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Je quittai le poste de police, suivie à distance par Morelli dans son nouveau 4x4, sans doute un peu inquiet des perturbations que pourrait causer la Buick qui avançait péniblement dans la nuit.

On se gara côte à côte dans le parking de chez moi. Mickey Boyd en grillait une sous l’auvent de la porte de derrière. Sa femme, qui s’était fait poser un patch à la nicotine la semaine précédente, lui interdisait de fumer dans leur appartement.

— Ouah ! s’exclama Mickey, sa cigarette collée comme par magie à sa lèvre inférieure, l’œil à demi fermé à cause de la fumée, visez-moi cette Buick. Belle caisse ! On n’en fait plus des comme ça !

Je lançai un regard de biais à Morelli.

— Je suppose que cette grosse voiture avec hublots est encore un de ces trucs de macho.

— C’est un char d’assaut, me dit Morelli. Un homme est capable de le mater.

On monta par l’escalier. À mi-chemin, je sentis mon cœur se serrer. Bientôt, la peur que mon appartement ait été visité se dissiperait et je me sentirais de nouveau en sécurité. Bientôt. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, je m’efforçais de dissimuler mon anxiété.

Je ne voulais pas passer pour une poule mouillée devant Morelli. Heureusement, ma porte était fermée et intacte, et en entrant, j’entendis la roue de Rex qui tournait dans l’obscurité.

D’une chiquenaude, j’appuyai sur l’interrupteur, puis jetai mon blouson et mon sac sur la petite table de l’entrée.

Morelli me suivit dans la cuisine où je fis réchauffer le pop-corn au four à micro-ondes.

— Je parie que tu as loué une cassette pour aller avec tout ce pop-corn, me dit-il.

Je déchirai l’emballage des petits pots de beurre de cacahouètes, et tendis S.O.S. Fantômes à Morelli. Il décacheta le couvercle d’un des petits pots de beurre et en goba le contenu.

— En cinéma, tu n’y connais pas grand-chose non plus, à ce que je vois, me dit-il.

— C’est mon film préféré !

— C’est un film pour tapettes. De Niro ne joue même pas dedans.

— Parle-moi plutôt du coup de filet.

— On a eu les quatre de la BMW, mais aucun d’eux ne sait quoi que ce soit. L’affaire a été conclue par téléphone.

— Et la camionnette ?

— Volée, comme de bien entendu. Du coin.

Le minuteur tinta ; je retirai le pop-corn.

— Difficile à imaginer que quelqu’un se pointe dans Jackson Street au beau milieu de la nuit pour acheter des revolvers volés à nos GI’s à quelqu’un qu’il ne connaît que par téléphone.

— Le vendeur a donné des noms. Je suppose que c’était suffisant pour ces types. C’est le menu fretin.

— Rien qui impliquerait Kenny ?

— Rien.

Je versai le pop-corn dans un bol que je tendis à Morelli.

— Et quels noms a cité ce revendeur ? Quelqu’un que je connais ?

Morelli passa la tête dans le réfrigérateur et en sortis des bières.

— Tu en veux une ?

Je pris une canette et la décapsulai.

— Alors, ces noms…

— Oublie ça. Ils ne t’aideraient pas à retrouver Kenny.

— Vous avez une description du revendeur ? Son physique, sa voix ? La couleur de ses yeux ?

— Un Blanc tout ce qu’il y a de plus moyen, une voix tout ce qu’il a de plus moyenne, pas de signe particulier. Et personne n’est allé regarder la couleur de ses yeux. L’interrogatoire a tout de même permis de déterminer que les Blacks voulaient des armes, pas tirer un coup.

— Il ne nous aurait pas échappé si on avait fait équipe, dis-je. Tu aurais dû me téléphoner. En tant que chasseuse de primes, j’ai le droit d’être au courant des opérations interservices.

— Faux. Être invité à participer à une telle opération relève de bons procédés professionnels qui peuvent, éventuellement, t’être appliqués.

— Très bien. Et pourquoi ça n’a pas été le cas ?

Morelli goba une poignée de pop-corn.

— Rien n’indiquait de façon absolue que Kenny y serait mêlé.

— Mais c’était du domaine du possible.

— Ouais, c’était du domaine du possible.

— Et tu as choisi de m’exclure de l’opération. Je le savais depuis le début ! Je savais que tu me tiendrais à l’écart !

Morelli passa au salon.

— Où veux-tu en venir ? fit-il. Tu déterres la hache de guerre ?

— Je veux en venir à te dire que tu es répugnant. ET que je veux que tu me rendes MON pop-corn et que tu sortes de chez MOI !

— Non.

— Comment ça, non ?

— On a passé un accord. Renseignement contre pop-corn. Tu as eu ton renseignement, je veux mon pop-corn.

Je pensai à mon sac posé sur la table de l’entrée. Et si je faisais subir à Morelli le même traitement qu’à Eugène Petras ?

— Oublie ça, me fit Morelli. Si tu t’approches un tant soit peu de la table, je te fais arrêter pour port d’arme prohibée.

— Tu m’écœures. C’est une utilisation abusive de tes prérogatives d’officier de police.

Morelli prit la cassette de S.O.S. Fantômes qui était posée sur la télévision et la glissa dans le magnétoscope.

— Bon, on se le regarde ce film, oui ou merde ?

Je me réveillai de mauvais poil sans savoir pourquoi. Que je n’aie pu trouver le moyen de bomber, électrocuter ou flinguer Morelli y était peut-être pour quelque chose. Il était parti une fois le film et le bol de pop-corn finis. En partant, il m’avait enjoint de lui faire confiance.

— Bien sûr, lui avais-je assuré.

Quand les poules auront des dents.

Je mis la cafetière électrique en route, téléphonai à Eddie Gazarra et lui laissai un message, lui demandant de me rappeller. En attendant, je me vernis les ongles des orteils, bus du café, et fis un pain de guimauves Rice Krispies. Je le coupai en barres et eus le temps d’en manger deux avant que le téléphone ne sonne.

— Quoi encore ? fit la voix de Gazarra.

— Il me faut les noms des quatre Blacks qui se sont fait arrêter hier soir dans Jackson Street. Et ceux dont s’est recommandé le conducteur de la camionnette.

— Merde. J’ai pas accès à ces infos, moi.

— Tu cherches toujours une baby-sitter ?

— Plus que jamais. Bon, je vais voir ce que je peux faire.

Je pris une douche à la va-vite, me coiffai de même, et enfilai un Levi’s et une chemise en flanelle. Je sortis le revolver de mon sac et le remis avec précaution dans la boîte à biscuits. Je branchai mon répondeur et partis.

L’air était vif, le ciel presque bleu. Les vitres de la Buick étaient étincelantes de givre. On l’aurait dit recouverte de poudre magique. Je me glissai au volant, mis le contact et réglai le dégivrage à fond.

Fidèle au principe qu’il vaut toujours mieux faire n’importe quoi (aussi pénible et insignifiant cela soit-il) que rien, je passai ma matinée à rendre visite aux amis et parents de Kenny. Tout en roulant, j’ouvrais l’œil au cas où je verrai ma Jeep ou une camionnette blanche à la carrosserie ornée de lettres noires. Je ne trouvai rien de rien, mais la liste de choses à chercher s’allongeait de jour en jour, alors on pouvait peut-être considérer que l’enquête avançait : plus la liste serait longue et plus j’aurais de chance de retrouver quelque chose.

Après la troisième visite, je décidai de laisser tomber et de passer chez Vinnie. Il fallait que je touche ma prime correspondant à l’arrestation de Petras et je voulais interroger mon répondeur. Je trouvai une place à deux pas de l’agence et tentai de faire un créneau. En un peu moins de dix minutes, je réussis à plutôt bien garer ma Grande Bleue avec seulement une roue arrière sur le trottoir.