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— En billets d’avion ?

— Non.

Il me tendit le relevé.

— Regarde par toi-même.

— Surtout des vêtements. Des boutiques du coin.

Je posai le relevé sur le comptoir.

— Au sujet de ces numéros de téléphone…

Morelli avait la tête plongée dans le sac à provisions.

— N’est-ce pas la tarte aux pommes que je vois là ? dit-il.

— Si tu y touches, tu es un homme mort.

Morelli me prit par le menton.

— J’adore quand tu joues les dures. J’aimerais bien rester pour en profiter davantage, mais il faut que je file.

Il sortit, longea le couloir et fut happé par l’ascenseur. C’est en entendant le bruit métallique de la porte qui se refermait que je me rendis compte qu’il avait emporté la facture de téléphone de Kenny. Je me frappai le front.

— Han !

Je réintégrai mon appartement, tournai les verrous, me déshabillai sur le chemin de la salle de bains, et me glissai sous le jet fumant de la douche. Ensuite, je dénichai une chemise de nuit en flanelle, me séchai les cheveux avec une serviette et trottinai pieds nus jusqu’à la cuisine.

Je mangeai deux parts de tarte aux pommes, en donnai quelques miettes à Rex, puis allai me coucher, songeant aux cercueils de Spiro. Il ne m’avait rien raconté outre le fait que ces cercueils avaient disparu et qu’il fallait les retrouver. Je m’étonnai que quelqu’un puisse égarer vingt-quatre cercueils, mais je suppose que rien n’est impossible. Je lui avais promis de revenir sans mamie Mazur pour que nous puissions discuter des détails de l’affaire en toute tranquillité.

Je me tirai du lit à sept heures et jetai un coup d’œil par la fenêtre. Il ne pleuvait plus mais le ciel était encore assez couvert et assez sombre pour évoquer la fin du monde. J’enfilai un short, un sweat-shirt et laçai mes chaussures de course. Le tout avec autant d’enthousiasme que si je me préparais à m’immoler par le feu. Je me forçais à faire un jogging au moins trois fois par semaine, et il ne m’était jamais venu à l’idée que j’aurais pu y trouver du plaisir. Je courais pour brûler les quelques bières que je buvais et parce que ça pouvait toujours servir pour rattraper les voyous.

Je fis un parcours de cinq kilomètres, arrivai chancelante dans le hall d’entrée et remontai chez moi par l’ascenseur. Pas la peine d’en rajouter côté remise en forme.

Je mis la machine à café en route et passai en coup de vent sous ma douche. J’enfilai un jean et une chemise en jean, ingurgitai une tasse de café et convins avec Ranger de le retrouver pour le petit déjeuner une demi-heure plus tard. J’avais mes entrées dans les bas-fonds du Bourg, mais Ranger avait ses entrées dans les bas-fonds des bas-fonds. Il connaissait les dealers, les macs et les trafiquants d’armes. Cette affaire Kenny Mancuso commençait à sentir le roussi, et je voulais savoir pourquoi. Non que cela entre dans mes prérogatives. Mon rôle était simple : retrouver Kenny et l’arrêter. Le problème venait de Morelli. Je ne lui faisais pas confiance et je ne supportais pas l’idée qu’il puisse en savoir plus long que moi.

En arrivant au coffee-shop, je trouvai Ranger déjà installé à une table. Il portait un jean noir, des bottes de cow-boy noires hyper brillantes en serpent repoussé main, et un tee-shirt qui lui moulait avantageusement les pectoraux et les biceps. Un blouson en cuir noir était suspendu de guingois au dossier de sa chaise, alourdi d’un côté par un renflement de mauvais augure.

Je commandai un chocolat chaud et des crêpes à la myrtille avec un supplément de sirop.

Ranger prit un café et un demi-pamplemousse.

— Que se passe-t-il ? me demanda-t-il.

— Tu as entendu parler des coups de feu tirés à la station-service de Hamilton Avenue ?

Il fit oui de la tête.

— Moogey Bues s’est fait buter.

— Tu sais par qui ?

— Pas le plus petit suspect en vue.

Le chocolat chaud et le café arrivèrent. J’attendis que la serveuse se fut éloignée pour poser ma question suivante.

— Qu’est-ce que tu as ?

— Un très mauvais pressentiment.

Je bus une gorgée de chocolat chaud.

— Oui, moi aussi. Morelli dit qu’il recherche Kenny pour rendre service à sa mère. Je crois qu’il y a autre chose.

— Oh, oh, fit Ranger. Tu as encore lu une aventure d’Alice ?

— Quel est ton avis ? Tu as entendu quelque chose de bizarre sur Mancuso ? Tu penses que c’est lui qui a tiré sur Moogey Bues ?

— Je pense que ce n’est pas ton problème. Tout ce que tu dois faire, c’est trouver Kenny et le ramener.

— Malheureusement, je n’ai plus de miettes de pain à suivre pour retrouver mon chemin.

La serveuse apporta mes crêpes et le demi-pamplemousse de Ranger.

— Miam-miam, il a l’air bon, dis-je, lorgnant le pamplemousse tout en arrosant mes crêpes de sirop. La prochaine fois, j’en prendrai peut-être un.

— Sois prudente, me dit Ranger. Rien n’est plus affreux qu’une grosse vieille Blanche.

— Tu ne m’aides pas beaucoup sur cette affaire.

— Que sais-tu sur Moogey Bues ?

— Qu’il est mort.

Il mangea un quartier de pamplemousse.

— Tu devrais chercher de ce côté-là.

— Et pendant ce temps, tu pourrais coller ton oreille par terre pour entendre qui approche.

— Mancuso et Moogey ne zonent pas forcément dans mon secteur.

— Tu peux toujours essayer.

— Exact. Je peux toujours essayer.

Je terminai mon chocolat et mes crêpes, et regrettai de ne pas avoir mis de pull car cela m’aurait permis de dégrafer le premier bouton-pression de mon jean. J’étouffai un renvoi et réglai l’addition.

Je retournai sur le lieu du crime et me présentai à Cubby Delio, le propriétaire de la station-service.

— J’y comprends rien, me dit-il. Ça fait vingt-deux ans que j’ai cette station-service et j’avais jamais eu le moindre problème.

— Moogey travaillait pour vous depuis combien de temps ?

— Six ans. Il a commencé, il était encore au lycée. Il va me manquer. Il était très attachant, et on pouvait compter sur lui. C’était toujours lui qui faisait l’ouverture, le matin. Je ne devais jamais m’inquiéter de rien.

— Il vous avait parlé de Kenny Mancuso ? Est-ce que vous connaissez le motif de leur dispute ?

Il fit non de la tête.

— Et sa vie privée ?

— J’en savais pas grand-chose. Il n’était pas marié. D’après ce que je sais, il avait des petites amies. Il vivait seul.

Il farfouilla dans des papiers qui se trouvaient sur son bureau, et en extirpa une liste du personnel écornée et maculée de traînées noirâtres.

— Tenez, son adresse, dit-il. Mercerville. Pas loin du lycée. Il venait de s’y installer. Dans une maison qu’il louait.

Je la recopiai, le remerciai de m’avoir reçue et retournai à ma Jeep. Je pris Hamilton Avenue jusqu’à Klockner Street, passai devant le lycée Stienert, et pris sur la gauche pour me retrouver dans un quartier de maisons individuelles aux jardins bien entretenus et clôturés pour la sécurité des petits enfants et des chiens. Toutes les façades étaient blanches et les éléments d’ornementation de couleurs discrètes. Peu de voitures garées dans les allées. C’était un quartier de familles à doubles revenus. Tout le monde était au travail à gagner l’argent nécessaire pour payer l’entretien des pelouses, les gages de Mademoiselle Labonne, et les frais de crèche ou de garderie de leur progéniture.

Lisant les numéros, j’arrivai à la maison de Moogey.

Elle était identique aux autres et ne présentait aucun signe du drame qui venait de se dérouler.

Je me garai, traversai la pelouse jusqu’à la porte d’entrée et frappai. Pas de réponse. Je m’y attendais. Je regardai par une petite fenêtre à côté de la porte mais ne vis pas grand-chose : un hall d’entrée parqueté, le départ d’un escalier moquetté, un couloir menant à une cuisine. Tout semblait en ordre.