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Cependant, je lui ai demandé son aide, et maintenant je suis coincé. Je ne peux donc pas faire grand-chose, hormis bonne figure.

— C’est très bien, tout cela, dis-je avec un sourire encourageant qui ne trompe personne, même pas moi. Quand est-ce qu’on commence ?

— Quand il arrivera, ricane Chutsky en rangeant les armes et en me tendant la valise. Tu peux la mettre dans le placard ?

Je la prends, mais lorsque je tends la main pour ouvrir le placard j’entends un léger bruissement d’ailes dans le lointain. Je me fige. Qu’est-ce que c’est ? Un imperceptible tressaillement, l’éveil d’une sensation, pas plus.

Je sors donc de la valise mon ridicule pistolet et le braque tout en tendant la main vers la poignée. J’ouvre la porte et, l’espace d’un instant, je reste immobile à en fixer l’intérieur plongé dans le noir, en attendant que l’obscurité déploie ses ailes protectrices au-dessus de moi. C’est une image impossible, irréelle – mais, après ce qui me paraît une éternité, je suis bien obligé d’y croire.

C’est Rogelio, l’ami réceptionniste de Chutsky, censé nous prévenir de l’arrivée de Weiss. Mais il n’a pas l’air très disposé à nous dire grand-chose, sauf si nous communiquons avec lui en faisant tourner des tables. Parce que, si l’on doit se fier aux apparences, avec la ceinture serrée autour de son cou, sa langue qui pend et ses yeux exorbités, Rogelio est plus que mort.

— Qu’est-ce qu’il y a, mon pote ? demande Chutsky.

— Je crois que Weiss est déjà arrivé.

Chutsky se lève péniblement et vient me rejoindre. Il regarde un moment le cadavre, laisse échapper un juron, puis tâte le pouls, ce que j’estime inutile, mais peut-être que c’est l’usage. Évidemment, il n’en trouve pas.

— Putain de merde ! Putain de merde ! s’exclame-t-il.

Je ne vois pas en quoi prononcer ces mots deux fois peut nous aider, mais après tout, puisque c’est lui l’expert, je le laisse fouiller dans les poches de Rogelio.

— Son passe, dit-il en l’empochant. (Il trouve les babioles habituelles – clés, mouchoir, peigne, un peu d’argent, qu’il examine soigneusement.) Dix dollars canadiens. On dirait que quelqu’un lui a filé un pourboire, hein ?

— Tu veux parler de Weiss ?

— Combien tu connais de Canadiens sanguinaires ?

C’est juste. Étant donné que la saison de hockey est terminée, je n’en vois qu’un : Weiss.

Chutsky sort une enveloppe de la poche intérieure de Rogelio.

— Bien vu, dit-il en me la tendant. B. Weiss, chambre 865. Je pense que ce sont des bons pour des consommations gratuites. Ouvre-la.

J’obéis et trouve effectivement deux bons pour des consommations au Cabaret parisien, le célèbre établissement de l’hôtel.

— Comment tu as deviné ? demandé-je.

Chutsky termine sa fouille et se redresse.

— J’ai déconné, dit-il. Quand j’ai indiqué à Rogelio que c’était l’anniversaire de Weiss, il a dû vouloir faire mousser l’hôtel et en profiter pour récupérer un pourboire. Vingt dollars, dit-il en me montrant le billet, c’est un mois de salaire. On ne peut pas lui en vouloir. Bref, j’ai déconné et il est mort. On est dans une merde noire jusqu’aux yeux.

Bien qu’il ne saisisse pas vraiment la portée de cette métaphore, je comprends ce qu’il veut dire. Weiss sait que nous sommes ici, nous ignorons totalement ce qu’il mijote et nous avons un cadavre très gênant dans notre placard.

— Très bien, dis-je. (Et, pour une fois, je suis heureux de bénéficier de son expérience – ce qui implique évidemment qu’il ait déjà merdé et trouvé des cadavres étranglés dans son placard, mais il est certainement plus aguerri dans ce domaine que moi.) Qu’est-ce qu’on fait ?

— D’abord, on inspecte sa chambre. Il s’est sûrement barré, mais on serait vraiment cons de pas aller voir. On connaît le numéro et il sait pas forcément qu’on est au courant. Et s’il est là – faudra, comment tu as dit ? jouer à OK Corral.

— Et dans le cas contraire ? demandé-je, car j’ai l’impression que Rogelio est un cadeau d’adieu et que Weiss est déjà loin.

— S’il est pas dans sa chambre, et même s’il y est et qu’on le liquide, dans un cas comme dans l’autre, mon pote, désolé de te l’annoncer, mais les vacances sont finies. Tôt ou tard, ça va se savoir, ajoute-t-il en désignant Rogelio, et là ça va se gâter salement. Faut qu’on se tire.

— Et Weiss, alors ? S’il est déjà parti ?

— Va falloir qu’il dégage vite fait. Il sait qu’on est sur ses traces, et quand le corps de Rogelio sera découvert il y aura bien quelqu’un pour se rappeler les avoir vus ensemble. Je pense qu’il est déjà parti se planquer. En tout cas, faut qu’on aille voir sa chambre. Après, on dégage de Cuba, muy rapido.

J’avais affreusement redouté qu’il ait un plan high-tech pour se débarrasser du corps de Rogelio, genre le dissoudre avec un laser dans la baignoire, mais je suis soulagé que, pour une fois, il se montre sensé. Je n’ai presque rien vu de La Havane excepté une chambre d’hôtel et le fond d’un verre de mojito, mais il est temps de rentrer à la maison et de penser au plan de secours.

— D’accord, dis-je, allons-y.

— Bravo. Prends ton arme.

Je glisse cette chose froide et cliquetante dans la ceinture de mon pantalon et rabats l’ignoble blouson vert par-dessus, puis je sors dans le couloir pendant que Chutsky referme le placard.

— Mets la pancarte NE PAS DÉRANGER, dit-il.

Excellente idée : cela prouve que je ne me suis pas trompé quant à son expérience. À ce stade, ce serait très embêtant qu’une femme de chambre entre pour nettoyer les cintres. J’obéis, et avec Chutsky nous prenons l’escalier.

C’est très, très étrange de me retrouver en train de traquer quelqu’un dans un couloir très éclairé, sans la moindre lune au-dessus de moi, ni lame étincelante d’impatience, ni sifflement plein d’entrain sur la banquette arrière alors que le Passager noir s’apprête à prendre le volant. Je n’entends que les pas de Chutsky sur le tapis, un avec le pied, l’autre avec la prothèse, et le bruit de notre respiration. Nous montons au huitième. La chambre 865, comme je l’ai pressenti, donne sur la façade de l’hôtel, emplacement idéal pour que Weiss y place sa caméra. Nous attendons sans un bruit devant la porte pendant que Chutsky, tenant son pistolet au bout de son crochet, sort le passe de Rogelio. Puis il me le tend, désigne la porte du menton et murmure :

— Un, deux… trois !

Je glisse le passe dans la serrure, tourne la poignée et m’efface tandis que Chutsky se rue dans la chambre, arme au poing. Je le suis, adoptant la même posture pour ne pas être en reste.

Je couvre Chutsky pendant qu’il ouvre la porte de la salle de bains d’un coup de pied, puis le placard, avant de se détendre et de ranger son arme.

— Et voilà, dit-il en contemplant la table près de la fenêtre.

Une vaste corbeille de fruits y trône, ce qui est un peu ironique quand on pense à ce que Weiss en fait généralement. Je m’approche pour regarder. Heureusement, il n’y a ni entrailles ni doigts dedans. Juste des mangues, des papayes, etc., et une carte qui proclame : Feliz Navidad, Hotel Nacional. Un message standard. Rien qui sorte de l’ordinaire. Juste assez pour que Rogelio se soit fait tuer.