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Mais ensuite ? Si vous êtes Weiss, où conduisez-vous cette voiture ? À mon avis, loin de l’endroit où vous l’avez trouvée. En conséquence, le dernier endroit au monde serait la maison de la 98e rue.

Sauf s’il y a un lien quelconque entre Weiss et Wimble. Ce serait dès lors tout à fait naturel d’emprunter la voiture d’un ami. C’est juste pour faire un petit carnage, mon pote ; je te la rapporte dans deux heures.

Pour une raison que je ne m’explique pas, nous ne disposons pas d’un fichier national des amis. On aurait pu penser que le gouvernement l’aurait trouvé indispensable dans le cadre du Patriot Act et l’aurait fait passer en force au Congrès. En tout cas, cela me faciliterait bien la tâche en ce moment. Mais pas de veine. Si Weiss et Wimble sont effectivement copains, je vais devoir m’en rendre compte par moi-même en leur rendant une petite visite. Ce n’est de toute façon qu’une mesure de vigilance élémentaire. Mais, avant, je veux voir si je ne trouve rien sur Kenneth A. Wimble.

Une rapide vérification dans le fichier montre qu’il n’a aucun casier, du moins pas sous ce nom. Il paie ses factures, même si celle de gaz est souvent réglée en retard. En fouinant un peu, du côté des impôts, je découvre qu’il est free lance et exerce en tant que monteur vidéo.

Une coïncidence est toujours possible. Il survient quotidiennement des événements improbables et étranges, et nous les acceptons en nous grattant le crâne comme des péquenots perdus dans une grande ville et en nous extasiant. Mais, là, ça dépasse les bornes. Je traque un rédacteur pub qui a laissé une piste semée de vidéos et celle-ci me conduit à un monteur. Et, comme il arrive parfois à un enquêteur chevronné de devoir accepter que ce qu’il trouve n’est pas une coïncidence, je murmure à mi-voix : « Ah, ah ! » Je trouve aussi que ça fait très pro.

Wimble est impliqué dans cette affaire, complice de Weiss pour la fabrication et l’envoi des vidéos et, on peut donc le présumer, la mise en scène des cadavres et enfin le meurtre de Roger Deutsch. Dès lors, quand Deborah vient frapper chez lui, Weiss file chez son autre complice, Wimble. Un endroit où se cacher, une petite voiture couleur bronze à emprunter, et hop, on continue.

Très bien, Dexter. À cheval et en route. Nous savons où il est et le moment est arrivé de le pincer. Avant qu’il décide de publier mon nom et ma photo en une du Miami Herald. On y va. Allez !

Dexter ? Tu es là, mon vieux ?

Je suis là. Mais je me rends soudain compte, assez curieusement, que Deborah me manque vraiment. Voilà le genre de chose que je devrais faire avec elle – après tout, il fait jour et ce n’est pas véritablement le Domaine de Dexter. Dexter a besoin de l’obscurité pour s’épanouir et devenir le vrai boute-en-train de la soirée qu’il est au fond. Lumière du jour et traque ne font pas bon ménage. Avec le badge de Deborah, je pourrais rester caché, mais sans… Je ne suis pas vraiment inquiet, bien sûr, mais un peu mal à l’aise.

Cependant, je n’ai pas le choix. Deborah est à l’hôpital, Weiss et son cher ami Wimble se fichent de moi dans une maison de la 98e rue et le grand jour fait hésiter Dexter. Non, ça ne va pas. Du tout.

On se lève, on respire, on s’étire. Retournons, retournons à la brèche, cher Dexter. Cent fois sur le métier remettons notre ouvrage. Lève-toi et va. Je m’exécute, mais, alors que je gagne ma voiture, je ne parviens pas à dissiper mon malaise.

Il dure tout le long de la route jusqu’à la 98e rue, malgré l’apaisante violence de la circulation. Quelque chose cloche et Dexter se jette dedans. Mais cela reste un peu diffus, je continue en me demandant ce qui me tracasse dans un coin de ma tête. Est-ce juste la peur d’être en plein jour ? Ou bien mon subconscient me souffle-t-il que j’ai manqué un détail important qui va me retomber dessus dans pas longtemps ? Je ressasse tout cela mentalement et j’aboutis toujours à la même conclusion : tout est très simple, parfaitement logique, cohérent et correct, je n’ai d’autre choix qu’agir au plus vite, et pourquoi s’inquiéter ? Depuis quand Dexter a-t-il le choix ? Et, d’ailleurs, a-t-on vraiment le choix dans la vie, à part opter pour une glace plutôt que pour une tarte ?

Mais je sens tout de même des doigts invisibles me chatouiller la nuque quand je me gare à faible distance de chez Wimble. Pendant de longues minutes, je reste dans la voiture à observer sa maison.

La voiture couleur bronze est garée juste devant. Aucun signe de vie et pas le moindre entassement de morceaux de cadavres au pied des poubelles. Rien d’autre qu’une calme maison dans un quartier ordinaire de Miami, chauffée par le soleil de la mi-journée.

Et je me rends compte que plus je reste dans la voiture moteur éteint, plus je suis en train de cuire. Si je continue, une croûte dorée va se former sur ma peau. Je suis peut-être tiraillé par le doute, mais il faut que je me bouge tant qu’il reste encore assez d’air respirable dans la voiture.

Je descends et reste immobile à cligner des yeux dans la lumière et la chaleur écrasante, puis je m’éloigne de chez Wimble. Lentement, l’air détaché, je fais le tour du pâté de maisons pour inspecter l’arrière. Il n’y a pas grand-chose à voir. Une haie doublée d’un grillage dissimule la maison. Je termine mon tour, retraverse la rue et regagne ma voiture.

Je me replante là, toujours ébloui, avec la sueur qui me coule dans le dos, sur le front et dans les yeux. Je ne peux pas rester bien longtemps sans attirer l’attention. Je dois agir – soit m’approcher de la maison, soit remonter en voiture et rentrer chez moi pour guetter mon apparition aux infos du soir. Mais, avec cette petite voix agaçante qui continue de me souffler que quelque chose cloche, je m’attarde, jusqu’à ce que je sente un déclic en moi et que je cède. Très bien. Laissons les choses se faire, puisqu’il le faut. Cela vaut mieux que de rester à compter les gouttelettes de sueur qui tombent sur le sol.

Finalement, je me rappelle un détail utile et j’ouvre mon coffre. J’y ai laissé une planchette porte-formulaire. Elle s’est révélée précieuse durant mes précédentes enquêtes sur le quotidien des méchants. J’ai aussi une cravate à clip. D’expérience, on peut aller n’importe où, de jour comme de nuit, sans que personne ne pose de questions, avec une cravate à clip et un porte-formulaire. Par chance, aujourd’hui, j’ai mis une chemise. J’arrime la cravate, m’arme de ma planchette et d’un stylo, et je remonte la rue vers la maison de Wimble. Je suis un employé ordinaire venu faire son travail.

Un coup d’œil en haut de la rue : elle est arborée, et plusieurs jardins abritent des arbres fruitiers. Parfait : aujourd’hui, je serai l’inspecteur Dexter, du service d’inspection des arbres. Cela va me permettre d’approcher la maison sous le couvert d’une activité à peu près logique.

Et ensuite ? Puis-je vraiment entrer et prendre Weiss par surprise, en plein jour ? Le soleil éclatant laisse penser que ce sera peu probable. Il n’y a pas de réconfortante obscurité ni d’ombres propices à la dissimulation. Je suis bien visible, totalement à découvert, et, si Weiss jette un coup d’œil par sa fenêtre et me reconnaît, la partie est pliée avant même d’avoir commencé.

Mais ai-je le choix ? C’est lui ou moi, et si je n’agis pas lui peut faire des tas de choses, à commencer par me dénoncer, puis s’en prendre à Cody, à Astor ou à Dieu sait qui. Il faut que je prenne les devants et l’arrête.

Et, alors que je me redresse pour reprendre mon chemin, une pensée très malvenue surgit : est-ce ainsi que me considère Deborah ? Me perçoit-elle comme une sorte de sauvage obscénité qui se fraie un chemin à coups de lame avec une férocité aveugle ? Est-ce pour cela qu’elle est si mécontente de moi ? Parce qu’elle s’est forgé l’image d’un monstre insatiable ? C’est si pénible à envisager que, l’espace d’un instant, je suis paralysé. C’est injuste, totalement infondé. Bien sûr que je suis un monstre, mais pas de cette espèce-là. Je suis soigné, concentré, poli et très soucieux de ne pas gêner les touristes en laissant traîner des morceaux de cadavres. Comment peut-elle ne pas s’en rendre compte ? Comment pourrais-je lui faire comprendre la beauté bien ordonnée de ce que Harry a conçu pour moi ?