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— En voilà un qui ne perd pas de temps pour se mettre dans l’ambiance, dit Lula.

Vu le côté penché des guirlandes agrafées au petit bonheur la chance sur la façade et l’aspect fatigué du papa Noël, je me dis qu’il devait être toute l’année dans l’ambiance.

Il n’avait pas de garage et aucune voiture ne se trouvait dans l’allée ou devant la maison. Pas de lumière à l’intérieur. Tout semblait calme. Je laissai Lula dans la Buick et gagnai la porte d’entrée. Je frappai deux coups. Pas de réponse. La maison était de plain-pied. Aucun rideau n’était tiré. Louie Moon n’avait rien à cacher. Je fis le tour de la maison, regardant par les fenêtres. Les pièces étaient en ordre, meublées de bric et de broc. Pas de signes intérieurs de richesse. Pas de caisses de munitions empilées sur la table de la cuisine. Pas le moindre fusil d’assaut en vue. Apparemment, Louie Moon habitait seul. Une seule tasse, un seul bol dans l’égouttoir. Un seul côté du lit à deux places était défait.

Je n’avais aucune difficulté à imaginer Louie Moon vivant heureux dans sa petite maison bleue. J’envisageai d’entrer par effraction, mais ne pus rassembler assez de motivation pour passer à l’acte.

Il faisait humide et froid, et la terre était dure sous mes pieds. Je relevai le col de mon blouson et retournai à la voiture.

— Ça ne t’a pas pris longtemps, me dit Lula.

— Il n’y avait rien à voir.

— On enchaîne avec la baraque du croque-mort ?

— Oui.

— Encore heureux qu’il ne crèche pas là où il bosse. Je n’ai pas du tout envie d’aller fouiller dans leurs poubelles.

Le crépuscule était dense quand on arriva à Century Court. Les bâtiments à un étage étaient en briquette rouge ; les encadrements des fenêtres blancs. Les portes d’accès aux appartements étaient regroupées par groupes de quatre. Il y avait cinq groupes par bâtiment, donc vingt appartements au total. Dix en étage, dix en rez-de-chaussée.

L’appartement de Spiro était situé en bout de rez-de-chaussée. Pas de lumière aux fenêtres et sa voiture n’était pas au parking. Avec Constantin à l’hôpital, Spiro était obligé de faire des heures supplémentaires.

La Buick était reconnaissable et je ne tenais pas à me faire repérer par Spiro s’il lui prenait l’envie de faire un saut chez lui pour changer de chaussettes. Aussi j’allai me garer un peu plus loin.

— J’ai l’intuition qu’on va trouver du sérieux ici, me dit Lula.

— On va juste faire des repérages, lui dis-je. On ne fait rien d’illégal. Pas question de commettre une effraction.

— C’est sûr, dit Lula. Je sais bien.

On traversa le carré de pelouse qui jouxtait le bâtiment, nous approchant de l’appartement de Spiro l’air de rien, comme si on était sorties faire une balade. Les rideaux étaient tirés aux fenêtres de devant. On fit le tour. Là aussi, rideaux tirés. Lula essaya d’ouvrir la porte de derrière et les deux fenêtres. Verrouillées.

— C’est dégueulasse ! geignit-elle. Comment veux-tu qu’on trouve quoi que ce soit comme ça ? Et juste quand j’avais une intuition, en plus !

— Eh oui. J’aurais bien voulu pouvoir entrer.

Lula fit des moulinets avec son bras et projeta son sac dans la fenêtre, faisant voler la vitre en éclats.

— Quand on veut, on peut, dit-elle.

Je la regardai, bouche bée, et les mots finirent par franchir mes lèvres en un murmure strident.

— Je n’y crois pas ! Tu viens de casser sa vitre !

— Grâce à Dieu, oui, fit Lula.

— Je t’avais dit que je ne voulais rien faire d’illégal. On ne peut pas s’amuser à casser les vitres à la ronde !

— Cagney l’aurait fait, elle.

— Non, Cagney n’aurait jamais fait une chose pareille.

— Si !

— Non !

Elle fit coulisser la fenêtre et passa la tête à l’intérieur.

— Apparemment, y a personne. On ferait mieux de rentrer pour s’assurer que les bris de verre n’ont pas fait de dégât.

Elle avait réussi à enfourner son torse dans l’ouverture de la fenêtre.

— Ils pourraient prévoir plus large, ronchonna-t-elle. On peut à peine faire passer un gros gabarit dans mon genre dans ce machin.

Je me mordillai la lèvre inférieure, indécise. Devais-je la pousser en avant ou la tirer en arrière ? Elle me faisait penser à Winnie l’Ourson coincé dans le terrier du lapin.

Elle poussa un râle et soudain la partie inférieure de son corps disparut derrière le rideau. Quelques instants plus tard, la porte du patio s’ouvrit avec un déclic et le visage de Lula apparut dans l’entrebâillement.

— Tu comptes prendre racine ou quoi ? me dit-elle.

— Et si on se fait arrêter ?

— Bah, comme si t’avais jamais fait ça.

— Je n’ai jamais fracturé quoi que ce soit.

— Cette fois non plus. C’est moi qui l’ai faite cette effraction. Toi, tu vas te contenter d’entrer par la porte.

Vu sous cet angle, je n’avais rien à dire.

Je me glissai derrière le rideau de la porte et attendis que mes yeux s’habituent à l’obscurité.

— Tu sais à quoi ressemble Spiro ? demandai-je à Lula.

— Un rase-mottes à tête de rat ?

— Oui, c’est ça. Fais le guet devant et si tu le vois arriver, tu tapes trois coups.

Lula ouvrit la porte d’entrée et regarda au-dehors.

— Personne à l’horizon, dit-elle.

Elle sortit en refermant la porte. Je verrouillai les deux portes d’accès et allumai la lumière de la salle à manger, réglant le variateur au minimum. Je commençai par fouiller méthodiquement les placards de la cuisine. Puis je vérifiai que le réfrigérateur ne contenait aucun Tupperware suspect et passai la poubelle au peigne fin.

Je répétai l’opération dans le salon et la salle à manger sans rien découvrir d’intéressant. La vaisselle du petit déjeuner était encore empilée dans l’évier ; le journal du matin étalé sur la table. Une paire de mocassins noirs avait été abandonnée au pied de la télé. A part ça, rien à signaler. Pas d’armes, pas de clefs, pas de lettres de menaces. Pas d’adresses gribouillées sur le bloc-notes accroché à côté du téléphone mural de la cuisine.

J’allumai la lumière dans la salle de bains. Des vêtements jonchaient le sol. Même pour un million de dollars, je ne poserais pas les doigts sur le linge sale de Spiro. Et tant pis s’il y avait un indice dans une de ses poches. J’inventoriai le contenu de l’armoire à pharmacie et, d’un coup d’œil, celui du panier à linge. Rien.

La porte de sa chambre était fermée. Je l’ouvris en retenant mon souffle et faillis m’évanouir de soulagement en trouvant la pièce vide. Le mobilier venait de chez Ikea ; le couvre-lit était en satin noir. Au-dessus du lit, le plafond était carrelé en miroir. Des revues porno étaient posées sur une chaise à côté du lit. Un préservatif usagé était collé sur l’une des couvertures.

La première chose que je ferais en rentrant serait de me mettre sous une douche la plus chaude possible.

Un bureau était accolé au mur face à la fenêtre. Je repris espoir. Je m’assis dans le fauteuil de cuir noir et examinai les prospectus, factures et correspondance personnelle éparpillés sur le plateau ciré. Toutes les factures me parurent raisonnables, et la plupart du courrier concernait le salon funéraire. Il y avait quelques lettres de remerciements de récents endeuillés : « Cher Spiro, merci du prix abusif que vous accordez à mon chagrin. » Des messages téléphoniques avaient été notés sur tout ce qui était à portée de main… sur le dos des enveloppes et dans les marges des lettres. Aucune phrase du genre : « Menace de mort de Kenny. » Je recopiai les numéros anonymes et mis la liste dans mon sac pour enquête ultérieure.