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À ce stade, peut-être devrais-je m’en tenir aux délits de bas étage – vol à l’étalage ou conduite en état d’ivresse. Malheureusement, ces délits-là ne me rapporteraient pas assez pour joindre les deux bouts.

Je fis une séance supplémentaire de flagellation mentale dans l’ascenseur puis dans le couloir jusqu’à ma porte sur laquelle je trouvai un Post-it signé Dillon, mon gardien. « J’ai un paquet pour toi », y lus-je.

Je fis demi-tour et repris l’ascenseur jusqu’au sous-sol. Je débouchai dans un petit vestibule où se trouvaient quatre portes closes fraîchement repeintes en gris cuirassé. La première donnait sur des salles communes à la disposition des locataires ; la deuxième, sur la salle des chaudières avec ses grondements et gargouillements de mauvais augure ; la troisième, sur un long couloir et des pièces consacrées à l’entretien de l’immeuble ; et la quatrième, sur l’appartement de fonction de Dillon.

Cet endroit ravivait toujours mes tendances claustrophobes. Dillon, lui, disait que ça lui plaisait d’habiter ici, qu’il trouvait tous ces bruits apaisants. Un autre Post-it était collé sur sa porte, signalant qu’il serait de retour à cinq heures.

Je remontai à mon appartement, donnai à Rex quelques raisins secs et une chips, et pris une longue douche bien chaude. J’en ressortis rouge comme une écrevisse et l’esprit vaseux. Je m’écroulai sur mon lit et réfléchis à mon avenir. Une réflexion de courte durée. Quand je me réveillai, il était six heures moins le quart et quelqu’un tambourinait à ma porte.

Je me drapai dans un peignoir, gagnai ma porte sur la pointe des pieds et collai mon œil au judas. C’était Joe Morelli. J’entrouvris la porte sans retirer la chaîne de sécurité et le jaugeai.

— Tu me sors de la douche, lui dis-je.

— Je te serais reconnaissant de bien vouloir me faire entrer avant que Mr. Wolesky ne sorte me cuisiner pendant des heures.

Je libérai la chaîne et lui ouvris.

Morelli entra, un fin sourire aux lèvres.

— A faire peur, tes cheveux, me dit-il.

— Je me suis vaguement assoupie dessus.

— Pas étonnant que tu n’aies pas de vie sexuelle. C’est que ça vous découragerait n’importe quel homme de se réveiller le matin pour voir une tignasse pareille.

— Va t’asseoir au salon et ne bouge que lorsque je te le dirai. Ne touche pas à ma bouffe, ne fais pas peur à Rex et ne passe pas de coups de fil longue distance.

Lorsque je ressortis de ma chambre, dix minutes plus tard, je le retrouvai qui regardait la télévision. J’avais mis une robe grand-mère sur un tee-shirt blanc, des bottillons à lacets marron et un cardigan à grosses mailles trop grand pour moi. C’était mon look Annie Hall dans lequel je me sentais très féminine ; pourtant, il avait toujours sur les hommes l’effet opposé à celui escompté. Mon look Annie Hall décourageait les érections les plus tenaces. Encore plus efficace qu’une giclée de gaz lacrymogène sur un violeur potentiel.

J’enroulai l’écharpe de Morelli autour de mon cou, enfilai une veste et la boutonnai. Je pris mon sac. Éteignis la lumière.

— Qu’est-ce qu’on ne va pas entendre si on arrive en retard, dis-je.

Morelli me rejoignit dans le couloir.

— A ta place, je ne m’en ferais pas, dit-il. Quand ta mère va te voir dans cette tenue, elle en oubliera l’heure.

— C’est mon look Annie Hall.

— J’ai plutôt l’impression de voir un beignet à la confiture dans un sachet étiqueté muffin au son.

Je fonçai dans le couloir et pris l’escalier. En arrivant au rez-de-chaussée, je me souvins du paquet qui m’attendait chez Dillon.

— Attends une minute, criai-je à Morelli. Je reviens tout de suite.

Je dévalai les marches du sous-sol et cognai à la porte de chez Dillon.

Il ouvrit.

— Je suis en retard, je viens chercher mon paquet, lui dis-je.

Il me tendit une grosse enveloppe envoyée en express et je remontai par l’escalier en courant.

— À trois minutes près, un rôti cocotte peut être un délice ou un désastre, dis-je à Morelli, le prenant par la main et l’entraînant à travers le parking jusqu’à sa camionnette.

Finalement, je m’étais dit que je ferais mieux de monter en voiture avec lui. Si nous tombions dans des bouchons, il pourrait toujours utiliser son gyrophare.

— Tu as un gyro là-dessus ? lui demandai-je, montant à bord.

— Oui, me répondit Morelli en attachant sa ceinture, mais ne compte pas sur moi pour m’en servir pour les beaux yeux d’un rôti cocotte.

Je me retournai sur le siège pour regarder par la vitre arrière.

Morelli jeta un regard de côté dans le rétro extérieur.

— Tu cherches Kenny ? me demanda-t-il.

— Je suis sûre qu’il est là. Je le sens.

— Je ne vois personne.

— Ce n’est pas pour autant qu’il n’est pas ici. Il est doué pour jouer à l’Homme invisible. Il rentre chez Stiva ni vu ni connu et il découpe un mort en morceaux. Il me repère devant chez Julia Cenetta et dans le parking du motel sans que je le voie venir. Et maintenant, j’ai l’horrible sensation qu’il me surveille, qu’il me suit partout, qu’il est tout près.

— Pourquoi s’amuserait-il à ça ?

— Il se trouve que Spiro a eu l’heureuse idée de lui dire que je le tuerais s’il continuait à me harceler.

— Aïe.

— Mais je suis sans doute un peu parano.

— Les paranos n’ont pas toujours tort.

Morelli s’arrêta à un feu rouge. La montre à affichage numérique du tableau de bord indiquait 5 : 58. Je fis craquer mes articulations, et Morelli me lança un regard amusé.

— Oui, dis-je, ma mère me rend nerveuse, et alors ?

— Ça fait partie de son boulot. Tu ne devrais pas le prendre à titre personnel.

On quitta Hamilton Avenue pour entrer dans le Bourg, et la circulation disparut comme par enchantement. Pas de lumières de phares derrière nous. Pourtant, je ne pouvais me débarrasser du sentiment que Kenny était là et m’avait à l’œil.

Ma mère et mamie Mazur nous attendaient sur le seuil. Je les regardais tandis que Morelli manœuvrait pour garer la voiture. D’habitude, c’étaient leurs différences qui me frappaient de prime abord, mais aujourd’hui, ce furent leurs similitudes qui me sautèrent aux yeux. Elles se tenaient toutes les deux très droites, les épaules en arrière ; un maintien altier qui, je le savais, était aussi le mien. Leurs mains étaient jointes devant elles et leur regard impassible était fixé sur nous. Elles avaient un visage rond, des paupières lourdes. Des yeux de Mongol. Mes ancêtres hongrois étaient originaires des steppes. Il n’y avait pas un seul citadin parmi eux. Ma grand-mère et ma mère, qui étaient des femmes petites, s’étaient tassées avec l’âge.

Elles avaient une ossature très fine, menue, et des cheveux de bébé. Elles devaient sans doute descendre de gitanes pouponnées en roulotte.

Moi, de mon côté, j’évoquais plutôt une fille de ferme n’ayant plus que la peau sur les os à force de manier la charrue.

Je soulevai ma jupe pour sauter de la camionnette et ma mère et ma grand-mère eurent un mouvement de recul.

— Mais qu’est-ce que c’est que cette tenue ? s’écria ma mère. Tu n’as pas de quoi t’acheter des vêtements ? Tu en es à porter ceux des autres ? Frank, il va falloir que tu donnes de l’argent à ta fille. Elle n’a pas de quoi s’habiller.