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Le procès d’Asicius se termina le jour même où il débuta. L’affaire se résuma à la parole de quelques esclaves contre celle d’un sénateur et, en entendant la déclaration sous serment de Rufus, le préteur réclama au jury l’acquittement. Ce fut pour Cicéron la première de toute une série de victoires juridiques après son retour dans les tribunaux, et il ne tarda pas à être très demandé et à paraître au Forum presque tous les jours, comme dans sa jeunesse.

Pendant ce temps, la violence ne cessait d’augmenter dans Rome. Certains jours, les tribunaux ne pouvaient même pas siéger à cause des risques pour la sécurité du public. Quelques jours après s’en être pris à Cicéron sur la Via Sacra, Clodius et ses partisans attaquèrent la maison de Milon et tentèrent d’y mettre le feu. Les gladiateurs de Milon les chassèrent et, en mesure de rétorsion, occupèrent les enclos de vote sur le Champ de Mars pour chercher en vain à empêcher l’élection de Clodius à l’édilité.

Cicéron sut saisir la chance au milieu du chaos. Un des nouveaux tribuns, Cannius Gallus, porta un décret devant le peuple pour réclamer qu’à Pompée seul revienne le droit de remettre Ptolémée sur le trône d’Égypte. Ce décret plongea Crassus dans une telle fureur qu’il alla jusqu’à payer Clodius pour organiser une campagne populaire contre Pompée. Aussi, lorsqu’il eut fini par remporter l’édilité, Clodius se servit-il de son pouvoir de magistrat pour assigner Pompée à comparaître dans une accusation lancée contre Milon.

L’audience eut lieu dans le Forum, devant des milliers de personnes. J’y assistai avec Cicéron. Pompée monta aux rostres, mais parvenait à peine à prononcer quelques phrases quand les partisans de Clodius commencèrent à noyer ses propos sous les sifflets et de lents claquements de mains. Il y avait une sorte d’héroïsme dans la façon dont Pompée rentra simplement les épaules et continua de lire son texte bien que personne ne pût l’entendre. Cela dura une bonne heure, puis Clodius, qui se tenait à quelques pas des rostres, entreprit de monter réellement la foule contre lui.

— Qui est-ce qui affame le peuple ?

— Pompée ! rugirent ses partisans.

— Qui est-ce qui veut se faire envoyer à Alexandrie ?

— Pompée !

— Qui faut-il y envoyer ?

— Crassus !

Pompée semblait avoir été frappé par la foudre. Jamais on ne l’avait insulté de la sorte. La marée humaine se soulevait comme une mer agitée, un côté pressant contre l’autre, avec de petits remous de bagarres ici et là, quand, soudain, des échelles firent leur apparition et furent rapidement portées par-dessus nos têtes jusqu’à la tribune, contre laquelle on les appuya pour permettre à une bande de voyous de grimper. Ces voyous étaient en fait à la solde de Milon : à peine arrivèrent-ils sur les rostres qu’ils fondirent sur Clodius et le précipitèrent sur l’assistance, plus de douze pieds plus bas. Il y eut des cris et des acclamations. Je ne vis pas ce qui se passa ensuite car les gardes du corps de Cicéron nous entraînèrent hors du Forum et de tout danger, mais nous apprîmes que Clodius s’en était sorti indemne.

Le lendemain soir, Cicéron partit dîner chez Pompée, et rentra en se frottant les mains.

— Bon, je peux me tromper, mais je crois que c’est le commencement de la fin pour notre prétendu triumvirat, du moins en ce qui concerne Pompée. Il jure que Crassus est derrière un complot visant à l’éliminer, prétend qu’il ne lui fera plus jamais confiance et menace si nécessaire de faire revenir César à Rome pour répondre de la bêtise qu’il a faite en créant Clodius au départ et en détruisant la Constitution. Je ne l’avais jamais vu dans une telle rage. Pour ce qui est de moi, il n’aurait pu se montrer plus amical et m’assure que, quoi que je fasse, je pourrai compter sur son soutien.

« Mais il y a mieux encore : quand il a eu un petit coup dans le nez, il a fini par me dire pourquoi Rufus avait retourné sa veste. J’avais raison, il y a eu une formidable dispute entre lui et Clodia — à tel point qu’elle assure qu’il a voulu l’empoisonner ! Naturellement, Clodius a pris le parti de sa sœur, a chassé Rufus de sa maison et réclamé le règlement de ses dettes. Rufus s’est donc tourné vers Pompée dans l’espoir de toucher un peu de l’or égyptien pour payer ce qu’il doit. Tout cela n’est-il pas merveilleux ?

Je convins que tout était effectivement merveilleux même si je ne voyais pas en quoi cela pouvait déclencher un tel accès de joie.

— Apporte-moi les listes des préteurs, vite ! me pressa Cicéron.

Je courus chercher le programme des tribunaux pour les sept jours à venir. Cicéron me pria ensuite de regarder quand aurait lieu la prochaine plaidoirie de Rufus. Je parcourus du doigt les listes de procès et de tribunaux jusqu’à ce que je trouve son nom. Il devait cinq jours plus tard représenter la partie plaignante au tribunal constitutionnel dans une affaire de brigue.

— Qui poursuit-il ? voulut savoir Cicéron.

— Bestia.

— Bestia ! Ce bandit !

Cicéron s’allongea, mains derrière la tête, les yeux fixés au plafond, dans la posture familière qu’il prenait toujours quand il échafaudait un plan. L. Calpurnius Bestia était un de ses vieux ennemis, un des tribuns à la solde de Catilina qui avait eu la chance de ne pas être exécuté pour trahison avec les cinq autres conspirateurs. Et pourtant, il était encore là, participant visiblement à la vie publique, et il était accusé d’avoir acheté des votes lors des dernières élections prétoriennes. Je me demandais quel intérêt Bestia pouvait bien présenter pour Cicéron, et, après un très long moment durant lequel il ne dit rien, je m’aventurai à lui poser la question.

Sa voix me parut venir de très loin, comme si je l’avais tiré d’un rêve.

— Je me disais juste, répondit-il lentement, que j’allais peut-être bien lui proposer de le défendre.

V

Le lendemain matin, Cicéron se rendit chez Bestia et m’emmena avec lui. La vieille fripouille avait une maison sur le Palatin. Son étonnement en découvrant Cicéron chez lui fut presque comique. Il avait avec lui son fils, Atratinus, un garçon intelligent qui venait tout juste de revêtir la toge virile et était impatient de commencer sa carrière. Lorsque Cicéron annonça qu’il voulait discuter de son procès imminent, Bestia supposa tout naturellement qu’il allait recevoir une nouvelle assignation et devint menaçant. Ce ne fut que grâce à l’intervention de son fils, qui était en admiration devant Cicéron, qu’il finit par s’asseoir pour écouter ce que son éminent visiteur avait à lui dire.

— Je suis venu te proposer mes services pour te défendre, annonça Cicéron.

Bestia en resta bouche bée.

— Et pourquoi, par tous les dieux, ferais-tu une chose pareille ? finit-il par demander.

— J’ai prévu, à la fin du mois, de plaider pour le compte de Publius Sestius. Est-il vrai que tu lui as sauvé la vie lors des combats qui ont eu lieu au Forum pendant que j’étais en exil ?

— Effectivement.

— Eh bien, Bestia, disons que, pour une fois, la chance nous a placés du même côté. Si je te défends, je pourrai décrire l’incident en détail, et cela me donnera la possibilité de préparer la défense de Sestius, qui sera jugé par le même tribunal. Qui sont tes autres avocats ?

— Herennius Balbus pour commencer, et ensuite mon fils qui est ici.