Выбрать главу

J’inclinai mon visage vers le soleil et laissai mes pensées vagabonder pendant la courte prière. Lorsque la température tomba en dessous de dix degrés, Stiva ne perdit pas de temps autour de la tombe. Aucune veuve du Bourg ne mettait des chaussures pratiques pour un enterrement et il incombait à l’ordonnateur des pompes funèbres de garder les pieds de ces vieilles dames au chaud. Le service prit au total moins de dix minutes, pas même assez longtemps pour que le nez de Mrs. MacKey ne rosisse de froid. J’observai les personnes âgées qui s’éloignaient à petits pas à travers la pelouse ou la terre battue. Dans une demi-heure, ils seraient tous chez les MacKey, à suçoter des mines de crayons et à siroter du whisky à l’eau. Et à une heure, Mrs. MacKey se retrouverait livrée à elle-même et se demanderait alors à quoi elle pourrait bien occuper ses journées, seule dans la maison familiale pour le restant de ses jours.

Des portières de voitures claquèrent et des moteurs vrombirent. Les limousines s’éloignèrent.

Spiro, immobile, une main sur une hanche, était la longanimité faite croque-mort.

— Eh bien ? me fit-il.

Je sortis le sachet de mon sac et le lui tendis.

Deux employés du cimetière se tenaient de part et d’autre du cercueil. Spiro donna le petit sachet à l’un d’eux avec pour instruction d’ouvrir le cercueil et de déposer le sachet à l’intérieur.

Aucun des deux hommes ne cilla. Je suppose que lorsqu’on gagne sa vie à mettre des cercueils plombés dans la terre, on n’est pas forcément du genre inquisiteur.

— Alors, dit Spiro en se tournant vers moi, comment avez-vous récupéré ce doigt ?

Je lui racontai l’épisode « Kenny au rayon chaussures » et dans quelles circonstances j’avais trouvé le doigt en arrivant chez moi.

— Vous voyez, me dit Spiro, il y a une différence entre Kenny et moi. Il faut toujours qu’il cherche à impressionner la galerie. Il aime bien lancer des trucs et voir comment ça tourne. Tout ça l’amuse. Quand on était gamins, on avait un jeu : j’écrasais un cafard avec le pied et Kenny le transperçait avec une épingle pour voir combien de temps il mettrait à mourir. Je suppose que Kenny aime voir agoniser et que j’aime le travail bien fait. Si ça avait été moi, je vous aurais entraînée dans un parking vide et obscur et je vous aurais enfoncé un doigt dans le cul !

J’éprouvai une sorte de vertige.

— Métaphoriquement, bien entendu, ajouta Spiro. Je ne ferais jamais ça à une belle fille comme vous. A moins, bien sûr, qu’elle n’en exprime le désir…

— Il faut que je file.

— Nous pourrions peut-être nous retrouver plus tard. Pour dîner, par exemple. Le fait que vous soyez une chieuse et moi une pourriture ne veut pas dire pour autant que nous ne pourrions pas nous entendre.

— Je préférerais m’enfoncer une aiguille dans un œil.

— Passez me voir, j’ai ce qu’il vous faut.

Je n’osai pas demander « Apparemment, Kenny aussi pense que vous avez ce qu’il lui faut ».

— Kenny est un pauvre type, dit Spiro.

— Il était votre ami.

— Et puis des choses se passent…

— Vous pensez à quoi ?

— À rien.

— J’ai eu l’impression que Kenny s’imaginait que nous nous étions associés pour fomenter un complot contre lui.

— Kenny est branque. La prochaine fois que vous le rencontrez, vous feriez aussi bien de lui tirer dessus. Vous pouvez faire ça, non ? Vous êtes armée ?

— Il faut vraiment que je file.

— La prochaine fois, dit-il, faisant semblant de tenir un revolver et de tirer.

Je regagnai la Buick au pas de course, me glissai au volant, verrouillai les portières et téléphonai à Morelli.

— Tu as peut-être raison, je devrais me lancer dans la cosmétologie, lui dis-je.

— Je suis sûr que tu adorerais redessiner les sourcils à de vieilles peaux.

— Spiro ne m’a rien dit. Enfin, rien que je ne voulais entendre.

— J’ai appris un truc intéressant par la radio pendant que je t’attendais. Il y a eu un incendie hier soir dans Low Street. Dans les locaux de l’ancienne fabrique de tuyaux. Un incendie criminel, ça ne fait aucun doute. La fabrique est condamnée depuis des années, mais apparemment, quelqu’un s’en servait pour stocker des cercueils.

— Es-tu en train de me dire que quelqu’un a fait flamber mes cercueils ?

— Spiro a mis des clauses restrictives afférentes à l’état des cercueils ou bien es-tu payée que tu les ramènes morts ou vifs ?

— Je te retrouve là-bas.

La fabrique de tuyaux était située sur un bout de terrain coincé entre Low Street et la voie ferrée. Elle avait été fermée dans les années 70 et laissée à l’abandon depuis. De chaque côté s’étendait une zone non constructible, et au-delà survivaient quelques industries : un cimetière de voitures, un fournisseur en plomberie, les Transports et Entrepôts Jackson.

Le portail donnant sur le parking de la fabrique était mangé par la rouille, le macadam, craquelé et boursouflé par endroits, était jonché de débris de verre et de détritus jetés aux quatre vents. Un ciel plombé se reflétait dans des flaques d’eau noirâtre. Un camion de pompier, dans le parking, laissait tourner son moteur au ralenti. Une voiture à l’allure officielle était garée à côté du camion ; celle de la police et celle du capitaine des pompiers se trouvaient tout à côté de l’aire de chargement où l’incendie avait fait de gros dégâts.

Je me garai à côté de Morelli et on se dirigea vers un groupe d’hommes qui parlaient et prenaient des notes, clipboard en main.

Ils levèrent les yeux à notre approche et saluèrent Morelli d’un signe de tête.

— Quel est le binz ? demanda Morelli.

Je reconnus l’homme qui lui répondit : John Petrucci. Quand mon père travaillait à la poste, c’était sous les ordres de Petrucci. Et maintenant, le voilà devenu capitaine des pompiers. Allez y comprendre quelque chose.

— Incendie criminel, dit Petrucci. Limité à l’aire de chargement. Quelqu’un a arrosé d’essence un lot de cercueils et y a foutu le feu. Le schéma est clair.

— Vous avez un suspect ? demanda Morelli.

Ils le regardèrent comme s’il était tombé sur la tête.

Morelli se fendit d’un sourire.

— Je demandais ça à tout hasard, dit-il. Ça vous ennuie si on jette un coup d’œil ?

— Faites comme chez vous. Nous, on en a terminé. L’expert de la compagnie d’assurances a vu ce qu’il voulait voir. Il n’y a pas eu beaucoup de dégâts matériels. Tout est en ciment. Le site devrait être condamné sous peu.

Morelli et moi nous hissâmes sur l’aire de chargement. Je sortis ma torche électrique de mon sac, l’allumai et la braquai sur un tas de détritus carbonisés et imbibés d’eau qui se trouvait au beau milieu de la plate-forme. À l’autre bout, on pouvait reconnaître des débris de cercueils. Une boîte en bois dans une caisse en bois. Aucune garniture. Tout était noirci par le feu. Je touchai un coin et le cercueil et son conditionnement s’effritèrent avec un soupir.

— Si tu voulais faire du zèle, tu pourrais ramasser les poignées et me dire combien de cercueils il y avait, dit Morelli. Puis tu pourrais les apporter à Spiro et lui demander s’il les reconnaît.

— Il y en avait combien, à vue d’œil ?

— Un paquet.

— Ça me suffit.

Je sélectionnai une poignée, l’enveloppai dans un Kleenex et la mis dans ma poche.

— Pourquoi voler des cercueils pour les brûler ensuite ? dis-je, songeuse.

— Une blague ? Une vengeance ? Peut-être que chourer des cercueils a semblé une bonne idée sur le coup, puis la personne n’a pas su quoi en faire.