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— Tu veux entrer ou tu préfères rester sur la touche ? me demanda-t-il.

— Je préfère t’attendre ici.

Il prit l’enveloppe, le pénis et un des sacs du fast-food.

— Je fais au plus vite, me dit-il.

Je lui donnai le bout de papier sur lequel j’avais recopié les infos concernant les armes et les munitions que j’avais trouvées chez Spiro.

— Je suis tombée sur de la quincaillerie dans la chambre de Spiro, lui dis-je. Vérifie si elle ne viendrait pas de Braddock par hasard.

L’idée d’aider Morelli alors que lui-même ne me disait pas tout ce qu’il savait ne m’enchantait guère, mais je n’avais pas d’autre moyen de déterminer l’origine de ces armes. De plus, s’il s’agissait bien des armes volées, Morelli me serait redevable.

Je le regardai faire un petit jogging jusqu’à la porte latérale qui s’ouvrit, dessinant brièvement un rectangle de lumière sur la façade en brique obscurcie par la nuit. Elle se referma. Je sortis mon cheeseburger de sa boîte en me demandant si Morelli allait devoir convoquer des proches du défunt pour l’identification de la partie du corps. Louie Moon ou Mrs. Loosey. J’espérais qu’il aurait la délicatesse de retirer l’épingle à chapeau avant de présenter l’objet à la veuve.

J’engloutis le cheeseburger et les frites et m’attaquai au milk-shake. Tout était calme dans le parking et dans la rue. Il régnait dans la camionnette un silence assourdissant. J’écoutai un moment le souffle de ma respiration. Je furetai dans la boîte à gants et les pochettes des portières. Ne trouvai rien d’intéressant. À en croire l’horloge du tableau de bord, Morelli était parti depuis dix minutes. Je terminai mon milk-shake et remis tous les emballages dans le sac en papier. Bon, et maintenant, que faire ?

Bientôt sept heures. C’était l’heure des visites chez Spiro. Le moment idéal pour aller l’entretenir de la zigounette de Loosey. Malheureusement, j’en étais réduite à me tourner les pouces dans la camionnette de Morelli. Mon regard fut attiré par l’éclair lancé par les clefs qui pendillaient au contact. Et si j’empruntais la camionnette pour aller au salon funéraire ? Histoire de faire avancer l’enquête. Après tout, qui pouvait savoir combien de temps il faudrait à Morelli pour s’acquitter des formalités d’usage ? Si ça se trouve, j’allais être coincée là pendant des heures ! Nul doute que Morelli m’en saurait gré. D’un autre côté, si sa camionnette manquait à l’appel quand il sortirait, ça pourrait faire du vilain.

Je farfouillai dans mon sac et en extirpai un marqueur noir. Ne pouvant mettre la main sur le moindre bout de papier, j’écrivis un mot sur le côté du sac du Burger-King. Je reculai la camionnette de quelques mètres, posai le sac bien en évidence sur l’emplacement vide, remontai au volant et filai.

Toutes les lumières brûlaient chez Spiro où une foule de gens étaient assemblés sur le perron. Spiro faisait toujours salle comble le samedi. Le parking était complet et il n’y avait pas une seule place disponible à proximité dans la rue, aussi j’entrai en trombe dans l’allée « Réservée aux Véhicules Funéraires ». Je n’en avais que pour quelques minutes, et de plus, personne n’aurait l’idée de faire enlever par la fourrière une camionnette ayant un macaron de la police sur le pare-brise arrière.

Quand il m’aperçut, Spiro eut une réaction en deux temps. Un : le soulagement de me voir ; deux : la surprise devant ma tenue.

— Joli ensemble, me dit-il. On croirait que vous venez de descendre d’un autocar venant des Appalaches.

— J’ai des nouvelles pour vous, lui dis-je.

— Ah oui ? Moi aussi.

Il fit un signe de tête en direction de son bureau.

— Par ici, me dit-il.

Il traversa le hall à toute vitesse, ouvrit d’un grand coup la porte de son bureau et la referma aussi sec derrière nous.

— Tenez-vous bien, me dit-il. Vous ne devinerez jamais ce que ce con de Kenny a fait. Il est entré chez moi par effraction.

J’écarquillai les yeux, feignant la surprise.

— Non !

— Si. Vous vous rendez compte ? En cassant un carreau !

— Pour quelle raison se serait-il introduit chez vous ?

— Parce qu’il est dingue.

— Vous êtes sûr que c’est lui ? On vous a volé quelque chose ?

— Bien sûr que c’est Kenny ! Qui d’autre sinon ? Non, il ne manquait rien. Mon magnétoscope est toujours là, et mon appareil photo, et mon argent, et mes bijoux. C’est du Kenny tout craché. Quel salopard cette andouille !

— Vous avez porté plainte ?

— Ce qui se passe entre Kenny et moi ne regarde absolument pas la police. Pas de police !

— Vous auriez peut-être intérêt à changer de tactique.

Spiro plissa les yeux et me fixa d’un regard éteint et circonspect.

— Ah oui ?

— Vous vous souvenez du petit incident d’hier concernant le pénis de Mr. Loosey.

— Oui…

— Kenny me l’a envoyé par la poste.

— Sans blague ?

— En express.

— Qu’en avez-vous fait ?

— Morelli l’a porté à la police. Il était présent quand j’ai ouvert le paquet.

— Meeeeerde !

D’un coup de pied, il envoya valdinguer la corbeille à papier à travers la pièce.

— Merde, merde, merde, merde, et merde !

— Je ne comprends pas ce qui vous ennuie tant que ça là-dedans, dis-je d’une voix suave. C’est surtout un problème pour ce fou de Kenny. Vous n’avez rien à vous reprocher, après tout.

Ménage cet abruti, pensai-je. Vois un peu jusqu’où il va pousser le bouchon.

La colère de Spiro retomba comme un soufflé. Il me regarda, et en imagination, je visualisai un mini-engrenage se mettre en branle dans sa tête.

— Effectivement, dit-il. Je n’ai rien fait de mal. C’est moi la victime, en fait. Morelli sait-il que c’est Kenny qui a envoyé ce paquet ? Il y avait un mot à l’intérieur ? Le nom de l’expéditeur ?

— Non, rien de tout ça. Et il est difficile de dire ce que sait Morelli.

— Vous ne lui avez pas dit que ça venait de Kenny ?

— Je n’en ai pas la preuve, mais la chose a été embaumée, alors il est évident que la police va enquêter dans les milieux funéraires. Je suppose qu’elle voudra savoir pourquoi vous n’aviez pas signalé ce… hum, vol.

— Je ferais peut-être mieux de cracher le morceau. De leur dire que Kenny est complètement fou. De les mettre au courant pour le doigt et pour mon appartement.

— Et Constantin, vous le lui avez dit ? Il est toujours à l’hôpital ?

— Il sort aujourd’hui. Il a huit jours de convalescence puis il reprendra le travail, mais à mi-temps.

— Il ne va pas être ravi d’apprendre que ses clients se font découper en morceaux.

— À qui le dites-vous. Il n’arrête pas de me bassiner avec ses formules du genre « la dépouille est sacrée » et autres conneries. De vous à moi, quelle importance que ce pauvre Loosey n’ait plus sa queue, il ne risque plus d’en avoir besoin là où il est.

Spiro se laissa tomber sur le fauteuil de bureau capitonné et s’y avachit. Sa civilité de façade déserta ses traits, sa peau fine se tendit un maximum sur ses pommettes saillantes et ses lèvres se pincèrent au-dessus de ses dents pointues. Il se métamorphosait en Homme Rat. Sournois, grossier, mal intentionné. Impossible de dire s’il était né rongeur ou bien si des années de railleries subies dans des cours de récréation avaient assorti son âme à son visage.

— Vous connaissez ce vieux Tintin, dit Spiro, se penchant en avant. À soixante-deux balais, n’importe qui prendrait sa retraite, mais pas Constantin Stiva. Je serai mort de ma belle mort qu’il sera encore en train de lécher les culs ! C’est un animal à sang froid. Il respire le formol comme si c’était l’élixir de vie. Il tient le coup rien que pour me faire chier ! S’il avait pu avoir un cancer au moins. Mais non, juste une sciatique. Quel intérêt ? Personne ne meurt d’une sciatique.