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http://www.youtube.com/watch?v=991rj?42n

Voilà qui est très intéressant. Brandon souhaite partager avec moi ses vidéos. Mais de quel genre ? Peut-être s’agit-il de son groupe de rock préféré ? Ou bien d’un montage d’extraits de sa série télé favorite ? Ou d’autres images du genre de celles qu’il a envoyées à l’office de tourisme ? Voilà qui serait attentionné.

Et c’est avec un petit frisson de plaisir qui réchauffe l’emplacement où devrait se trouver mon cœur que je clique sur le lien et attends impatiemment l’ouverture de la fenêtre. J’appuie enfin sur PLAY.

D’abord, l’écran est tout noir. Puis une image pleine de grain apparaît, et ensuite un carrelage blanc filmé depuis une caméra fixée quelque part au plafond : le même angle que dans la vidéo envoyée à l’office de tourisme. Je suis un peu déçu : il m’envoie une copie d’un truc que j’ai déjà vu. Mais, soudain, j’entends un froissement. Quelque chose bouge dans le coin de l’écran. Une silhouette sombre entre dans le champ et laisse tomber quelque chose sur le carrelage.

Doncevic.

Et la silhouette sombre ? Dexter le Délicieux Dandy. Évidemment.

Mon visage n’est pas visible, mais aucun doute n’est possible. C’est bien mon dos, ma coupe à dix-sept dollars, le col de ma magnifique chemise noire soulignant ma précieuse nuque…

Ma déception cède la place à l’angoisse.

Je regarde ce Dexter du Passé se redresser, regarder autour de lui – sans tourner le visage vers la caméra, heureusement. Petit Malin. Dexter sort du champ. Le tas dans la baignoire bouge légèrement, puis Dexter revient et s’empare de la scie. La lame se met à tourner, le bras se lève…

Cut. Noir. Fin de la vidéo.

Je reste frappé d’une muette stupeur pendant de longues minutes. Du bruit dans le couloir. Quelqu’un entre dans le labo, ouvre un tiroir, le referme, ressort. Le téléphone sonne ; je ne réponds pas.

C’est moi. Sur YouTube. Dans toute ma splendeur et en couleurs, avec un peu de grain. Dexter le Danseur damné, désormais vedette d’un classique mineur du cinéma. Souris à la caméra, Dexter ! Fais un petit signe au gentil public. Je n’ai jamais été très fana des films maison, et celui-ci me laisse plus froid que jamais. Mais je figure dans l’un d’eux, et en plus il est posté sur YouTube pour que le monde entier puisse le voir et l’admirer. Je n’arrive pas à m’y faire. Mes pensées tournent en boucle. C’est moi ; ça ne peut pas être moi, mais ça l’est ; il faut que je réagisse, mais que puis-je faire ? Je ne sais pas, mais quelque chose – parce que c’est bien moi…

On ne pourra pas nier que l’affaire devient intéressante, n’est-ce pas ?

D’accord, c’est bien moi. D’évidence, il y avait une caméra dissimulée quelque part au-dessus de la baignoire. Weiss et Doncevic s’en servaient pour leurs travaux décoratifs et elle y était encore quand je suis entré. Ça signifie que Weiss est toujours dans les parages…

Mais non, pas du tout. C’est ridiculement simple de connecter une caméra à Internet et de la contrôler à distance par ordinateur. Weiss peut se trouver n’importe où et avoir récupéré la vidéo pour me l’envoyer…

Moi, ce précieux anonyme, Dexter le Très Modeste, qui œuvre dans l’ombre et ne recherche pas la moindre publicité de ses bonnes actions. Mais bien sûr, dans la hideuse clameur des médias qui avait accueilli toute cette histoire, y compris l’agression de Deborah, mon nom avait sûrement dû apparaître quelque part. Dexter Morgan, petit génie effacé de la police scientifique, frère de la presque assassinée. Il avait suffi d’une image, une seule, aux infos pour qu’il puisse me voir.

Une horrible boule glacée commence à se former dans mon ventre. C’est vraiment trop facile. Si simple qu’un décorateur dérangé a pu deviner qui j’étais et ce que je suis. À force d’avoir été trop longtemps un petit malin, je me suis habitué à être le seul tigre dans la forêt. Et j’ai oublié que, lorsqu’il n’y a qu’un tigre, c’est diablement facile pour le chasseur de suivre sa piste.

Et c’est ce qu’il a fait. Il m’a suivi jusqu’à mon antre et a filmé Dexter en pleine action.

Presque à contrecœur, je clique de nouveau et me repasse la vidéo.

C’est toujours moi. En plein dans l’écran. Moi.

Je respire un bon coup et je laisse l’oxygène opérer sa magie sur mon cerveau – ou du moins ce qu’il en reste. C’est un problème, c’est certain, mais il a sa solution, comme tous les autres. Il est temps d’appliquer la logique, de lancer à plein régime le bio-ordinateur glacial de Dexter. Alors : que veut ce type ? Pourquoi a-t-il agi ainsi ? Il cherche clairement à provoquer une réaction chez moi, mais laquelle ? Le plus évident est qu’il veut se venger. J’ai tué son ami – équipier ? amant ? Peu importe. Il veut que je sache qu’il sait ce que j’ai fait, et…

Et il m’a envoyé la vidéo, à moi, pas à quelqu’un qui pourrait vraisemblablement réagir, comme l’inspecteur Coulter. Cela signifie qu’il s’agit d’un défi personnel, qu’il n’a pas l’intention de le rendre public, du moins pas tout de suite.

Sauf que c’est public : la vidéo est sur YouTube, et il ne va pas s’écouler longtemps avant que quelqu’un tombe dessus par hasard. Donc, il y a un facteur temps. En conséquence, quel message m’adresse-t-il ? Trouve-moi avant qu’on te trouve, toi ?

Pour le moment, ça va. Et après ? Un duel comme dans les bons vieux westerns – scie électrique à dix pas ? Ou bien cherche-t-il seulement à me torturer, à m’obliger à le poursuivre jusqu’à ce que je commette une erreur ou qu’il se lasse et envoie tout aux infos du soir ?

C’est suffisant pour provoquer un semblant de panique chez l’homme du commun. Mais moi, Dexter, je suis fait d’un bois autrement plus solide. Il veut que je le recherche ? Mais il ignore que je suis docteur ès recherche. Si je suis moitié aussi bon que je m’autorise modestement à l’avouer, je vais le trouver plus vite qu’il ne se l’imagine. Très bien. Weiss veut faire joujou ? Je vais jouer.

Mais nous allons jouer selon les règles de Dexter, pas selon les siennes.

20

Commencer par le commencement a toujours été ma devise, principalement parce que cela tombe sous le sens – après tout, si on commençait par le milieu ou la fin, que deviendrait le début ? Cependant, les clichés sont là pour rassurer les esprits faibles, pas pour donner du sens. Et comme je me sens un peu faiblard entre les oreilles en ce moment, je trouve un peu de consolation à cette pensée tout en récupérant le dossier de Brandon Weiss.

Il n’y a pas grand-chose : une contravention pour stationnement interdit, qu’il a payée, et la plainte déposée contre lui par l’office de tourisme. Pas de mandat pour quoi que ce soit, aucun permis particulier hormis pour conduire, pas de permis de port d’arme – ou de port de scie électrique. Son adresse est celle que je connais, là où Deborah a été poignardée. En fouillant un peu plus, j’en trouve une ancienne à Syracuse, dans l’État de New York. Et, auparavant, il était à Montréal, au Canada. Une rapide vérification indique qu’il est encore de nationalité canadienne.

Pas de véritable piste ici. Rien qui mérite le statut d’indice. Je ne m’attendais pas à grand-chose, mais mon travail et mon père adoptif m’ont enseigné que l’acharnement est parfois récompensé. Et je ne fais que commencer.

L’étape suivante, trouver son adresse mail, est un peu plus difficile. Grâce à quelques manipulations un peu illégales, je pirate la liste des abonnés d’AOL et j’en découvre un peu plus. L’adresse du quartier Arts déco est toujours donnée comme son domicile, mais figure également un numéro de mobile. Je le note en cas de besoin pour plus tard. En dehors de cela, rien d’utile ici non plus. C’est étonnant, vraiment, qu’une entreprise comme AOL oublie de poser des questions simples et vitales comme : « Où vous cacheriez-vous si Dexter vous traquait ? »