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— Soldat ?

La voix lui manqua, pas un son ne sortit. Il secoua fermement la tête.

— SS ?

Sa tête oscilla vigoureusement. L’officier s’adressa à ses hommes qui se mirent à rire.

— Fasciste ?

— Non.

Il n’avait plus qu’un filet de voix, on l’entendit à peine. Il s’éclaircit la gorge, et parla plus fort :

— Non, niet fasciste !

On cessa de le fouiller. Le faisceau de la lampe éclaira le reste du contenu de sa valise, dispersé sur le sol.

— Détenu ! s’entendit-il crier, déporté !

Il se frappa plusieurs fois la poitrine avec le poing.

— Buchenwald ! Vous comprenez ? Camp de concentration !

L’officier le lâcha, saisit les guenilles et désigna alternativement du doigt le vêtement et l’homme.

— Ça, à toi ?

— Oui, j’étais détenu dans un camp. Je rentre à la maison.

— Toi, antifasciste ?

Il approuva avec force de la tête.

Quelques soldats s’esclaffèrent, mais un bref aboiement qu’il ne comprit pas les fit taire. L’homme s’approcha plus près de lui et l’odeur d’alcool devint plus forte.

— Tous antifascistes maintenant Hitler fini.

— Je suis un vrai antifasciste. J’ai été déporté à cause de ça.

— Hum…

Le Russe hésitait, il le toisa minutieusement, mais il avait l’air moins menaçant.

— Qui es-tu ?

Il respira profondément, sentit ses poings se desserrer, entendit des coups de canons, des tirs isolés de pistolets-mitrailleurs, discerna le lourd bruit métallique de chenilles de chars qui cliquetaient de l’autre côté des coteaux enveloppés de nuit. Et il entendit sa propre voix, sa voix qui disait calmement :

— Je m’appelle Haas, Ruprecht Haas.

Épilogue

« Ressuscités d’entre les ruines et tournés vers l’avenir, laisse-nous te servir pour le Bien, Allemagne, notre patrie unie… »

Venant de la fenêtre ouverte d’un bâtiment voisin, l’hymne maladroitement interprété par une chorale d’occasion fut bientôt couvert par le lourd staccato d’un moteur Diesel. Le bus démarra avec son habituel chargement de cadres.

Envoyée par le nouveau service auquel il venait d’être affecté, une limousine allait le conduire à Berlin. Une petite récompense pour services exceptionnels. Mais la voiture se faisait attendre.

« Nous devons surmonter les anciennes misères, et unis nous le ferons, car nous arriverons bien à faire que le soleil, beau comme jamais, brille sur l’Allemagne… »

Il déposa ses bagages sur le perron de la grande porte d’entrée et se dirigea vers un banc encore au soleil. Il s’assit. Par-delà la prairie qui s’étendait devant lui, il porta le regard sur les arbres fruitiers aux troncs noueux plantés le long de la départementale qui longeait le centre de formation et montait vers le nord.

À moitié cachée par le feuillage, une voiture était stationnée au bord de la route. Il observa le chauffeur qui traversait la chaussée, puis sauta le fossé.

Ce n’était certainement pas la limousine qu’il attendait. La voiture était garée bien trop loin de la cour. Si seulement on venait le chercher rapidement. Le temps fraîchissait tout doucement. Il boutonna son manteau et offrit son visage au soleil.

Il serait bientôt de retour à Berlin, ferait proprement un travail qu’il connaissait sur le bout des doigts. Comme jadis, il y avait si longtemps déjà… Six ans ! Il ferma les yeux, laissa le soleil de cette fin d’après-midi lui baigner le visage.

Il fallait qu’il oublie le passé. Dans peu de temps, il en était persuadé, les derniers souvenirs se seraient effacés. Il s’adonnerait entièrement à ses nouvelles tâches et tout le reste en découlerait. Débarrasser son esprit des vieilleries, prendre une nouvelle direction, laisser place à des impressions neuves…

— Herr Sturmbannführer, murmura une voix à son oreille.

On lui touchait l’épaule.

— Herr Sturmbannführer, vous dormez ?

— Non, je me suis laissé bercer par le pay…

— Vous dormiez. Vous allez attraper du mal ici, poursuivait la voix à l’accent bienveillant.

Il ouvrit les yeux et vit un visage qu’il reconnut. Un peu plus rond certes, les cheveux coupés moins court. La bouche se tordit en une grimace familière.

— Herr Haas, je m’appelle Fresen, Ludwig Fresen. Je voudrais vous transmettre les félicitations de tout le service.

Était-ce la Mort qui venait mettre un point final à toute cette histoire ? Il se passa les mains sur le visage, se frotta les yeux. Il était bel et bien réveillé, tout cela était bien réel. Absurde aussi de croire à un rêve : seule la réalité avait pu façonner pareil visage.

— De quel service parlez-vous ?

— C’est Langenstras qui m’envoie.

— Langenstras ? Je ne connais pas de Langenstras !

— Ah ! cessez ce jeu, Haas, ce n’est pas le moment de faire des manières. Nous avons du travail pour vous.

— Mais de quoi voulez-vous parler ?

— Vous en saurez plus le moment venu. Cela dit, Langenstras regrette très sincèrement de ne pouvoir vous féliciter personnellement pour vos nouvelles fonctions mais, vous le savez, les temps sont durs. Le combat continue. La guerre froide se joue dans l’ombre. Qui aurait pu penser un seul instant que ça se passerait comme ça !

— Du diable si je fais quoi que ce soit pour vous ! Je ne ferai rien pour vous, rien, Herr… Comment vous appelez-vous déjà ?

— Fresen. Mais il n’est absolument pas question que vous fassiez quoi que ce soit pour moi. C’est l’Allemagne qui a besoin de vous, mon cher, l’autre Allemagne, l’unique, la vraie, l’Allemagne libre, démocratique, occidentale.

Il secouait la tête sans mot dire.

— Ne faites pas cette tête-là. Nous savons que vous allez prendre vos fonctions à la Sécurité d’État de l’Est. Et, bien entendu, nous aimerions disposer d’un contact dans cette administration toute nouvelle. Quelqu’un en qui nous puissions avoir toute confiance, un homme qui en fasse partie depuis sa création. Un spécialiste, quoi, l’homme de la situation. Je suis certain que vous comprenez ça.

— Allez vous faire foutre ! Et puis, ce « nous », c’est qui ?

— L’organisation Gehlen — mon nouveau patron, et le vôtre aussi, bientôt, certainement. Reinhard Gehlen, actuellement major au Contre-espionnage à l’Ouest, le général qui dirigeait la section Est de l’espionnage pour la Wehrmacht. Vous le connaissez, cet homme, évidemment.

Nom de Dieu. Il se redressa, s’éloigna de celui qui s’était assis à côté de lui sur le banc.

— Vous auriez une cigarette ?

Fresen palpa ses poches, écarta les bras et secoua la tête en ricanant.

— J’ai arrêté de fumer, il paraît que c’est mauvais pour la santé. Désolé, j’aurais dû penser à vous acheter quelque chose de bon à fumer avant de venir de ce côté-ci.