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Une idée abominable me vint à l’esprit. Nooooon, me raisonnai-je. Kenny Mancuso ne ferait pas une chose pareille. Ce serait trop abject. Même pour lui.

Spiro s’approcha de Mrs. Mackey puis gagna l’interphone qui se trouvait après la porte. Je le suivis et l’entendis demander à Louis Moon d’appeler le SAMU puis d’apporter un peu de mastic au salon numéro quatre.

— Pour en revenir à ce doigt, lui dis-je.

— Si vous faisiez correctement votre boulot, Kenny serait déjà sous les verrous ! me dit-il. Je me demande bien pourquoi je vous ai embauchée pour retrouver mes cercueils alors que vous n’êtes même pas fichue de retrouver Mancuso ! Ce n’est pourtant pas si difficile que ça ! Ce type est fou à lier, il me laisse des petits mots, il démembre les cadavres.

— Vous avez prévenu la police ?

— Quoi ! Vous voulez rire. Je ne peux pas prévenir les flics. Ils courraient interroger mon beau-père. Si jamais tout ça lui arrivait aux oreilles, il deviendrait fou furieux.

— Je suis loin de connaître toutes les subtilités de la loi, mais il me semble que vous êtes dans l’obligation d’en avertir les autorités compétentes.

— Eh bien, je vous en ai avertie, non ?

— Ah non, ne comptez pas sur moi pour prendre tout ça sous ma responsabilité.

— Porter plainte ou pas, c’est mon affaire, fit Spiro. Aucune loi n’impose à quiconque d’aller trouver la police en cas de problème.

Le regard de Spiro se fixa sur un point derrière mon épaule gauche. Je me retournai pour voir ce qui avait retenu son attention et fus agacée de voir Louie Moon se tenant tout près de moi. Il était facile à identifier car son nom avait été cousu au fil rouge sur la poche poitrine de sa combinaison de travail en coton blanc. De taille et de poids moyens, il avait dans les trente ans, le teint pâlichon, des yeux d’un bleu fané au regard éteint, des cheveux blonds légèrement clairsemés. Il me lança un coup d’œil rapide, tout juste le temps de remarquer ma présence, et tendit le mastic à Spiro.

— Une femme s’est évanouie, lui dit ce dernier. Fais rentrer l’équipe du SAMU par la porte de derrière et fais-les monter ici.

Moon partit sans un mot. Très placide, le gars. Peut-être fallait-il y voir un effet d’avoir des morts pour collègues de travail ? Je suppose que cela doit être apaisant pour qui surmonte la question des fluides corporels. Pas beaucoup de conversation, mais idéal pour la tension nerveuse sans doute.

— Et Moon ? dis-je à Spiro. Il n’aurait pas pu prendre la clef du hangar ? Il est au courant pour les cercueils ?

— Moon n’est au courant de rien. Moon a le QI d’un lézard.

Je ne savais trop que répondre à cela, étant donné que Spiro lui-même avait un physique de saurien.

— Bon, reprenons depuis le début, lui dis-je. Quand avez-vous trouvé le mot ?

— Je suis venu pour passer des coups de téléphone et je l’ai trouvé sur mon bureau. C’était un peu avant midi.

— Et le doigt ? Quand vous êtes-vous rendu compte qu’il avait un problème ?

— Je fais toujours un petit tour d’inspection avant les expositions. J’ai remarqué que ce bon vieux George avait un doigt en moins et j’ai dû pratiquer un rafistolage.

— Vous auriez pu m’en parler.

— Je ne tenais pas à ce que ça se sache. Je ne pensais pas qu’on s’en apercevrait. C’était compter sans la venue de mémé Catastrophe.

— Comment Kenny est-il entré à votre avis ?

— Par la porte, je suppose. Je branche l’alarme quand je pars le soir et je la débranche à mon arrivée le matin. Pendant la journée, la porte de service est toujours ouverte à cause des livraisons. La porte d’entrée principale est ouverte aussi en général.

J’avais surveillé l’entrée principale pendant la majeure partie de la matinée sans voir personne. Un fleuriste s’était garé devant la porte de service. C’était tout. Evidemment, il était toujours possible que Kenny se soit pointé avant que je commence à faire le guet.

— Vous n’avez rien entendu ?

— J’ai travaillé avec Louie dans l’annexe toute la matinée. En cas de besoin, les gens nous appellent par l’interphone.

— Alors, qui était là, qui ne l’était pas ?

— Clara, notre artiste capillaire, est arrivée à neuf heures et demie pour travailler sur Mrs. Gasso. Elle est repartie une heure plus tard. Je suppose que vous pouvez aller lui parler, mais ne lui dites rien pour le doigt. Sal Munoz a livré des fleurs. J’étais dans cette pièce de son arrivée à son départ, alors je sais qu’il ne pourra vous être d’aucune aide.

— Je vous conseille de vérifier qu’il ne vous manque rien d’autre.

— Je ne veux même pas le savoir.

— Alors, qu’est-ce que vous avez que Kenny n’a pas et qu’il voudrait avoir ?

— Il est mal pourvu, me répondit Spiro, empoignant son entrejambe et donnant un coup vers le haut. Vous voyez ce que je veux dire ?

Je sentis ma bouche se déformer en une moue.

— Oh, sans blague ?

— On ne peut jamais savoir ce qui motive les gens. Y en a des, ça les ronge ces trucs-là.

— Mouais. Bon, si jamais il vous revient quoi que ce soit d’autre, faites-moi signe.

Je retournai au salon d’exposition récupérer mamie Mazur. Mrs. Mackey était revenue à elle et paraissait remise. Marjorie Boyer était un peu verdâtre, mais peut-être n’était-ce dû qu’à l’éclairage.

Quand nous arrivâmes au parking, je remarquai que la Buick avait un air penché. Louie Moon se trouvait à côté, l’air serein, le regard rivé sur un gros tournevis planté dans le pneu. Il aurait pu tout aussi bien être une vache regardant passer un train.

Ma grand-mère s’accroupit pour y regarder de plus près.

— C’est pas gentil de faire ça à une Buick, dit-elle.

Sans vouloir sombrer dans la paranoïa, je ne crus pas une seconde que cet acte de vandalisme fût le fruit du hasard.

— Vous avez vu qui a fait ça ? demandai-je à Louie Moon.

Il fit non de la tête. Puis il dit, d’une voix aussi douce et fade que son regard :

— Je suis juste sorti attendre le SAMU.

— Il n’y avait personne dans le parking ? Vous n’avez pas vu de voiture en sortir ?

— Non.

Je m’offris le luxe de pousser un soupir et retournai à l’intérieur pour appeler un dépanneur. Je téléphonai de la cabine publique de l’entrée, furieuse de constater que ma main tremblait en cherchant une pièce dans le fond de mon sac. Ce n’est rien qu’un pneu crevé, me dis-je. Pas de quoi en faire un drame. Ce n’est qu’une voiture, après tout… une vieille bagnole.

Je téléphonai à mon père pour qu’il vienne récupérer mamie Mazur, et tandis que j’attendais qu’on change mon pneu, j’essayais d’imaginer Kenny se faufilant à l’intérieur du salon funéraire pour y laisser son petit mot. Il eût été très facile pour lui d’entrer et de sortir ni vu ni connu par la porte de service. Trancher un doigt eût été bien plus difficile. Cela lui aurait pris du temps.

8

La porte de service de chez Stiva s’ouvrait sur un petit couloir qui menait au hall d’entrée et desservait la cuisine, le bureau de Constantin et l’escalier de la cave. Un petit vestibule fermé par une double porte vitrée, et situé entre le bureau et l’accès au sous-sol, donnait sur l’allée goudronnée qui menait aux garages au fond de la cour. C’était par cette porte qu’on faisait rouler les défunts vers leur dernière demeure.

Deux ans auparavant, Constantin avait loué les services d’un décorateur d’intérieur dans le but de redonner un coup de jeune à l’endroit. Ledit décorateur avait choisi une dominante de mauve et de vert, et agrémenté les murs de paysages champêtres. Les sols étaient recouverts de moquettes plus qu’épaisses. Rien ne grinçait jamais. Le bâtiment avait été conçu de façon à maintenir le bruit à un niveau minimal, et Kenny pouvait fureter à droite et à gauche sans être entendu.