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— Ils avaient bel et bien fermé le cercueil de Moogey, dit ma grand-mère. J’ai quand même pu le voir grâce à l’accident.

Ma mère écarquilla les yeux, inquiète.

— Quel accident ?

— Mamie s’est pris une manche dans le couvercle, dis-je, en ôtant ma veste, qui s’est ouvert… accidentellement.

Ma mère leva les bras au ciel.

— Toute la journée, des gens m’ont appelée pour me parler des glaïeuls. Demain, ça va être pour le couvercle.

— Il n’avait pas l’air très frais, dit ma grand-mère. J’ai dit à Spiro qu’il avait fait du bon boulot, mais c’était du pipeau.

Morelli portait un blazer par-dessus un polo noir. Quand il s’assit, les pans de sa veste s’écartèrent, révélant son revolver à hauteur de la hanche.

— Joli morceau ! s’exclama ma grand-mère. C’est quoi ? Un .45 ?

— Un 9 mm.

— Je suppose que vous n’accepteriez pas de me le prêter, dit-elle. J’aimerais bien savoir ce que ça fait que de tenir un pareil revolver en main.

— NON ! cria-t-on d’une seule voix.

— J’ai tiré sans le vouloir sur un poulet pendant qu’on était à table, expliqua ma grand-mère à Morelli. C’était un accident.

— Et vous l’avez touché où ? lui demanda Morelli.

— En plein dans le croupion, lui répondit ma grand-mère. Pas de quartier !

Deux parts de pudding et trois bières plus tard, Morelli se décolla de devant l’écran de télévision. Je le raccompagnai dehors et on bavarda sur le trottoir.

C’était une nuit sans lune et sans étoiles, et la plupart des maisons étaient plongées dans l’obscurité. Il n’y avait pas de circulation dans la rue. D’autres quartiers de Trenton étaient peut-être dangereux à cette heure, mais dans le Bourg, la nuit était douce et sécurisante.

Morelli remonta le col de ma veste pour me protéger du froid. Ses doigts m’effleurèrent le cou et son regard s’attarda sur ma bouche.

— Sympa, ta famille, me dit-il.

Je plissai les yeux.

— Si tu m’embrasses, je hurle, et mon père sortira et te fera une tête au carré.

Et avant que tout ça n’arrive, probable que j’aurai mouillé ma petite culotte.

— Ton père ne me fait pas peur.

— Mais tu ne prendras pas le risque.

Morelli tenait toujours mon col dans ses mains.

— Non, je ne prendrai pas le risque.

— Redis-moi pour la voiture. Aucune trace de lutte ?

— Aucune. La clef était dans le contact et la portière passager était fermée mais pas verrouillée.

— Des traces de sang sur le trottoir ?

— Je ne suis pas allé sur les lieux, mais le labo n’a trouvé aucune preuve matérielle.

— Des empreintes ?

— Recherches en cours.

— Des affaires personnelles ?

— Aucune n’a été trouvée.

— Donc, Kenny n’a fait que passer dans cette voiture, en conclus-je.

— Tu fais des progrès en tant qu’agent d’appréhension, me dit Morelli. Tu poses toutes les bonnes questions.

— Je regarde beaucoup la télévision.

— Parlons un peu de Spiro.

— Il m’a engagée pour que je m’occupe d’un problème mortuaire.

Morelli éclata de rire.

— A savoir ?

— Je ne préfère pas en parler.

— Ça a un rapport avec Kenny ?

— Croix de bois croix de fer, si je te le dis je vais en enfer.

La fenêtre de l’étage s’ouvrit et le visage de ma mère apparut dans l’encadrement.

— Stéphanie, chuchota-t-elle, comme en aparté. Qu’est-ce que tu fabriques dehors ? Que vont penser les voisins ?

— Ne vous inquiétez pas, Mrs. Plum, lui cria Morelli. Je m’en allais…

En arrivant chez moi, je trouvai Rex qui sprintait dans sa roue. J’allumai la lumière et il se figea, ses petits yeux noirs écarquillés, ses moustaches frémissantes, indigné que la nuit ait disparu aussi soudainement.

J’ôtai mes chaussures sur le chemin de la cuisine, jetai mon sac sur le comptoir et enfonçai la touche « PLAY » de mon répondeur téléphonique.

Je n’avais qu’un seul message. De Gazarra. Il avait appelé à la fin de son service pour me dire que personne ne savait trop ce que fichait Morelli, à part qu’il travaillait sur un gros coup lié à l’enquête sur Mancuso-Bues.

Je coupai mon répondeur et téléphonai à Morelli.

Il décrocha, légèrement essoufflé, à la sixième sonnerie. Probable qu’il arrivait à peine chez lui.

J’estimai qu’on pouvait s’épargner les entrées en matière.

— Salaud, lui dis-je, lui entrant tout de suite dans le lard.

— Ah, je me demandais qui ça pouvait être.

— Tu m’as menti. J’en étais sûre, de toute façon. Je le savais depuis le début, minable !

Le silence s’étira en longueur, et je me rendis compte que mon accusation pouvait recouvrir un vaste domaine. Pour éviter tout malentendu, j’en réduisis la portée.

— Je veux tout savoir sur cette affaire top secrète sur laquelle tu travailles et je veux savoir en quoi elle est liée à Kenny Mancuso et Moogey Bues.

— Ah, fit Morelli, tu veux parler de ce mensonge-là ?

— Je t’écoute.

— Sur ce mensonge-là, je ne peux rien te dire.

4

Je n’avais pas arrêté de me tourner et de me retourner dans mon lit pendant la plus grande partie de la nuit en pensant à Kenny Mancuso et à Joe Morelli. A sept heures, je me forçai à me lever, de mauvaise humeur et au trente-sixième dessous. Je pris une douche, enfilai un jean et me fis du café.

Mon problème de base était le suivant : j’avais des tas d’idées sur Joe Morelli, pas une sur Kenny Mancuso.

Je me servis un bol de céréales, emplis ma tasse Daffy Duck de café et examinai le contenu de l’enveloppe que Spiro m’avait donnée. L’entrepôt était situé juste à la sortie de la Route 1 dans une zone de petites industries genre centres commerciaux. La photo d’un des cercueils manquants, découpée dans un tract publicitaire ou un catalogue, montrait un modèle manifestement situé au bas de la chaîne funéraire. C’était tout juste quatre planches de sapin sans les garnitures et les coins biseautés qu’on trouve habituellement sur les cercueils du Bourg. Je ne voyais vraiment pas pourquoi Spiro avait acheté vingt-quatre de ces caisses. Au Bourg, les gens dépensaient un fric fou pour les mariages et les enterrements. Être inhumé dans un cercueil comme celui-là serait pire que de se balader avec un col crasseux. Même Mrs. Markowitz, notre voisine, qui vivait de l’aide sociale et éteignait la lumière tous les soirs à neuf heures pour faire des économies d’électricité, avait mis de côté quelques milliers de dollars pour être enterrée dignement.

Je terminai mes céréales, lavai bol et cuiller, me servis une deuxième tasse de café et emplis le petit plat en céramique de Rex de croquettes et de myrtilles. Rex déboula de sa boîte de soupe, les moustaches frétillant de plaisir. Il fonça sur son plat, en fourra le contenu dans ses bajoues, et retourna dare-dare dans sa boîte où il s’accroupit, le derrière dehors, vibrant de bonheur devant sa bonne fortune. C’est ça qui est super avec les hamsters : un rien fait leur bonheur.

Je pris ma veste et mon grand sac en cuir noir qui contenait toute ma panoplie de chasseuse de primes, et me dirigeai vers l’escalier. La télévision de Mr. Wolesky bourdonnait de l’autre côté de sa porte close et une odeur de bacon grillé flottait dans l’air juste devant l’appartement de Mrs. Karwatt. Je sortis de l’immeuble en solitaire et m’arrêtai un moment pour jouir de la fraîcheur du matin. Quelques feuilles tenaces s’accrochaient encore aux arbres, mais la plupart des branches étaient nues et se découpaient telles des pattes d’araignées sur le ciel clair. Un chien aboya derrière mon immeuble et une portière de voiture claqua. Mr. Banlieuso partait au travail. Et Stéphanie Plum, chasseuse de primes hors pair, partait à la recherche de vingt-quatre cercueils bas de gamme.