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Moi et Cody.

Impossible de se méprendre sur sa silhouette familière. Ni sur le sens du message.

C’est très bizarre de me retrouver agenouillé devant une photo floue de moi avec Cody et de me demander si on risque de me voir la prendre. Je n’ai encore jamais dissimulé de preuves, mais il faut dire que je n’ai encore jamais figuré dessus non plus. Et il est clair que ceci m’est destiné, soyez prêts, et une photo. C’est un avertissement, un défi. Je sais qui tu es et je sais comment t’atteindre. Me voici.

SOYEZ PRETS.

Et je ne le suis pas. Je ne sais pas encore où peut se trouver Weiss et j’ignore ce qu’il compte faire, où et quand, mais je sais qu’il a quelques points d’avance sur moi et qu’il vient de faire considérablement monter les enchères. Ce n’est pas un cadavre volé, et il n’est pas anonyme. Weiss a tué Roger Deutsch, il ne s’est pas contenté de charcuter son cadavre. Et il a choisi soigneusement et délibérément sa victime de manière à me viser.

C’est une menace complexe, en plus. Car la photo y ajoute une autre dimension : elle signifie « Je peux t’atteindre », « Je peux atteindre Cody » ou « Je peux simplement dévoiler au grand jour ce que toi et moi savons sur toi ». Et, pour ne rien arranger, je sais que si je suis démasqué et balancé en taule Cody n’aura plus aucune protection contre les éventuels agissements de Weiss.

J’observe la photo, cherchant à déterminer si on peut m’identifier et si cela vaut la peine de prendre le risque de la subtiliser pour la détruire. Mais, avant que j’aie pu me décider, une invisible aile noire me frôle le visage et hérisse les poils de ma nuque.

Le Passager noir est resté bien silencieux depuis le début, se contentant de ricaner sous cape de temps à autre sans fournir la moindre observation pertinente. Mais, là, le message est clair et il fait écho à celui de la photo : SOIS PRÊT, TU N’ES PAS SEUL. J’ai alors la certitude que quelque part quelque chose m’observe en nourrissant des pensées malsaines, comme un tigre à l’affût de sa proie.

Lentement, prudemment, comme si j’avais juste oublié quelque chose dans la voiture, je me lève et retourne vers l’endroit où nous nous sommes garés. Je marche d’un air détaché tout en scrutant le parking ; sans rien chercher en particulier, je joue juste Dexter le Débile, qui trottine tout à fait normalement, et sous mon sourire nonchalant et distrait je fulmine, je cherche ce qui est en train de m’observer.

Et je trouve.

Là-bas, dans la rangée la plus proche, à une trentaine de mètres, meilleur point de vue, une petite voiture couleur bronze. À travers le pare-brise, quelque chose scintille : le soleil sur l’objectif d’une caméra.

Toujours aussi nonchalant et aux aguets, même si une lame commence à percer dans la noirceur qui bouillonne en moi, je m’avance vers la voiture. J’aperçois l’éclair de l’objectif qui se baisse, puis un pâle visage d’homme, et les ailes noires se mettent à battre avec violence durant une interminable seconde…

… et la voiture démarre, quitte en marche arrière son emplacement dans un petit crissement de pneus, avant de disparaître dans la circulation. Bien que j’aie tenté un sprint, je n’ai pu voir que la première moitié de la plaque d’immatriculation : OGA et trois chiffres, j’ignore lesquels, même s’il me semble que le deuxième est un 3 ou un 8.

Mais, avec le signalement de la voiture, c’est suffisant. Je vais enfin trouver à quel nom elle est enregistrée. Pas celui de Weiss, impossible. Personne n’est aussi stupide à notre époque, où les enquêtes policières pullulent dans les médias. Mais j’ai un petit espoir. Il est parti à toute vitesse pour ne pas se faire démasquer, et cette fois j’ai peut-être eu de la chance.

Je m’immobilise un instant, le temps que le vent déchaîné qui m’agite se calme et redevienne une petite créature enroulée sur elle-même qui ronronne doucement. Mon cœur bat comme rarement en journée, et je me rends compte que c’est très bien que Weiss ait détalé aussi vite. Après tout, qu’aurais-je pu faire d’autre ? Le sortir de sa voiture et le découper proprement en douze morceaux ? Ou le faire arrêter et jeter dans la voiture de patrouille pour qu’il puisse raconter à qui voudrait l’entendre tout ce qu’il sait de Dexter ?

Non, c’est parfait qu’il ait pris la fuite. Je vais le retrouver, et ce sera selon mes règles, à l’abri commode d’une nuit que j’ai hâte de voir arriver.

Je respire un bon coup, reprends ma plus belle simulation de sourire et retourne vers le tas de viande qui a brièvement été le chef scout de Cody.

Vince Masuoka est accroupi devant lui, mais, au lieu de s’activer utilement, il se contente de regarder cet étalage d’un air perplexe.

— Qu’est-ce que tu crois que ça veut dire ? demande-t-il en me voyant arriver.

— Aucune idée. Je vais juste analyser les traces de sang. Ce sont les inspecteurs qui sont payés pour deviner ce que ça veut dire.

Vince penche la tête et me regarde comme si j’avais sorti une énormité.

— Tu savais que c’était l’inspecteur Coulter qui était chargé de l’enquête ?

— Peut-être qu’ils le paient pour autre chose, alors.

Une petite lueur d’espoir naît en moi. J’avais oublié ce détail, qui a pourtant son importance. Avec Coulter chargé de l’enquête, je peux avouer le meurtre, lui montrer une vidéo accablante de moi en flagrant délit, et il trouvera toujours le moyen de ne rien prouver.

Je me remets donc au travail avec un semblant de bonne humeur, tempéré par une sincère impatience d’en finir au plus vite pour retourner à mon ordinateur traquer Weiss. Heureusement, il n’y a pas grand-chose à analyser ici en fait de traces de sang - Weiss est le genre de maniaque de la propreté que j’admire –, donc, pratiquement rien à faire. Je règle tout en un rien de temps et mendie une place dans une voiture de patrouille qui rentre. Le chauffeur, un gaillard aux cheveux blancs nommé Stewart, me parle de l’équipe des Dolphins pendant tout le trajet, sans vraiment se soucier de mon silence.

Mais, le temps d’arriver, j’ai appris des tas de choses fascinantes sur la prochaine saison de football, ce que nous aurions dû faire entre-temps, que nous avons mystérieusement réussi à merdouiller une fois de plus et qui va nous valoir une nouvelle saison de scandaleuses déconfitures. Je remercie Stewart pour la course et ces précieuses informations, et je file retrouver mon ordinateur.

Le fichier des immatriculations est l’un des outils de base du quotidien policier, autant dans la réalité qu’à l’écran, et c’est avec un petit frémissement de honte que je m’y attelle. Tout semble vraiment trop facile, comme si c’était tout droit sorti d’une niaise série télé. Bien sûr, si cela me permet de trouver Weiss, j’aurai moins l’impression de tricher, mais pour le moment j’ai vraiment envie de trouver un indice qui me permette de déployer ma ruse véritable. Mais nous travaillons avec les outils qu’on nous donne en espérant qu’on nous demandera plus tard de formuler des critiques constructives.

En un quart d’heure, j’ai passé au peigne fin toute la base de données de la Floride et trouvé trois voitures couleur bronze dont l’immatriculation comporte les lettres OGA. L’une d’elles est enregistrée à Kissimmee, ce qui fait un peu loin. L’autre est une Rambler de 1963, et je suis pratiquement sûr que j’aurais remarqué un modèle aussi rare.

Cela nous laisse la numéro trois, une Honda de 1995, enregistrée au nom de Kenneth A. Wimble, sur la 98e rue nord-ouest à Miami Shores. C’est un quartier modeste et relativement proche du quartier Arts déco, où Deborah a été poignardée. Cela ne fait pas très loin à pied ; donc, par exemple, si la police débarque dans votre petit nid de la 40e rue nord-est, vous pouvez facilement vous esquiver par-derrière et trouver quelques rues plus loin une voiture sans surveillance.