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— Spiro ne va pas être content.

— Ouais, fit Morelli. Et ça a l’air de te faire chaud au cœur…

— J’avais besoin de ce fric.

— Pour quoi faire ?

— Finir de payer ma Jeep.

— Mais tu n’a plus de Jeep, petit chou.

La poignée du cercueil pesait lourd dans ma poche. Non en termes d’unités de masse mais en termes d’unités de mesure de ma trouille. Je n’avais pas du tout envie d’aller frapper à la porte de Spiro. Ma règle en pareil cas était de remettre à plus tard.

— Je pense que je vais aller déjeuner chez mes parents, dis-je à Morelli. Comme ça, j’emmènerai ma grand-mère avec moi chez Stiva. Il y a un autre corps exposé, et mamie adore aller aux expos d’après-midi.

— Très délicat de ta part, me dit Morelli. Je suis invité au déjeuner ?

— Non. Tu as déjà eu du pudding. Si je t’invite encore à manger à la maison, ils ne me lâcheront pas. Deux repas, autant dire qu’on est fiancés.

Je fis le plein d’essence en chemin et fus soulagée de ne pas voir Morelli à mes basques. Finalement, ça ne se goupillait pas si mal que ça, songeai-je. Je ne toucherais sans doute pas la prime mais du moins en avais-je fini avec Spiro. Je tournai dans Hamilton Avenue.

Mon cœur cessa de battre quand j’arrivai dans High Street et vis la Fairlane de Morelli devant chez mes parents. Je tentai de me garer derrière lui, évaluai mal la manœuvre et lui arrachai son feu arrière droit.

Morelli descendit de sa voiture et alla constater les dégâts.

— Tu le fais exprès ou quoi ? dit-il.

— Non ! C’est cette Buick ! On ne voit pas où elle se termine.

Je le fusillai du regard.

— Qu’est-ce que tu fiches ici ? lui demandai-je. Je t’avais dit pas de déjeuner.

— Je te protège. Je t’attendrai dans la voiture.

— Parfait.

— Plus que parfait.

— Stéphanie ! cria ma mère de la porte. Qu’est-ce que tu attends pour rentrer avec ton petit ami ?

— Tu vois ? fis-je à Morelli. Qu’est-ce que je t’avais dit ? Te voilà mon « petit ami » maintenant.

— Veinarde.

Ma mère nous faisait signe d’entrer.

— Venez, venez ! cria-t-elle. Quelle bonne surprise. Une chance, j’ai fait beaucoup de soupe. Et on a du pain frais que ton père vient d’aller acheter à la boulangerie.

— J’adore la soupe, dit Morelli.

— Pas de soupe pour toi, lui dis-je.

Mamie Mazur apparut aux côtés de ma mère sur le seuil.

— Qu’est-ce que tu fais avec lui ? me demanda-t-elle. Tu m’avais dit qu’il n’était pas ton genre.

— Il m’a suivie.

— Si j’avais su, je me serais mis du rouge à lèvres.

— Il ne reste pas.

— Bien sûr que si qu’il reste, fit ma mère. J’ai de la soupe pour tout le monde. Que vont penser les voisins s’il ne reste pas ?

— Ça, c’est vrai, dit Morelli. Que vont penser les voisins ?

Mon père était en train de changer le joint du robinet de la cuisine. Il parut soulagé de voir arriver Morelli. Il préférerait sans doute que je ramène quelqu’un d’utile, comme un boucher ou un mécanicien auto, mais je suppose qu’à ses yeux un flic est un cran au-dessus d’un croque-mort.

— Passez à table, dit ma mère. Servez-vous. Prenez du pain et du fromage. Des crudités. J’ai acheté ces assiettes anglaises chez Giovichinni. Je n’en ai pas trouvé de meilleures que les siennes.

Pendant que tout le monde se bâfrait, je sortis la page de la brochure où figurait la photo du cercueil de mon sac et comparai les poignées du modèle avec celle que j’avais ramassée sur le lieu du sinistre. Elles semblaient identiques.

— C’est quoi cette photo ? voulut savoir ma grand-mère. On dirait un cercueil.

Elle y regarda de plus près.

— Tu n’envisages quand même pas d’acheter ça pour moi ? s’exclama-t-elle. J’en veux un sculpté. Je ne veux pas de ce modèle militaire.

Morelli releva la tête de son assiette.

— Militaire, vous dites ?

— Il n’y a que l’armée pour avoir des cercueils pareils, dit ma grand-mère. L’autre jour, j’ai vu à la télé qu’ils avaient des tas de cercueils comme celui-là depuis la guerre du Golfe. Il n’y pas assez d’Américains qui sont morts là-bas, et du coup l’armée a des kilomètres carrés de ces cercueils sur les bras. Elle en est réduite à les vendre aux enchères. C’est… comment on appelle ça déjà… du surplus.

Morelli et moi échangeâmes un regard. Han !

Morelli posa sa serviette sur la table et repoussa sa chaise.

— Vous permettez que je téléphone ? demanda-t-il à ma mère.

Cela semblait tiré par les cheveux de penser que Kenny avait subtilisé les armes et les munitions de la base militaire en les dissimulant dans les cercueils. Mais bon, on entendait parler de choses plus dingues que ça. Et cela expliquerait les inquiétudes de Spiro quant à ces cercueils.

— Alors ? demandai-je à Morelli à son retour.

— Marie est en train de vérifier.

Mamie Mazur, qui portait une cuillerée de soupe à sa bouche, arrêta son geste.

— Ça concerne la police ? dit-elle. On travaille sur une affaire ?

— J’essaie d’obtenir un rendez-vous chez mon dentiste, lui dit Morelli. J’ai un plombage qui fout le camp.

— Faites comme moi : mettez des dentiers. Quand j’ai un problème de dents, je les envoie par la poste.

Je commençais à hésiter à traîner ma grand-mère chez Stiva. Autant je savais qu’elle pourrait assurer face à un croque-mort pervers, autant je ne voulais pas la mettre dans les pattes d’un croque-mort dangereux.

Je terminai ma soupe et pris une poignée de gâteaux secs, non sans jeter un coup d’œil à Morelli, me demandant comment il faisait pour garder la ligne. Il avait ingurgité deux assiettées de soupe, la moitié d’une miche de pain tartinée de beurre et sept petits gâteaux. J’avais compté.

Il surprit mon regard et haussa les sourcils d’un air interrogateur.

— Je suppose que tu fais du sport, lui dis-je.

— Je cours quand j’ai le temps. Un peu de body building.

Il sourit.

— Chez les Morelli, les hommes ont un bon métabolisme.

Chienne de vie.

Son Alphapage se mit à sonner, et Morelli alla retéléphoner de la cuisine. À son retour, il avait l’air d’un chat qui vient d’avaler un canari.

— C’était mon dentiste, dit-il. Une bonne nouvelle.

J’empilai les assiettes à soupe et me hâtai d’aller les poser dans l’évier.

— Il faut que j’y aille, dis-je à ma mère. Du travail m’attend.

— Tu parles d’un travail ! fit-elle.

— C’était succulent, dit Morelli à ma maman. Votre soupe est délicieuse.

— Ma porte vous est ouverte, lui dit-elle. Je fais un rôti demain pour le dîner. Venez donc avec Stéphanie.

— Non ! fis-je.

— Tu n’es guère polie, me dit ma mère. C’est comme ça que tu traites tes petits amis ?

Le fait que ma mère voie d’un bon œil que je sorte avec un Morelli montre bien à quel point elle était désireuse de me marier, ou au moins de me poser socialement.

— Il n’est pas mon petit ami, lui dis-je.

Elle me tendit un sachet de biscuits.

— Je fais des choux à la crème demain. Ça fait une éternité que je ne t’en ai pas fait.

Une fois dehors, je me campai devant Morelli et le regardai droit dans les yeux.

— Tu ne viens PAS dîner demain, d’accord ?

— Pas de problème.

— Alors, ce coup de fil ?

— Fort Braddock avait une foultitude de cercueils en surplus. Ça, c’était deux mois avant que Kenny se fasse virer. L’entreprise Stiva Pompes Funèbres en a acheté vingt-quatre. Ces cercueils étaient stockés dans la même partie du Fort que les munitions, sur une surface importante. À savoir, dans deux ou trois entrepôts et sur environ un hectare de terrain à découvert mais clôturé.