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Les foules aujourd’hui convergent plutôt vers le Stade de France, autre basilique. En RER, il faut descendre à la station d’avant. J’y viens souvent, pour d’autres communions, foot ou rugby. Quand retentit La Marseillaise, les âges en moi se confondent, les divinités païennes évoluant sur l’herbe déjouent si joliment la pesanteur et rejoignent les rois guerriers qui partaient au combat en hurlant « Montjoie… saint Denis ». Syncrétisme accrédité par les signes de croix qu’ébauchent certains joueurs lorsqu’ils sortent du tunnel. Et je n’oublie pas mon saint patron sans lequel Saint-Denis ne serait qu’une banlieue, ou qu’un stade. J’y repense chaque fois que j’aperçois le toit verdâtre de la basilique depuis Saint-Pierre-de-Montmartre.

Saint Louis

Un roi de France canonisé, on peut en être fier. D’autant que Louis IX était beau gars et brave mec. Sportif, enjoué et même coléreux à l’occasion, pieux assurément, mais amoureux charnellement de la vie ici-bas. Il l’a prouvé en faisant neuf enfants à son épouse Marguerite. Rien de la cruauté et de la rapacité de son frangin Charles d’Anjou de sinistre mémoire. Vaillant au combat, meilleur même dit-on que son grand-père Philippe Auguste. Son œuvre de juriste est louable. Il a protégé les universités et son copinage avec Thomas d’Aquin prouve qu’il avait du répondant philosophique. Compatissant avec les humbles, sans indulgence pour les puissants, comme en témoigne son verdict dans l’affaire de cette dame de Pontoise d’auguste lignage. Elle avait pris un amant jeune et beau pendant que son mari guerroyait auprès de son roi lors de la septième croisade. Le mari revient. Elle n’en veut plus et le zigouille en l’étouffant avec son propre foulard et la complicité de l’amant. Lequel se fait piéger par la police, avoue son crime, est condamné sans jugement, brûlé vif. On découvre que son amante avait fomenté le crime. Va-t-on la punir ? Elle s’est confite en dévotion. Et puis elle est jeune, et d’un rang social si élevé que toute la Cour la protège, y compris la reine Marguerite. Saint Louis s’instruit du dossier, et décide : au feu la belle, comme l’amant ! Dont acte. À sa place j’aurais été plus clément pour l’une et l’autre, mais au siècle des cathédrales on tranchait dans le vif.

Certes ses deux croisades ont mal tourné, et il est mort à Tunis sans avoir pu prouver — au pape, aux croisés, à lui-même —, qu’on peut convoiter Jérusalem sans tueries ni pillages. Sans doute aurait-il mieux fait d’écouter le sage Joinville ; mais il rêvait une croisade idéale et ce rêve, on ne peut pas le renier, il est consubstantiel à l’histoire de notre Moyen Âge, pour ne pas dire à l’histoire de France.

L’imagerie du saint roi rendant la justice à Vincennes, sous un chêne, n’est pas usurpée. Elle m’émeut chaque fois que je longe les douves du château. Et je trouve d’une beauté fraîche et lumineuse la tête de Saint Louis sur un des vitraux de Saint-Denis où ses restes ont été rapatriés, non sans mal.

Sainte-Chapelle (La)

On aperçoit la dentelle de la flèche si on descend le Boul’Mich ou si on longe les quais sur la rive droite, mais l’édifice est littéralement encaserné entre le Palais de Justice et la Préfecture de Police qui avec l’Hôtel-Dieu dénoncent l’incurie architecturale de la seconde moitié du XIXsiècle. Avoir ainsi mis la Sainte-Chapelle sous ce boisseau lourd et grisâtre est une offense majeure au lieu le plus sublime du patrimoine français. Ce lieu — la chapelle haute —, on y accède par un escalier à vis et on habite soudain un univers où le merveilleux va sans dire et conquiert l’âme en traversant le cœur, sans s’arrêter.

Dans cette forêt de vitraux où scintille en rouge, bleu et or une lumière céleste, on n’a même pas envie de prier, encore moins de s’ébahir : la religiosité qui nous habite est à la fois trop éthérée et trop évidente, on se transmue en un fidèle du temps de Saint Louis. Dieu est là, autour de nous, en nous, attesté par les reliques de la Passion de Son Fils, car cette chapelle est un reliquaire, le roi a payé très cher le patriarche de Constantinople pour ramener la couronne d’épines. On va partir pour la septième croisade et, si l’on y laisse sa peau, on attendra à ses côtés la consommation de ces siècles inaugurés par la Genèse, accomplis sur la Croix. Cette histoire est racontée par les vitraux, comme une BD ; son épilogue — l’Apocalypse — est le sujet de la rosace (fin XVsiècle, époque troublée et charnière) où un vert d’une pâleur équivoque module les chatoiements ineffables du bleu, du rouge et de l’or. On peut passer des heures, des jours, des années à contempler les mille et quelques panneaux des quinze verrières. Ou les statues des apôtres avec leurs disques crucifères. Ou le Christ bénissant du trumeau. Ou la flore gothique des chapiteaux. On peut consacrer une vie à l’histoire de la Sainte-Chapelle, sans négliger les restaurations du XIXe (dont la flèche) et en rendant hommage à Viollet-le-Duc qui ne fut pas toujours aussi inspiré. À cet égard, la chapelle basse en forme de crypte, jadis paroisse des habitants de la Cité, est un bon prolégomène à l’éblouissement qui nous attend là-haut où seuls les rois, leurs intimes et leurs invités de marque avaient accès. Les historiens de l’art n’en finiront jamais d’élucider le mystère d’une spiritualité émanant si spontanément, d’une lumière changeante au gré des heures, des saisons et de la météo. La France du grand XIIIsiècle, la France qui enchâsse notre patriotisme dans un halo sacramentel, c’est la chapelle haute de la Sainte-Chapelle reliquaire. Les touristes qui font la queue côte à côte avec les amateurs de procès d’assises, sur l’affreux boulevard du Palais, ne s’y trompent pas. Aucun murmure là-haut, un recueillement pas forcément religieux, la conscience vague autant qu’immédiate d’une instance dont on ignorait en soi l’existence. Un « hussard noir » communiait forcément dans cette extase avec un Péguy ou un Bernanos : l’amour de la France, toutes opinions confondues sur sa mission et sur son âme, le coup de foudre amoureux, nous transperce là-haut sous cette pluie de lumière séraphique. Qui ne ressent pas cela n’aime pas vraiment la France — ou alors il s’en tient à des amourettes sans suite, parce que sans haute mémoire.

Saintes (Deux)

Je les associe dans une même vénération affectueuse, nos petites saintes de la seconde moitié du XIXsiècle, Thérèse succédant à Bernadette comme pour allonger le sillon d’une spiritualité toute de candeur. Elles ont vu apparaître la Vierge, elles ont porté l’habit de religieuse et elles n’ont pas fait de vieux os. Surtout Thérèse, morte à vingt-quatre ans. Bernadette a traîné la misère de son corps jusqu’à trente-cinq ans. On ne le croirait pas, au vu de son visage exposé au couvent Saint-Gildard à Nevers, il a gardé le sourire de l’enfance, émerveillé par la beauté des mains de sa Madone. Morte dans l’anonymat, Thérèse a été béatifiée dès 1925 avant d’être décrétée « sainte patronne secondaire de la France » par Pie XI (1944), puis docteur de l’Église par Jean-Paul II (1997). De tels honneurs l’auraient fait sourire. Bernadette faisait déjà l’objet d’un culte (ainsi que sa grotte) à sa mort bien avant sa canonisation (1933). Sa hiérarchie lui trouvait de la malice et de l’orgueil. Cléricales ou profanes, civiles ou militaires, les hiérarchies ont toujours du mal avec les êtres qui sortent de la norme. Surtout si elles paraissent aussi désarmées que nos deux gamines. À l’âge où Bernadette voit la Vierge pour la première fois — quatorze ans —, Thérèse s’apprête à entrer au Carmel. Elles ont à peu près la même relation humble et confiante au surnaturel en dépit de la différence des milieux et des éducations : Bernadette, pauvresse bigourdane, illettrée, bonne à tout faire, fille d’un meunier sans grain ni meule. Thérèse, rejeton d’une bourgeoisie d’Alençon confite en piété (quatre sœurs religieuses), et qui rédigera sa célèbre autobiographie.