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— Alors, il paraît que vous recherchez Kenny Mancuso ? me demanda Mrs. Rizzoli.

— Vous l’avez vu ?

— Moi, non. Mais on m’a dit que Kathryn Freeman l’aurait vu sortir de chez la dénommée Zaremba à deux heures du matin.

— Ce n’était pas Kenny, dit Clara. C’était Mooch Morelli. C’est Kathryn qui me l’a raconté elle-même. Elle habite en face et elle était en train de promener son chien qui avait la diarrhée parce qu’il avait mangé des os de poulet. Je n’arrête pas de lui dire de ne pas lui en donner, mais elle ne m’écoute pas.

— Mooch Morelli ! s’exclama Mrs. Rizzoli. Non, mais vous vous rendez compte ! Sa femme est au courant ?

Joyce souleva le casque de son séchoir.

— On m’a dit qu’elle avait intenté une procédure de divorce.

Toutes ces dames battirent en retraite sous leur casque et plongèrent le nez dans leur magazine sentant que la conversation prenait un tour dangereux. Aucune n’ignorait qui avait surpris qui sur sa table de salle à manger et aucune ne voulait assister à un crêpage de chignon avec bigoudis sur la tête.

— Et toi ? demandai-je à Clara qui, à savants coups de lime, donnait à l’un de mes ongles un ovale parfait. Tu as vu Kenny ?

— Pas ces temps-ci, me dit-elle.

— On m’a dit que quelqu’un l’avait vu se faufiler chez Stiva ce matin.

Clara cessa de limer et releva la tête.

— Dieu du Ciel ! Dire que j’y étais à ce moment-là.

— Tu as entendu ou vu quelque chose ?

— Non. Il a dû venir après mon départ. Oh, ça ne m’étonne pas vraiment. Spiro et lui étaient de grands amis.

Betty Kuchta pencha la tête hors de son casque.

— Il a toujours eu un grain, dit-elle, tapotant sa tempe du bout de son index. Il était dans la même classe que ma Gail, en primaire. Les instituteurs savaient tous qu’il valait mieux qu’ils évitent de lui tourner le dos.

Mrs. Rizzoli approuva du chef.

— De la mauvaise graine, dit-elle. Trop de violence dans le sang. Comme son oncle Guido. Pazzo.

— Il faut vous méfier de cet oiseau-là, me dit Mrs. Kuchta. Vous avez déjà remarqué son petit doigt ? Quand il avait dix ans, Kenny s’est tranché le bout de l’auriculaire avec la hache de son père. Il voulait savoir si ça lui ferait mal.

— Je sais tout par Adèle Baggionne, dit Mrs. Rizzoli. Elle m’a raconté pour le doigt et pour pas mal d’autres histoires aussi. Elle m’a dit qu’elle le regardait par la fenêtre de sa cuisine en se demandant ce qu’il fabriquait avec la hache. Et alors, elle l’a vu poser la main sur le billot qui se trouvait à côté du garage et se trancher le doigt. Elle m’a dit qu’il n’avait même pas pleuré. Qu’il était resté là, à regarder son doigt en souriant. Adèle pense qu’il aurait perdu tout son sang si elle n’avait pas appelé les secours.

Il était presque cinq heures quand je repartis du salon. Plus j’en apprenais sur Kenny et Spiro, et plus j’avais la chair de poule. J’avais commencé mon enquête en pensant que Kenny était un combinard, et j’en étais à me demander s’il n’était pas un malade mental. Et Spiro ne me paraissait pas valoir mieux.

Je filai directement chez moi, ruminant des idées de plus en plus noires. J’étais tellement à cran en arrivant que ce fut bombe lacrymo en main que j’ouvris ma porte. J’allumai la lumière et ne me détendis qu’une fois sûre et certaine que tout était en ordre. Le voyant rouge de mon répondeur clignotait.

J’avais un message de Mary Lou. « Alors, qu’est-ce qu’il t’arrive ? Tu t’es mise à la colle avec Kevin Costner pour que tu n’aies plus le temps de m’appeler ? »

Je tombai mon blouson et composai le numéro de Mary Lou.

— J’ai été très occupée, lui dis-je. Et pas avec Kevin Costner.

— Alors, avec qui ?

— Avec Joe Morelli, pour commencer.

— Encore mieux.

— Ce n’est pas ce que tu crois. Je cours après Kenny Mancuso, et la chance n’est pas de mon côté.

— Tu me sembles déprimée. Tu devrais aller te faire manucurer.

— J’en viens. Et ça ne m’a pas été d’un grand secours.

— Alors, il n’y a plus qu’une solution.

— Aller faire du shopping ?

— Absolument ! Je te retrouve à sept heures au Quaker Bridge. Chez Macy, le chausseur.

A mon arrivée, Mary Lou était déjà dans les chaussures jusqu’au cou.

— Comment tu les trouves ? me demanda-t-elle, faisant une pirouette en bottines noires à talons aiguilles.

Mary Lou, un mètre soixante, est solidement charpentée. Elle a une abondante tignasse, rousse cette semaine, et un faible pour les énormes anneaux aux oreilles et le look humide en matière de rouge à lèvres. Elle est mariée et heureuse en ménage depuis six ans, et mère de deux bambins. J’aime beaucoup ses gosses, mais pour l’instant je me contente de mon hamster. Avec lui, au moins, pas de couches à changer.

— J’ai l’impression de les avoir déjà vues quelque part, lui dis-je. Ah oui, aux pieds de la fée Carabosse.

— Tu n’aimes pas ?

— C’est pour une occasion spéciale ?

— Le Nouvel An.

— Quoi, pas de paillettes ?

— Tu devrais t’en acheter une paire, me dit-elle. Le modèle est sexy.

— Ce n’est pas de chaussures dont j’ai besoin, mais de jumelles à infrarouge. Tu crois que je peux en trouver par ici ?

— Obondieu, s’exclama Mary Lou, brandissant une paire de chaussures en daim mauve à semelle compensée. Regarde celles-là ! Elles sont faites pour toi.

— Je n’ai pas assez d’argent. J’attends un chèque.

— On pourrait les voler.

— Je ne m’amuse plus à ça.

— Depuis quand ?

— Belle lurette. De toute façon, je n’ai jamais volé de gros trucs. Sauf la fois où on avait piqué des chewing-gums chez Sal parce qu’on ne pouvait pas le voir.

— Et le blouson à l’Armée du salut ?

— C’était le mien !

Quand j’avais quatorze ans, ma mère avait donné mon blouson en jean préféré à l’Armée du salut, et Mary Lou et moi étions allées le récupérer. J’avais raconté à ma mère que je leur avais racheté, mais en réalité, nous l’avions volé à l’étalage.

— Essaie-les au moins, me dit Mary Lou.

Elle accrocha une vendeuse au passage.

— Ce modèle en trente-huit, s’il vous plaît.

— Je n’ai pas envie de m’acheter des chaussures, lui redis-je. Il me faut tout autre chose. Il me faut un nouveau revolver. Joyce Barnhardt en a un plus gros que le mien.

— Ah, tu m’en diras tant !

Je m’assis et délaçai mes Doc Martens.

— Je l’ai vue chez Clara cet après-midi. J’ai failli l’étrangler.

— Elle t’a rendu service. Ton ex-mari était un abruti.

— C’est une garce.

— Elle travaille ici, tu sais. Au rayon cosmétiques. Je l’ai vue faire un maquillage quand je suis arrivée. Sur une vieille qui ressemblait à Lily Munster.

Je pris les chaussures des mains de la vendeuse et les passai aux pieds.

— Elles sont super, non ? fit Mary Lou.

— Oui, mais elles ne me serviront pas à grand-chose pour tirer sur quelqu’un.

— De toute façon, tu n’as jamais tiré sur personne. Bon, oui, sauf une fois peut-être.

— Tu crois que Joyce Barnhardt porte des chaussures mauves ?

— Il se trouve que je sais qu’elle chausse du quarante-cinq et qu’elle aurait l’air d’une grosse vache dans des chaussures pareilles.

Je marchai jusqu’au miroir au bout du rayon et admirai le résultat. Tu vas voir ce que tu vas voir, Joyce Barnhardt.

Je me retournai pour juger de l’effet de dos et me cognai à Kenny Mancuso.