacillante il aperçut un énorme rat. Il s’attaquait aux conserves à quelques pas de lui et son ombre gigantesque se projetait sur le mur chaulé de la cave. Debout sur les pattes arrière, l’animal se mit à ronger l’élastique d’un pot de marmelade. La lueur de la bougie ne paraissait pas l’impressionner.

Il tâtonna prudemment en direction de son pistolet caché sous le matelas. Il leva le cran de sûreté avec le pouce et visa le rat, bras tendu, de sorte que la gueule du canon ne se trouvait qu’à un mètre de lui. Le poids de l’arme dans sa main, sa fraîcheur. Il visait lentement le rat qui soudain ne bougea plus, tourna la tête vers lui, si bien qu’il vit les petits yeux noirs dans lesquels se reflétait la lumière de la bougie. L’ombre du rat sur le mur lui parut ressembler à celle d’un être humain. La queue nue était secouée de mouvements brusques et serpentins, les longs poils des moustaches vibrèrent. Il appuya sur la détente.

Il sentit le recul dans son bras et l’arme manqua lui sauter de la main. Le corps déchiqueté de l’animal fut propulsé dans le coin du cellier, la balle s’enfonça dans le crépi du mur, le bocal cassé s’écrasa au sol et recouvrit la douille de compote et de tessons de verre. Il s’attendait à une détonation plus forte : même le cri bref et perçant du rat l’avait couverte.