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Je me place sous le commandement des consuls. Nous nous attendons à une grande bataille face à Antoine au cours des deux semaines à venir. Je te promets de m’efforcer de faire preuve d’autant de vaillance sur le champ de bataille que tu en as montré au Sénat. Que disaient les guerriers spartiates, déjà ? « Je rentrerai avec mon bouclier ou sur lui. »

C’est vers ce moment que Cicéron commença à recevoir des nouvelles de l’Est. Par Brutus, en Macédoine, il apprit que Dolabella — qui se rendait en Syrie à la tête d’une petite armée — était arrivé à Smyrne, sur la côte orientale de la mer Égée, où il avait rencontré le gouverneur d’Asie, Trebonius. Celui-ci l’avait traité avec civilité et l’avait même laissé poursuivre son chemin. Mais la nuit même, Dolabella avait en secret fait demi-tour, pénétré dans la ville et s’était emparé de Trebonius pendant qu’il dormait. Il l’avait ensuite soumis à la torture pendant deux jours et deux nuits par les verges, le chevalet et les fers rouges afin de lui faire dire où se trouvait le Trésor de l’État, après quoi, sur son ordre, on avait brisé le cou du malheureux. On lui avait ensuite coupé la tête, et les soldats de Dolabella l’avaient fait rouler à coups de pied dans les rues jusqu’à ce qu’elle fût tout écrasée pendant qu’on mettait en lambeaux le reste de son corps avant de présenter le tout en place publique. « Ainsi périt le premier des assassins de César, aurait, paraît-il, déclaré Dolabella. Le premier, mais ce ne sera pas le dernier. »

Les restes de Trebonius furent rapportés à Rome et soumis à un examen post-mortem afin de confirmer les circonstances de sa mort avant d’être remis à sa famille pour la crémation. Son destin effroyable eut un effet salutaire sur Cicéron et tous les autres dirigeants de la République. Ils savaient dorénavant à quoi s’attendre s’ils tombaient aux mains de leurs ennemis, d’autant plus lorsque Antoine rédigea une lettre ouverte pour soutenir Dolabella et exprimer son contentement devant le sort de Trebonius : Que le châtiment d’un scélérat ait vengé la cendre et les restes d’un grand homme, de cela il faut se réjouir. Cicéron lut la lettre devant le Sénat, et cela renforça la détermination des sénateurs de n’accepter aucun compromis. Dolabella fut déclaré ennemi public. C’était un choc pour Cicéron de découvrir que son ancien gendre pût avoir été capable d’une telle cruauté. Il s’en plaignit ensuite à moi.

— Penser qu’un tel monstre ait pu habiter sous mon toit et partager le lit de ma pauvre chère fille ; penser que je l’aimais vraiment… qui peut savoir quel animal se cache au plus profond de ceux dont vous êtes le plus proche ?

L’état de nerfs dans lequel il se trouvait en ce début du moins d’avril, alors qu’il attendait un signe de Modène, est proprement indescriptible. Il y eut d’abord de bonnes nouvelles. Après des mois sans un mot, Cassius écrivit enfin pour informer qu’il prenait le contrôle de toute la Syrie, que tous les partis — césariens, républicains, et les derniers pompéiens qui subsistaient encore — s’étaient unis à lui et qu’il avait à présent sous ses ordres une armée rassemblée de pas moins de onze légions. Je veux seulement que tu saches que, le Sénat et toi, vous avez de vigoureux soutiens, et que vous pouvez maintenant en toute confiance prendre cœur à la défense de la République. Brutus connaissait lui aussi de belles réussites et avait levé cinq légions, soit vingt-cinq mille hommes, en Macédoine. Le jeune Marcus était à ses côtés, chargé de recruter et former la cavalerie : Ton fils, mon cher Cicéron, se distingue glorieusement auprès de moi par son industrie, sa patience, son zèle, sa grandeur d’âme, en un mot par toutes sortes de vertus.

Puis il arriva des dépêches plus inquiétantes. Après plus de quatre mois de siège dans Modène, Decimus se trouvait dans une situation désespérée. Il ne pouvait communiquer avec l’extérieur qu’au moyen de pigeons voyageurs, et les quelques oiseaux qui parvenaient à franchir les lignes ennemies ne portaient des messages que sur le manque de nourriture, la maladie et le découragement. Pendant ce temps, Lépide approchait avec ses légions de la scène des combats imminents contre Antoine, et il pressait Cicéron et le Sénat d’envisager de nouveaux pourparlers de paix. Cicéron fut tellement courroucé par la présomption de cet homme faible et arrogant qu’il me dicta une lettre qui partit le soir même.

Cicéron à Lépide

Je vois avec joie tes vœux ardents pour le rétablissement de la paix entre les citoyens, j’entends la paix sans l’esclavage. Car si la paix devait avoir seulement pour résultat de nous livrer à l’intolérable despotisme d’un misérable, il n’y a pas un homme sensé qui ne préférât la mort à la servitude. Il serait donc sage, selon moi, que tu laisses là des projets de pacification qui n’ont l’assentiment ni du Sénat, ni du peuple, ni des honnêtes gens.

Cicéron ne se faisait guère d’illusions. La ville et le Sénat abritaient encore en leur sein des centaines de partisans d’Antoine. Si Decimus se rendait, ou si les armées de Pansa, Hirtius et Octavien se faisaient battre, il savait qu’il serait le premier dont on se saisirait pour l’exécuter. Par précaution, il ordonna de faire revenir pour la défense de Rome deux des trois légions postées en Afrique. Mais elles n’arriveraient pas avant le milieu de l’été.

Ce fut au vingtième jour d’avril que la situation atteignit son point critique. Tôt ce matin-là, Cornutus, le préteur urbain, monta la côte du Palatin d’un pas pressé. Il avait avec lui un messager envoyé six jours plus tôt par Pansa. Cornutus affichait une mine sombre.

— Répète à Cicéron ce que tu viens de m’apprendre, enjoignit-il le messager.

Celui-ci s’exécuta d’une voix tremblante.

— Vibius Pansa a le regret de devoir annoncer une défaite catastrophique. Il a été surpris avec son armée par les troupes de Marc Antoine au camp de Forum Gallorum. Le manque d’expérience de nos hommes a été immédiatement manifeste. Nos lignes ont cédé et le massacre a été général. Le consul est parvenu à se replier, mais il est gravement blessé.

Le visage de Cicéron vira au gris.

— Et Hirtius ? Et César ? Des nouvelles d’eux ?

— Aucune, répondit Cornutus. Pansa s’apprêtait à rejoindre leur camp, mais il a été intercepté avant d’y parvenir.

Cicéron gémit.

— Dois-je convoquer le Sénat ? demanda Cornutus.

— Dieux du ciel, non ! répliqua Cicéron avant de se tourner vers le messager. Dis-moi la vérité : qui d’autre à Rome est au courant de cela ?

Le messager baissa la tête.

— Je suis d’abord allé chez le consul. Son beau-père y était.

— Calenus !

— Il sait tout, malheureusement, intervint Cornutus. Il se trouve en ce moment même au portique de Pompée, à l’endroit même où César a été frappé. Et il dit à qui veut l’entendre que nous payons le prix de son meurtre impie. Il t’accuse de vouloir prendre le pouvoir en tant que dictateur. Je crois qu’il rassemble pas mal de monde.

— Il faut qu’on te fasse sortir de Rome tout de suite, glissai-je à Cicéron.

Il secoua vigoureusement la tête.

— Non, non ! Ce sont eux les traîtres, pas moi. Maudits soient-ils ! Je ne fuirai pas. Va voir Appuleius, ordonna-t-il au préteur urbain comme s’il était son intendant. Dis-lui de convoquer une assemblée publique et de venir me chercher. Je vais parler au peuple. Il faut que je calme les angoisses. Il convient de rappeler aux Romains que la guerre s’accompagne toujours de mauvaises nouvelles. Et toi, dit-il au messager, tu as intérêt à ne pas souffler mot de tout cela à âme qui vive, c’est compris ? Ou je te fais mettre aux fers.