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— Tu fais des heures sup’ ? lui demandai-je. Je croyais que les flics faisaient les trois-huit.

— On a des horaires flexibles à la Brigade des mœurs.

— Tu n’as pas de vie privée ?

Il haussa les épaules.

— J’aime mon boulot, dit-il. Quand j’ai besoin de faire un break, je pars en week-end à la plage ou je vais passer huit jours dans les îles.

Intéressant. Je n’avais jamais imaginé Morelli en amateur d’îles.

— Qu’est-ce que tu fais quand tu vas aux îles ? Qu’est-ce qui t’attire là-bas ?

— J’aime bien plonger.

— Et la plage ? À quoi tu passes le temps sur les plages de Jersey ?

Morelli sourit.

— Je me planque sous la promenade en planches et je me branle. Les vieilles habitudes ont la peau dure.

Autant j’avais du mal à imaginer Morelli plongeant du haut d’une falaise de la Martinique, autant la vision de lui se masturbant sous la promenade était claire comme de l’eau de roche. Je l’imaginais, gamin de onze ans tout excité traînant devant les bars de la plage, écoutant les orchestres, reluquant les femmes en débardeurs et shorts moulants. Et plus tard, se faufilant sous la promenade en planches avec son cousin Mooch, et tous deux se paluchant avant d’aller retrouver tonton Manny et tatie Florence et de rentrer au bungalow à Seaside Heights. Deux ans plus tard, il aurait substitué sa cousine Sue Ann Beale à son cousin Mooch, mais la routine de base resterait identique.

Je poussai la portière de la camionnette et sautai par terre d’un bond mal assuré. Le vent qui sifflait autour de l’antenne de Morelli fouetta ma jupe. Mes cheveux volèrent à travers mon visage en une explosion de boucles folles.

Une fois dans l’ascenseur, je tentai de les mater sous le regard impassible de Morelli, intrigué par les efforts que je faisais pour coincer cette belle pagaille dans un élastique que j’avais déniché dans la poche de ma veste. La porte de l’ascenseur s’ouvrit. Morelli sortit dans le couloir et attendit que j’aie trouvé ma clef.

— Spiro a très peur ? me demanda-t-il.

— Suffisamment peur pour me demander de le protéger.

— Ce n’est peut-être qu’un stratagème pour t’attirer chez lui.

Je me glissai dans l’entrée de mon appartement, appuyai sur l’interrupteur et ôtai ma veste.

— Un stratagème qui lui revient cher, fis-je remarquer.

Morelli alla tout droit à la télévision, l’alluma et zappa sur ESPN. Les maillots bleus des Rangers apparurent sur l’écran. Les Caps jouaient à domicile en blanc. J’assistai à une remise en jeu avant de filer à la cuisine pour voir si j’avais des messages sur mon répondeur.

J’en avais deux. Le premier était de ma mère qui me disait qu’elle avait entendu que la First National recherchait des caissières et de ne pas oublier de bien me laver les mains si j’avais touché Mr. Loosey. Le deuxième était de Connie. Vinnie, rentré de la Caroline du Nord, voulait que je passe à l’agence demain. Compte là-dessus. Vinnie se faisait du mouron pour la caution de Mancuso. Si je passais le voir, il me retirerait l’affaire pour la confier à un agent plus expérimenté que moi.

J’appuyai sur le bouton « off », pris un paquet de chips dans le placard et deux bières dans le frigo. Je me laissai tomber sur le canapé à côté de Morelli et posai les chips entre nous. On se serait cru un samedi soir chez un vieux couple.

À la moitié de la première mi-temps, le téléphone sonna.

— Alors, ça boume ? me dit mon correspondant. Morelli te prend par-derrière ? Il paraît qu’il aime ça. T’en es une sacrée, toi. Te faire à la fois Spiro et petit Joe.

— Kenny ?

— J’appelais juste pour savoir si ma pochette-surprise t’avait fait plaisir ?

— C’était super. Et quel était le but de la manœuvre ?

— Me marrer. Je te regardais pendant que tu ouvrais l’enveloppe. Bonne idée d’avoir fait participer la vioque. J’aime bien les vioques. On pourrait même dire que c’est ma spécialité. Faudra que tu demandes à Joe de te raconter ce que je leur fais aux petites vieilles. Non, attends, j’ai une meilleure idée : et si je te le montrais moi-même ?

— Tu es complètement malade, Kenny. Tu devrais te faire soigner.

— C’est ta mamie que je vais soigner. Et toi aussi peut-être. Je voudrais pas que t’aies l’impression que je te néglige. Au début, j’étais furax que tu fasses foirer mes petites affaires. Maintenant, je vois les choses sous un autre angle. Maintenant, je pense que je vais bien m’amuser avec toi et mamie Tourne-pas-Rond. C’est toujours mieux quand quelqu’un regarde en attendant son tour.

— Tu en profiterais pour me raconter comment Spiro s’y est pris pour arnaquer ses potes.

— Comment tu sais que ce n’est pas Moogey qui nous a arnaqués ?

— Il n’en savait pas assez long pour ça.

Cliquetis sur la ligne. Kenny avait raccroché.

Morelli, qui m’avait rejoint à la cuisine, se tenait debout à côté de moi, canette de bière en main, l’air dégagé mais le regard dur.

— C’était ton cousin, lui dis-je. Il voulait savoir comment j’avais réagi à son paquet-cadeau et me dire qu’il avait le projet de « s’amuser » avec ma grand-mère et moi.

Je me dis que je faisais une assez bonne imitation de la chasseuse de primes dure à cuire même si intérieurement je tremblais comme une feuille. Je n’avais pas l’intention de demander à Morelli de me raconter ce que Mancuso faisait subir aux vieilles dames. Je préférais ne pas le savoir. Et quoi que ce soit, je ne voulais pas que mamie Mazur le subisse.

Je téléphonai chez mes parents pour m’assurer que ma grand-mère était en sécurité à la maison. Oui, elle regardait la télévision, me dit ma mère. Je lui jurai que je m’étais lavé les mains et m’excusai de ne pouvoir venir pour le dessert.

Je troquai ma robe contre un jean, une chemise en flanelle et des tennis. Je pris mon .38 dans la boîte à biscuits, vérifiai qu’il était bien chargé, et le glissai dans mon sac.

Quand je revins dans le salon, Morelli donnait une chips à Rex dans le creux de sa main.

— Je vois que tu as mis ta tenue de combat, me dit-j il. J’ai entendu que tu ouvrais ta boîte à biscuits.

— Mancuso a proféré des menaces concernant ma grand-mère.

Morelli coupa les pattes aux Rangers.

— La frustration le rend nerveux… et con. C’était con de t’aborder à la galerie marchande ; con de s’introduire chez Stiva ; et très con de te téléphoner. Chaque fois qu’il fait un truc comme ça, il prend le risque de se faire repérer. Kenny peut être très rusé quand il est au mieux de sa forme, mais quand il perd, il n’obéit plus qu’à son amour-propre et à son impulsion. Il est en train de craquer parce qu’il s’est planté avec ses armes volées. Il cherche un bouc émissaire. Soit un acheteur lui avait versé une avance, soit il n’a pu livrer qu’un lot d’armes avant que le reste n’ait disparu. Je penche sur la théorie de l’acheteur. A mon avis, il est aux cent coups parce qu’il ne peut pas respecter le contrat et qu’il a claqué son avance.

— Il pense que Spiro a la marchandise.

— Ces deux-là vendraient père et mère pour sauver leur peau.

J’allais enfiler mon blouson quand le téléphone sonna. C’était Louie Moon.

— Il était ici, dit-il. Mancuso. Il est revenu et il a planté Spiro avec un couteau.

— Où est Spiro ?

— A l’hôpital St. Francis. Je l’ai emmené là-bas et je suis revenu fermer la boutique.

Un quart d’heure plus tard, Morelli et moi arrivions à l’hôpital. Deux policiers, Vince Roman et un nouveau que je ne connaissais pas, étaient en faction devant le bureau d’accueil des urgences, lestés de leurs ceinturons.