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Une fois les civilités terminées et après que Cléopâtre se fut retirée avec ses servantes, Pompée aborda le sujet de notre visite.

— L’assassinat de Dion commence à devenir très embarrassant, tant pour moi que pour Sa Majesté. Et maintenant, pour couronner le tout, une accusation de meurtre a été portée par Titus Coponius, chez qui Dion logeait au moment de son assassinat, et par son frère, Caius. Tout cela est ridicule, bien sûr, mais il semblerait qu’on ne puisse les dissuader.

— Qui est l’accusé ? interrogea Cicéron.

— Publius Asicius.

Cicéron marqua une pause pour se rappeler le nom.

— Ne serait-ce pas l’un des gérants de ton domaine ?

— Tout à fait. Et c’est ce qui rend les choses si embarrassantes.

Cicéron eut le tact de ne pas demander si Asicius était coupable. Il considéra la question d’un point de vue purement juridique. Puis il s’adressa à Ptolémée :

— Jusqu’à ce que cette affaire se calme, je conseillerais à Sa Majesté de se retirer aussi loin de Rome que possible.

— Pourquoi ?

— Parce que si j’étais les frères Coponius, la première chose que je ferais serait d’assigner Sa Majesté à comparaître.

— Ils ont le droit de faire ça ? voulut savoir Pompée.

— Ils ont le droit d’essayer. Pour épargner à Sa Majesté un tel embarras, je l’engagerais à se trouver à des milles d’ici quand l’acte sera notifié… hors d’Italie, si possible.

— Mais en ce qui concerne Asicius ? insista Pompée. S’il est jugé coupable, cela ne serait pas bon du tout pour moi.

— Effectivement.

— Il faut donc qu’il soit acquitté. J’espère que tu te chargeras de sa défense ? Je considérerais cela comme une faveur.

Ce n’était pas ce que voulait Cicéron. Mais Pompée se montra insistant et, au bout du compte, Cicéron n’eut, comme d’habitude, d’autre choix que d’accepter. Avant que nous partions, en gage de remerciement, Ptolémée remit à Cicéron une très ancienne statuette de jade figurant un babouin, qui était, expliqua-t-il, Hedjour, le dieu de l’écriture. Je pense qu’elle était très précieuse, mais Cicéron le prit fort mal.

— Qu’est-ce qu’ils veulent que je fasse de leurs dieux de sauvages ? me confia-t-il ensuite, et il dut jeter la statuette car je ne l’ai jamais revue.

Asicius, l’accusé, vint nous voir. C’était un ancien commandant de légion qui avait servi avec Pompée en Espagne et en Orient, et il paraissait parfaitement capable d’avoir commis un meurtre. Il montra sa convocation à Cicéron. Il était accusé de s’être rendu chez Coponius tôt le matin avec une fausse lettre d’introduction. Dion était en train d’ouvrir la lettre quand Asicius avait brandi un petit couteau qu’il tenait caché dans sa manche et l’avait planté dans le cou du vieux philosophe. Le coup n’avait pas été fatal tout de suite, et les cris de Dion avaient fait accourir la maisonnée. D’après le document, Asicius avait été reconnu avant de réussir à s’enfuir en brandissant toujours son couteau.

Cicéron ne chercha pas à savoir la véracité des faits. Il se contenta de conseiller à Asicius de se procurer un bon alibi s’il voulait avoir une chance d’être acquitté. Quelqu’un devrait jurer qu’il se trouvait avec lui au moment du meurtre, et plus il y aurait de témoins ayant le moins de liens possible avec Pompée, ou Cicéron lui-même, mieux ce serait.

— Ce ne sera pas compliqué, répliqua Asicius. J’ai juste le type qu’il nous faut : quelqu’un qui est en mauvais termes avec Pompée et avec toi.

— Qui ?

— Ton ancien protégé, Caelius Rufus.

— Rufus ? Qu’est-ce qu’il vient faire dans cette histoire ?

— Quelle importance cela a-t-il ? Je jurerai que j’étais avec lui à l’heure où le vieux a été tué. Et n’oublie pas qu’il est sénateur à présent — sa parole a du poids.

Je m’attendais presque à ce que Cicéron dise à Asicius de se chercher un autre avocat tant il détestait Rufus, mais je fus surpris de l’entendre répondre :

— Très bien, dis-lui de venir me voir pour qu’il nous donne sa déposition.

Une fois Asicius parti, Cicéron s’interrogea :

— Sans doute Rufus est-il un intime de Clodius ? N’occupe-t-il pas un de ses appartements ? Mais en fait, Clodia ne serait-elle pas sa maîtresse ?

— En tout cas, elle l’a été.

— C’est bien ce que je pensais, dit-il, rendu songeur par la mention de Clodia. Mais alors, pourquoi Rufus offrirait-il un alibi à un agent de Pompée ?

Plus tard dans la journée, Rufus se présenta. À vingt-cinq ans, c’était le plus jeune membre du Sénat, et il se montrait très actif dans les tribunaux. Cela fit une drôle d’impression de le voir entrer avec assurance, vêtu de la toge bordée de pourpre des sénateurs. À peine neuf ans plus tôt, il avait été l’élève de Cicéron. Mais il s’était ensuite retourné contre son ancien mentor et avait même fini par le battre dans un procès contre celui qui fut consul aux côtés de Cicéron, Hybrida. Cicéron aurait pu lui pardonner cela — il était toujours heureux de voir un jeune avocat progresser —, mais son amitié avec Clodius constituait une trahison de trop. Cicéron lui réserva donc un accueil glacial et feignit de lire divers documents pendant que Rufus me dictait sa déposition. Il devait cependant écouter avec attention, car lorsque Rufus raconta qu’il recevait Asicius chez lui au moment de l’assassinat, et qu’il donna comme adresse une maison sur l’Esquilin, Cicéron leva aussitôt la tête pour demander :

— Tu ne loues donc pas une des propriétés de Clodius sur le Palatin ?

— J’ai déménagé, répondit Rufus d’un air dégagé.

Mais quelque chose dans sa désinvolture alerta Cicéron. Il tendit le doigt vers son ancien élève et énonça :

— Vous vous êtes disputés.

— Pas du tout.

— Tu t’es disputé avec ce démon et sa sœur des enfers. C’est pour ça que tu rends ce service à Pompée. Tu as toujours menti comme tu respires, Rufus. Je lis en toi comme dans un livre.

Rufus se mit à rire. Il avait beaucoup de charme et passait même pour être le plus beau jeune homme de Rome.

— Tu sembles oublier que je ne vis plus sous ton toit, Marcus Tullius. Je n’ai aucun compte à te rendre concernant mes amitiés.

Il se leva avec aisance. Il était aussi très grand.

— Maintenant que j’ai, comme convenu, fourni un alibi à ton client, notre affaire s’arrête là.

— Notre affaire s’arrêtera quand je l’aurai décidé ! lança joyeusement Cicéron sans prendre la peine de se lever.

Je raccompagnai Rufus à la porte et, à mon retour, Cicéron souriait toujours.

— C’est ce que j’attendais, Tiron. Je le sens. Il s’est brouillé avec ces deux monstres et, si c’est le cas, ils n’auront de cesse de l’anéantir. On va devoir mener notre enquête. Discrètement. Distribuer un peu d’argent si nécessaire. Mais il faut trouver pourquoi il a déménagé !