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Roche faillit s’étouffer.

— Merci, dit-il. Vous pensez à tout.

Je retournai auprès de Morelli pour lui faire part des dernières nouvelles. Il était invisible dans l’obscurité de l’habitacle de la camionnette.

— C’est inattendu, dit-il.

— Je pense que Kenny a les armes. Je pense qu’on a donné à Spiro une piste à suivre, qu’il a fait passer le message à Kenny et que Kenny a récupéré la marchandise. Et donc que maintenant, Spiro peut dormir sur ses deux oreilles.

— Possible.

— Je vais faire une petite visite à Sandeman, dis-je, sortant mes clefs de voiture. Au cas où il serait déjà rentré chez lui.

Je me garai non loin de l’immeuble de Sandeman, mais de l’autre côté de la rue. Morelli s’arrêta juste derrière moi. On resta quelques instants sur le trottoir à regarder l’immeuble qui se dressait devant nous, noir sur fond de ciel bleu nuit. Une lumière crue se déversait d’une fenêtre sans store du rez-de-chaussée. À l’étage, deux rectangles orangés attestaient d’une trace de vie dans les pièces côté rue.

— Il a quoi comme voiture ? me demanda Morelli.

— Une camionnette Ford et une moto.

Ni l’une ni l’autre n’étaient en vue. On fit le tour de l’immeuble en empruntant l’allée et on tomba sur la Harley. Aucune lumière côté cour. Le noir complet chez Sandeman, à l’étage. Personne n’était assis dans la véranda. La porte de derrière n’était pas fermée à clef. À l’intérieur, le couloir était faiblement éclairé par une ampoule nue qui pendait du plafond du hall d’entrée. Des échos d’un poste de télévision nous parvinrent des étages. Morelli s’attarda un moment dans l’entrée, à l’écoute, puis il monta au premier étage, puis au second. Là, régnaient le silence et l’obscurité. Morelli colla son oreille contre la porte de chez Sandeman. Il fit non de la tête. Aucun bruit chez lui.

Il alla à la fenêtre du palier qu’il ouvrit et regarda au-dehors.

— Entrer chez lui par effraction irait contre mes principes, dit-il. Alors que, pour moi, ce serait purement et simplement illégal.

Morelli jaugea la grosse torche électrique que j’avais en main.

— Évidemment, une chasseuse de primes est habilitée à entrer chez le hors-la-loi qu’elle poursuit.

— Seulement si elle a la certitude que l’individu en question est chez lui.

Morelli me regarda d’un air interrogateur. Je m’approchai et lorgnai l’escalier de secours.

— Ça m’a l’air très branlant, dis-je.

— Oui, j’ai remarqué. Il ne supporterait pas mon poids.

Et, me relevant le menton d’un doigt, il ajouta :

— Mais je parie qu’il portera sans problème un petit bout de chou comme toi.

On peut dire de moi que je suis beaucoup de choses, mais pas un petit bout de chou. Je pris une profonde inspiration et enjambai la fenêtre. L’escalier gémit sous mes pieds et des éclats de métal rouillé allèrent s’écraser par terre. Je poussai un juron à mi-voix et avançai à tout petits pas vers la fenêtre de chez Sandeman.

Je plaquai mes mains sur la vitre pour mieux voir à l’intérieur. Plus noir, tu meurs. Je tentai d’ouvrir la fenêtre. Elle n’était pas bloquée. Je poussai le châssis inférieur, il se releva… mais se coinça à mi-hauteur.

— Tu peux entrer ? me chuchota Morelli.

— Non. La fenêtre est coincée.

Je m’accroupis pour regarder par l’ouverture, promenant le faisceau de ma torche électrique tous azimuts. À première vue, pas de changement depuis ma dernière visite. Toujours le même foutoir, la même crasse, la même odeur nauséabonde de vêtements pas lavés et de cendriers archipleins. Aucune trace de lutte, ni de fuite, ni d’enrichissement.

Je décidai de faire une deuxième tentative avec la fenêtre. Je pris fermement appui sur mes pieds et poussai de toutes mes forces sur le cadre de bois. Des boulons se détachèrent du mur aux briques effritées et la galerie en lamelles de l’escalier de secours se pencha à un angle de quarante-cinq degrés. Les marches se démantelèrent, la rampe se descella, les fers d’angle cédèrent sous la pression et je dégringolai, pieds les premiers, dans le vide. Ma main rencontra une barre transversale, et par réflexe, s’y accrocha… dix secondes… au bout desquelles tout le deuxième étage de l’escalier de secours s’effondra sur le palier du premier. Il y eut un moment de silence qui me laissa le temps de murmurer : et merde !

Au-dessus de moi, je vis la tête de Morelli penchée à la fenêtre.

— Ne-bou-ge-pas !

Et BADABOUM ! Le premier étage de l’escalier de secours se descella de la façade et s’effondra par terre, m’entraînant dans sa chute. Je tombai à plat dos avec un woufff sonore qui me bloqua la respiration.

Je restai étendue, immobile, et le visage de Morelli réapparut bientôt au-dessus de moi, à quelques centimètres du mien cette fois.

— Nom de Dieu, Stéphanie, murmura-t-il. Dis-moi quelque chose.

Je regardai droit devant moi, incapable de parler, toujours incapable de respirer.

Morelli me prit le pouls à la carotide. Puis je sentis qu’il m’attrapait par les chevilles et me soulevait les jambes.

— Tu peux remuer les orteils ? me demanda-t-il.

Pas quand sa main remontait ainsi sur l’intérieur de ma cuisse. J’avais la sensation que ma peau était à vif sous sa paume, et que mes doigts de pied étaient recroquevillés par une crampe. Je m’entendis haleter.

— Si tes doigts montent plus haut, je t’attaque pour harcèlement sexuel, dis-je, dans un souffle.

Morelli se redressa et s’épongea le front.

— Tu m’as fichu une de ces trouilles, me dit-il.

— Qu’est-ce qui se passe, là ? cria-t-on d’une fenêtre. J’appelle les flics si vous continuez vos conneries. On a un décret antibruit dans le quartier !

Je me redressai sur un coude.

— Fichons le camp, dis-je.

Morelli m’aida à me relever avec douceur.

— Tu es sûre que tu vas bien ? me demanda-t-il.

— Je crois que je n’ai rien de cassé.

Je plissai les narines.

— Qu’est-ce que c’est que cette odeur ? dis-je. Oh, non ne me dis pas que je me suis souillée !

Morelli me fit tourner devant lui.

— Hou là ! s’exclama-t-il. À vue d’œil, un des locataires doit avoir un gros toutou, un très gros toutou, et j’ai bien l’impression que tu es tombée en plein dans le mille !

J’ôtai mon blouson et le tins à bout de bras.

— Ça va, là ?

— Oui, à part les éclaboussures que tu as sur ton jean.

— Pas ailleurs ?

— Non, à part dans tes cheveux.

Cette nouvelle me propulsa dans un état hystérique.

— Retire-moi ça ! Retire-moi ça ! RETIRE-MOI ÇAAAAAA !

Morelli me plaqua une main sur la bouche.

— Chut.

— Re-ti-re-moi-ça.

— Comment veux-tu que je fasse ? Il faut que tu te laves les cheveux.

Il me tira vers la rue.

— Tu peux marcher ?

Je titubai à sa suite.

— Bon, ça va, fit Morelli. Continue comme ça. Tu seras à la camionnette en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Et après, je t’emmène à la douche. Une ou deux heures de récurage, et tu brilleras comme un sou neuf.

— Un dessous neuf ?

Mes oreilles bourdonnaient et ma voix me semblait venir de très loin… comme si j’avais la tête dans un bocal. Un dessous neuf ?

On arriva à la camionnette et Morelli ouvrit les portes arrière.

— Tu ne vois pas d’inconvénient à voyager à l’arrière ? me demanda-t-il.

Je le dévisageai, la tête vide. Morelli me braqua la torche électrique dans les yeux.

— Tu es sûre que ça va ?