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Ben Barek, Kopa, Platini, Zidane : les divinités tutélaires du foot français n’étaient pas natifs. Les quatre avaient en partage des mensurations ordinaires et le coup de patte, le brio, le sens de l’esquive — cet art de déjouer la pesanteur que nous affectionnons. Quand notre foot rompit avec sa modestie pour accéder aux premiers rôles, il s’arma de défenseurs baraqués — Trésor, Desailly — mais les Giresse, Tigana puis Deschamps des années fastes n’était pas des armoires à glace. Ils tripotaient la balle plutôt qu’ils ne cognaient dedans. La grand-mère de Proust aurait dit qu’ils ne jouaient pas sec. Registre impressionniste : du Fauré, du Debussy, pas du Wagner. Toujours ce panache frôlant la provocation sans lequel une victoire nous laisse froids : les mousquetaires de Borotra, la coupe de champagne d’Anquetil après chaque étape du Tour, la cuite nocturne de Mias à Johannesburg avant un test-match contre les Springboks. Perdre n’est pas infamant pourvu que le destin puisse être incriminé : la fracture de Jonquet face aux Brésiliens en 1958, l’agression de Schumacher contre Battiston en 1982, le coup de sang et de tête de Zidane face aux Italiens en 2006. Seul tue le ridicule : encaisser un 5–0 devant les Anglais (1966), se faire étendre par les Sénégalais (2002), prêter à ricaner aux dépens du coq tricolore (Afrique du Sud, 2010). Après l’apothéose de 1998, que peut-on espérer de grand, de beau ? Les abus de la médiatisation ayant banalisé les grand-messes footbalistiques, je n’ai plus trop envie d’aller au Stade de France voir des Bleus forcément impersonnels et qui font presque tous leur pelote à l’étranger. Désormais le foot de tous les pays est le même. Mais j’ai envie, comme avant, d’aller découvrir les stades de Reims, de Sochaux, d’Angers, de Sedan et du Havre — et plus encore d’aller encourager des clubs qui « montent » en première division et généralement redescendent la saison suivante. Pas dans les tribunes officielles : dans les gradins, pour savourer l’argot du cru avec l’espoir de voir un nouveau Kopa zigzaguer comme un lutin et un nouveau sanglier des Ardennes pérenniser des vertus qui n’ont plus cours chez les pros. Roger Marche est mort en 1997 et les médias n’en ont pas fait grand cas. Il termina sa carrière à Mohon, Ardennes, le club de ses débuts, avec une licence amateur, jusqu’à l’âge de quarante-deux ans. C’est dire qu’il aimait jouer au ballon, avec ou sans fric. Puis il se mit au boulot, comme tout un chacun. Chauffeur routier fut le métier de cet ancien international qui détint longtemps le record de sélections en équipe de France. Je le revois, un coq sur la poitrine ; c’était un Français d’élite, du temps où le mot était synonyme d’exemplarité.