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— Turistas, avec caméras. (Elle baisse la voix et s’adresse à moi sur le ton de la confidence :) Me pareció posible que estuvieran maricones.

— Des touristes gays, dis-je à Deborah.

Elle la fusille du regard puis s’en prend à moi, comme si elle pouvait nous forcer par la terreur à trouver une question vraiment utile. Mais même mon astuce légendaire peine à la tâche et je hausse les épaules.

— Je n’en sais rien, dis-je. Elle dit ne pas pouvoir t’en dire plus.

— Demande-lui où elle habite.

Une expression inquiète passe fugitivement sur le visage d’Arabelle.

— Je ne crois pas qu’elle voudra le dire.

— Et pourquoi, bordel ?

— Elle a peur que tu la dénonces à la Migra. (Arabelle fait un bond en entendant le mot.) À l’Immigration.

— Je sais ce que ça veut dire, la Migra, putain ! aboie Deborah. J’habite ici, oublie pas.

— Oui, mais tu as toujours refusé d’apprendre l’espagnol.

— Alors demande-lui de te le dire à toi. Je cède et me tourne vers Arabelle.

— Necesito su dirección.

— Porqué ? demande-t-elle, un peu affolée.

— Para ir a bailar, réponds-je. Pour aller danser.

— Estoy casada, glousse-t-elle. Je suis mariée.

— Por favor ? supplié-je avec mon plus beau sourire synthétique. Nunca por la Migra, de verdad.

Arabelle sourit, se penche et me chuchote son adresse. J’acquiesce. C’est un quartier d’immigrés d’Amérique centrale plus ou moins clandestins. Il est logique qu’elle habite là-bas et je suis sûr qu’elle ne ment pas.

— Gracias.

— Nunca por la Migra ? demande-t-elle, de nouveau inquiète.

— Nunca, assuré-je. Solamente para hallar este asesino. Seulement pour retrouver le tueur.

Elle acquiesce ; apparemment, pour elle, cela tient debout que j’aie besoin de son adresse pour trouver le tueur. Elle me sourit à nouveau.

— Gracias, dit-elle. Te creo. Je te crois.

Sa confiance en moi est vraiment très touchante, surtout qu’elle n’a aucune raison de me croire, en dehors de mon sourire cent pour cent toc. Du coup, je me demande si je ne devrais pas changer de métier – vendre des voitures ou même me présenter aux élections présidentielles.

— O.K., fait Deborah. Elle peut rentrer chez elle.

— Va a su casa, dis-je à Arabelle.

— Gracias.

Et, avec un immense sourire, elle tourne les talons et part presque en courant.

— Merde ! crache Deborah. Merde, merde et remerde !

Je lui jette un regard interrogateur et elle secoue la tête. Elle a l’air abattue, maintenant que colère et tension l’ont quittée.

— Je sais que c’est idiot, dit-elle, mais je pensais qu’elle aurait pu voir quelque chose. Et on ne risque pas de retrouver les touristes gays. À South Beach, il n’y a que ça.

— De toute façon, ils n’auront rien vu.

— En plein jour, personne n’aurait rien vu ?

— Les gens ne voient que ce qu’ils s’attendent à voir. Il a dû se servir d’une camionnette de livraison, et ça aura suffi à le rendre invisible.

— Merde, alors, répète-t-elle, et le moment paraît mal choisi pour critiquer un répertoire aussi limité. J’imagine que tu n’as rien observé d’utile avec celui-là non plus.

— Laisse-moi prendre des photos et y réfléchir.

— Ça veut dire quoi ?

— Ce n’est pas un non définitif. Juste un sous-entendu.

— Alors devine ce que ça implique, ça.

Et elle me fait un doigt d’honneur avant de tourner les talons pour examiner le corps une fois de plus.

7

C’est étonnant, mais vrai : le coq au vin froid n’a pas aussi bon goût qu’on pourrait le penser. Le vin libère un relent de bière aigre, la viande est légèrement visqueuse et le tout devient une sinistre épreuve d’endurance devant des attentes amèrement déçues. Cependant, je suis tout ce qu’il y a de plus endurant et, quand je rentre à la maison vers minuit, je m’administre une large portion de ce machin en faisant preuve de fortitude et de stoïcisme.

Rita ne se réveille pas lorsque je me glisse dans le lit, et je ne traînasse pas avant de m’endormir. J’ai l’impression d’avoir à peine eu le temps de fermer les yeux que le radio-réveil beugle sur la table de chevet pour annoncer le raz-de-marée d’épouvantables violences qui menace d’engloutir notre pauvre cité épuisée.

J’ouvre difficilement un œil : il est vraiment 6 heures et il faut se lever. J’ai un mal de chien à marcher jusqu’à la douche, et le temps que j’arrive à la cuisine Rita a déjà préparé le petit déjeuner.

— J’ai vu que tu avais mangé du coq au vin, dit-elle.

Je trouve le ton un peu lugubre et je me rends compte qu’un peu de pommade serait bienvenue.

— C’était délicieux, encore meilleur que celui qu’on a mangé à Paris.

Son visage s’éclaire un peu, mais elle secoue la tête.

— Menteur. Ce n’est pas bon froid.

— C’est que tu es une fée, alors : il était aussi bon que chaud.

Elle prend un air soucieux et balaie une mèche de son visage.

— Je sais que tu es obligé… enfin, ton boulot est… Mais j’aurais bien voulu que tu puisses le goûter quand… Mais je t’assure, je comprends. (J’aimerais pouvoir en dire autant. Rita dépose œufs au plat et saucisses devant moi, et désigne la petite télévision près de la machine à café.) Les infos du matin ne parlaient que de ça, de… C’est bien de ça qu’il s’agissait, hein ? Ils ont montré ta sœur qui disait… enfin, tu sais quoi. Elle n’avait pas l’air très contente.

— Elle n’est pas contente du tout. Ce que je ne trouve pas normal, étant donné qu’elle a un boulot vraiment passionnant et qu’elle passe à la télé. Qui pourrait en dire autant ?

Ma petite blague ne fait pas sourire Rita. Elle tire une chaise, s’assoit près de moi et, les mains jointes sur les genoux, prend un air encore plus soucieux.

— Dexter, il faut qu’on parle.

Mon étude approfondie de l’humain me permet de savoir que cette réplique a le don de glacer de terreur l’âme des hommes. Par bonheur, je n’ai pas d’âme, mais j’éprouve cependant un petit malaise face à ces paroles qui ne présagent rien de bon.

— Si vite après la lune de miel ? demandé-je, espérant détendre un tantinet l’atmosphère.

— Non, ce n’est pas… (Elle agite une main lasse et pousse un profond soupir.) C’est Cody, dit-elle enfin.

— Oh ! m’exclamé-je.

Je me demande bien ce que cela peut bien être. Cody me paraît aller très bien – mais il faut dire que, contrairement à Rita, je sais que Cody n’est pas du tout le petit garçon taciturne qu’il semble être, mais plutôt un futur Dexter.

— Il a l’air encore tellement… (Elle secoue la tête, baisse les yeux et la voix.) Je sais que son… père… a fait des choses qui… l’ont… blessé. Probablement changé pour toujours. Mais… (Elle lève vers moi des yeux embués de larmes.) Ce n’est pas normal qu’il soit encore comme ça. Tu ne trouves pas ? Il ne parle presque jamais et… J’ai simplement peur qu’il soit… tu sais…

(Une larme roule sur sa main et elle renifle.) Il pourrait rester… tu sais… pour toujours…

D’autres larmes rejoignent la première et, bien que je sois généralement impuissant face à toute émotion, je sais qu’il est de mon devoir de faire un quelconque geste rassurant.