— Ce qui n’était pas un problème pour Kenny puisqu’il travaillait sur place.
— Eh oui. Après la vente aux enchères, on a marqué les cercueils pour enlèvement. Du coup, Kenny savait lesquels revenaient à Spiro.
Morelli sourit aux anges.
— C’est mon oncle Vito qui aurait été fier.
— Il volait des cercueils à l’époque ?
— Il les remplissait surtout. Voler n’était qu’une activité annexe.
— Donc, tu penses qu’il serait possible que Kenny ait utilisé les cercueils pour sortir les armes du Fort ?
— Ça semble risqué et inutilement compliqué, mais oui, je crois que c’est possible.
— D’accord. Donc, Spiro, Kenny et sans doute Moogey auraient volé ces armes à Braddock et les auraient stockées chez R J. Puis tout d’un coup, la marchandise disparaît. Quelqu’un les a doublés et nous savons que ce n’est pas Spiro puisqu’il m’a engagée pour retrouver les cercueils.
— Ça ne devrait pas être Kenny non plus, fit Morelli. Quand il t’a dit que Spiro avait quelque chose à lui, il voulait sans doute parler des armes volées.
— Ce qui nous laisse ? Moogey ?
— Les morts ne donnent pas de rendez-vous nocturnes aux frères Long pour faire une vente.
Ne voulant pas rouler sur les débris déchiquetés du feu arrière de Morelli, j’en ramassai les plus gros morceaux qui traînaient dans le caniveau et, ne sachant trop quoi en faire, les lui tendis.
— Je suppose que tu es assuré, lui dis-je.
Morelli avait l’air dépité.
— Tu continues à me suivre ? lui demandai-je.
— Oui.
— Alors, surveille mes pneus pendant que je suis avec Spiro.
Le petit parking de chez Stiva était envahi par le public venu nombreux pour l’exposition en matinée, ce qui m’obligea à me garer dans la rue. Je m’extirpai de la Buick et, mine de rien, cherchai à repérer Morelli. Je ne le vis pas, mais mes acidités d’estomac m’avertissaient qu’il était bel et bien dans les parages.
Spiro était dans le hall d’entrée, se prenant pour Dieu réglant la circulation en ce bas-monde.
— Comment ça va ? lui dis-je.
— Ça n’arrête pas. Joe Loosey nous est arrivé hier soir. Rupture d’un anévrisme. Et Stan Radiewski est à côté. Il faisait partie des Elks. Cette association a toujours un fort taux de participation.
— J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle pour vous, lui dis-je. La bonne, c’est que… je crois bien que j’ai retrouvé vos cercueils.
— Et la mauvaise ?
Je sortis la poignée calcinée de ma poche.
— La mauvaise, c’est que… je crois bien que voilà tout ce qu’il en reste.
Spiro contempla la poignée sans mot dire.
— Je ne saisis pas, fit-il au bout d’un moment.
— Hier soir, quelqu’un a cru bon de faire un feu de joie avec un lot de cercueils. Il les a tous entassés sur l’aire de chargement de la fabrique de tuyaux désaffectée, les a arrosés d’essence et a craqué une allumette. Ils étaient tous carbonisés, sauf un qui était suffisamment épargné pour qu’on puisse identifier les restes d’un cercueil dans une caisse.
— Vous avez vu tout ça ? Autre chose a brûlé ? Il y avait autre chose ? Des armes de contrebande, par exemple ?
— D’après ce que j’ai pu voir, non. Mais vous voulez peut-être aller vérifier par vous-même ?
— Bon Dieu de bon Dieu, s’exclama Spiro. Je ne peux pas m’absenter pour le moment. Qui baby-sitterait tous ces foutus Elks ?
— Louie ?
— Surtout pas. Il va falloir que vous me rendiez ce service.
— Ah, non. Pas question.
— Tout ce que vous aurez à faire sera de vous assurer qu’il y a du thé chaud en quantité suffisante et de dire un tas de poncifs comme… les voies de Dieu sont impénétrables. Je serai de retour dans une demi-heure.
Il sortit son trousseau de clefs de sa poche.
— Qui était présent avec vous à la fabrique ?
— Le capitaine de la brigade des pompiers, un policier, un autre type que je ne connaissais pas, Joe Morelli et un groupe de pompiers qui remballaient leur matériel.
— Ils ont dit quelque chose de spécial ?
— Non.
— Vous leur avez dit que ces cercueils m’appartenaient ?
— Non. Et je ne vous garde pas la boutique. Payez-moi et je file.
— Il n’est pas question que je vous donne un sou tant que je n’ai pas vérifié de visu qu’il s’agit bien de mes cercueils. Après tout ce ne sont peut-être pas les miens. Vous avez peut-être inventé toute cette histoire.
— Une demi-heure, lui criai-je tandis qu’il s’éloignait. Pas plus !
J’allai vérifier que rien ne manquait sur la table à thé. Tout semblait en ordre. Eau chaude et biscuits à volonté. Je m’assis sur une chaise sur le côté et contemplai un bouquet de fleurs tout proche. Tous les Elks s’étaient rassemblés dans la nouvelle annexe avec feu Radiewski et le silence qui régnait dans le hall d’entrée me mettait mal à l’aise. Pas de magazine à feuilleter. Pas de télévision à regarder. Une musique mourante suintait de la stéréo.
Au bout de ce qui me parut quatre jours, Eddie Ragucci entra d’un pas nonchalant. Cet expert-comptable était un grand manitou chez les Elks.
— Où est la fouine ? demanda-t-il.
— Il a dû s’absenter. Il m’a dit qu’il n’en avait pas pour longtemps.
— Il fait beaucoup trop chaud dans le salon d’exposition. Le thermostat doit être déréglé. Le maquillage de Stan commence à dégouliner. Ce genre de choses n’arrivait jamais du temps de Constantin. Quelle pitié qu’il ait fallu que Stan nous quitte juste au moment où Tintin est à l’hôpital. Quand la malchance s’en mêle.
— Les voies de Dieu sont impénétrables.
— Ça c’est bien vrai.
— Je vais voir si je peux vous trouver l’assistant de Spiro.
J’appuyai sur quelques touches de l’interphone, criant « Louie » dans le haut-parleur et lui demandant de venir au plus vite dans le hall.
Il apparut au moment où j’en arrivais à la dernière touche.
— J’étais dans la salle d’embaumement dit-il.
— Il y a quelqu’un d’autre là-bas ?
— Le mort, Mr. Loosey.
— D’autres employés, je veux dire. Comme Clara, l’esthéticienne ?
— Non. Rien que moi.
Je le mis au courant pour la question du thermostat et lui demandai d’aller y jeter un coup d’œil. Cinq minutes plus tard, je l’entendais revenir de son pas traînant.
— Le bidule était tordu, dit-il. Ça arrive tout le temps. Ils s’appuient dessus et ils le tordent.
— Ça vous plaît de travailler dans les pompes funèbres ?
— Avant ça, je bossais dans une maison de retraite. Ici, c’est vachement plus tranquille : il n’y a qu’à les laver au jet. Et une fois qu’ils sont sur la table, ils bougent pas.
— Vous connaissiez Moogey Bues ?
— Pas avant qu’il soit tué. Il m’a fallu une bonne livre de mastic pour lui reboucher le crâne.
— Et Kenny Mancuso ?
— Spiro m’a dit que c’était Kenny qui avait tué Moogey Bues.
— Vous le connaissez ? Vous l’avez déjà vu traîner par ici ?
— Je le connais de vue, mais ça fait un bail que je l’ai pas croisé. Y en a qui racontent que vous êtes chasseuse de primes et que vous êtes après Kenny.
— Il ne s’est pas présenté au tribunal.
— Si jamais je le vois, je vous fais signe.