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Il pleut sur la Corrèze, c’est l’hiver. Je ferme les yeux et je vois scintiller une longue guirlande de lumières sur une Croisette qui débute sur la presqu’île de Giens et s’achève sur la grève de Roquebrune en passant par la baie des Anges. La mer est bleue, la mer est verte. La mer est noire, des étoiles picorent le ciel. Je m’éloigne du rivage, la route grimpe à flanc de gorges, me voici dans un village juché sur un piton où des maisons roses se planquent derrière des fleurs. Je redescends. La mer est toujours là. Ce songe est banal, il ensoleille les nuits blanches de tous les Français et de tous les Anglais, sans compter les Bataves, les Américains et désormais les Slaves fraîchement enrichis. Ceux qui dorment dans les campings n’ont rien à envier aux habitués du Carlton, du Victoria ou de L’Hermitage, c’est le même songe, exactement. La même illusion si l’on veut. Sa teneur associe dans un même cocktail on the rocks l’imagerie de la Provence, l’exotisme d’un bord de mer où le palmier ne dépérit pas, une sensualité qui jette sa gourme et une petite touche d’élégance festive. Tendre reste la nuit sur la Riviera, tous les hommes se métamorphosent en un Scott Fitzgerald, toutes les femmes en une Zelda. Envoûtement garanti.

Roland

On ne sait pas si l’ennemi avisé par Ganelon était sarrasin ou basque. On ne sait presque rien de Roland, marquis de Bretagne, c’est la chanson de geste qui a enfanté le mythe : la parenté avec Charlemagne, l’ami Olivier, la fiancée Aude, l’épée Durandal, la mort à Roncevaux, l’ange Gabriel qui l’emporte au Paradis. On ne sait pas si ce preux et ses compagnons sont inhumés à Blaye, autour de Saint-Seurin à Bordeaux, ailleurs ou nulle part. L’important, c’est la légende. Nos rois et nos chefs militaires en ont beaucoup usé durant le Moyen Âge. Dans notre imaginaire, Roland précède les héros — du Guesclin, Jeanne d’Arc, Bayard — qui nimbent l’histoire de France d’un halo où le fait d’armes rejoint la quête mystique. Si l’apparition historique du chevalier n’est pas propre à la France, l’adjectif « chevaleresque » nous appartient avec sa charge de bravoure, de panache et de compassion, sa touche de surnaturel.

S

Saint-Denis

On peut s’offrir un long voyage dans l’histoire de France pour le prix d’un ticket de métro, ou de RER si l’on est pressé. Il suffit de descendre à la station « Saint-Denis-Basilique ». Les abords sont peu romantiques, on contourne une mairie lourdingue au possible, on traverse une place dépourvue du moindre charme. L’édifice lui-même ne paye pas de mine ; il manque une tour comme à la cathédrale de Strasbourg et le Christ en majesté du tympan mériterait un coup de torchon. On est d’autant plus émerveillé en découvrant le chevet de Suger. Pureté, simplicité, luminosité céleste, c’est le premier gothique à son apogée, on se sent de plain-pied avec la cohorte des pèlerins qui sont venus prier ici, avant et après la construction de cette basilique.

Avant, c’est la sépulture de saint Denis, l’exhortation de sainte Geneviève, les temps mérovingiens. Il en reste quelques pans de mur, dans la crypte. Le voyage au long cours, c’est dans cette crypte qu’on le fait. Presque tous nos rois, des reines, des princes à foison y reposent. Certains dans des mausolées Renaissance ou baroques, d’autres sur des gisants, d’autres encore sous des dalles, ou bien encastrés dans le mur. Du Guesclin est admis dans cet empyrée qui déborde autour du chœur et curieusement ce qu’on éprouve n’a rien de morbide, on se balade comme dans un jardin fleuri. On a beau savoir que la Révolution a ouvert ces tombes et balancé les ossements dans une fosse commune, on est pétrifié d’émotion si on aime la France, quoi qu’on pense de ces rois dont la plupart m’auraient fait pendre s’ils avaient su mon allergie à tout pouvoir. À la limite, la profanation ouvre à l’imagination des portes inouïes, on peut présumer le crâne de Philippe Auguste assujetti ad aeternam aux membres de Charles VII. Ce ne sont plus des êtres bons ou vils, c’est l’âme profuse de notre pays, je la sens physiquement, elle enclenche un flux indistinct de réminiscences, elle réveille nos imageries d’écolier, que nous ayons ou pas fréquenté ultérieurement les historiens. Tous ces rois affublés d’un qualificatif qui me les rendait à la fois mystérieux et proches, le Chauve, le Gros, le Bon, le Sage, le Lion, le Fou, le Pieux, le Bel, le Hutin, le Hardi…

En sortant de cette crypte on cligne des yeux ; le monde contemporain nous paraît fallacieux, presque irréel. Une avenue où déambulent des foules bigarrées débute sur la place, et va se perdre Dieu sait où. C’est Saint-Denis au siècle vingt-et-unième, des Français venus d’ailleurs, souvent de loin. Sans le savoir ils pérennisent les hautes époques où des gens de toute provenance affluaient vers la basilique, décrétée cathédrale depuis peu.