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Blois, j’aime l’étreindre depuis le faubourg : des flèches, un dôme, une dentelle de toits gris. À droite, de même qu’à Nevers, les temps modernes ont érigé une mocheté en béton. Les eaux lourdes du fleuve, d’un marron clair, butent sur les arches du pont. J’ai toujours imaginé un baiser amoureux à cet endroit précis. Ce baiser, l’ai-je reçu ? Il me semble, mais je peux me tromper, j’ai tellement parcouru cette ville, son château aux trois styles, tellement imaginé l’assassinat (opportun) d’Henri de Guise, c’est comme si j’y avais assisté en compagnie d’Henri III et de sa mère. Un jour, dans une cabine située au pied du château, j’ai eu Chirac au téléphone. J’ai oublié pourquoi. Je me souviens en revanche de l’avoir plaint : il gérait des trucs prosaïques à l’Élysée au lieu de faire l’amour avec l’histoire de France comme je le faisais, en toute liberté. Chacun son destin.

Il faut aborder Chaumont par la rive droite pour jouir de ce tableau que j’ai toujours imaginé peint par Nicolas de Staël : le village en bas, trace blanche toute en longueur, le château dans son parc sous son meilleur profil, celui de la cour. C’est d’entre tous celui où j’aurais préféré vivre. Diane de Poitiers n’était pas de cet avis, Catherine de Médicis le lui avait refilé après la mort d’Henri II, en lot de consolation, ayant récupéré Chenonceaux.

À Amboise comme à Blois, l’histoire de France a planté ses décors : rois, reines, princes, fêtes, assassinats. Naguère j’ai séjourné dans une maison crayeuse en surplomb du Clos-Lucé, je connais bien la ville, elle est presque trop jolie pour être vraie.

Premières maisons troglodytes. Balzac à Vouvray (L’Illustre Gaudissart). Il ne me quittera plus jusqu’à Guérande (Béatrix). Tours a trop grandi, il faut se perdre sur des rocades, entre cités et friches industrielles, pour trouver les restes du château de Plessis, reconverti en « Centre d’animation théâtrale ». Triste fin pour les mânes de Louis XI, de Charles VIII, d’Anne de Bretagne, de Louis XII. Mais, dans les ruines toutes proches de l’ancienne abbaye Saint-Cosme, Ronsard a terminé ses jours. On voit sa tombe et sa maison, des vers reviennent à l’esprit. Ronsard et du Bellay, c’est la grâce française dans ses émois bucoliques. Et érotiques. Ces deux mots riment à merveille. Ils rimaient déjà dans mon esprit à l’époque où je cherchais partout des morceaux de l’univers balzacien. J’avais retrouvé Le Curé de Tours autour de la cathédrale Saint-Gatien où saint Martin fut sacré évêque et où dorment les enfants de Charles VIII et d’Anne de Bretagne ; puis La Grenadière à Saint-Cyr, ville dont le maire se trouve être un ami.

Rive droite. Luynes est un château médiéval, âpre, sombre, viril. Il me revient d’y avoir été accueilli par le duc, aujourd’hui décédé, lorsque j’écrivais un livre sur la duchesse de Chevreuse. Le comte de Luynes m’accompagnait. Rien ne subsiste de Cinq-Mars. Rasé de près par Richelieu. Le Cardinal n’aimait pas beaucoup que les Grands se claquemurent dans des fortins. Il avait bien raison. S’il gouvernait aujourd’hui, il ferait sûrement raser les « hôtels » départementaux et régionaux, ces modernes duchés. J’ai une pensée de compassion pour Cinq-Mars, décapité sur ordre du même Richelieu. Il l’avait un peu cherché, mais il n’avait que vingt-deux ans.

Les énormes tours du château de Langeais sont comme des pattes d’ours sur les toits gris de la petite ville. Encore Balzac (La Duchesse de Langeais). Sonorité élégiaque, proustienne, de ce mot : Langeais. On traverse le vignoble de Bourgueil, on revient au fleuve que longe une route en forme de digue. La Loire est en pleine majesté. Tuffeau crémeux des maisonnettes en contrebas. Si on quitte la nationale on découvre sur une départementale un manoir d’une élégance discrète, en brique polychrome rouge et noir, mi-XVe et mi-XVIIe : celui de Tallemant des Réaux, dont les historiettes ont tant de saveur. Les a-t-il écrites dans cette oasis ? J’ai envie de le croire. J’ai envie d’imaginer que Marie, l’héroïne de Dumas, m’attend à Montsoreau. Le château est si romanesque avec sa façade en surplomb de la Loire. Hélas ! on y fait de l’« animation culturelle », ça rompt les charmes. Mieux vaut arpenter les rues du village, assister aux noces langoureuses de la Vienne et de la Loire, et rejoindre Candes-Saint-Martin, où est mort l’évangéliste capital de l’histoire de France. La légende veut que tout au long du fleuve, tandis qu’on remontait son corps vers Tours, les aubépines refleurissaient. Légende parmi tant d’autres qui auréolent ce saint, Hongrois de souche et ancien mercenaire dans les légions romaines. Il a amorcé la christianisation de la France, et fondé Ligugé, notre premier monastère. L’aube de notre histoire, c’est saint Martin, autant que Clovis ; d’où une certaine émotion devant la basilique érigée en sa mémoire.

Curieusement, je ne raffole pas du château de Saumur. Mauvaises proportions, symétrie lourdingue des quatre tours octogonales. En revanche, je prends toujours le même plaisir à chercher Eugénie Grandet dans les rues autour de l’église Saint-Pierre.

J’ai des habitudes à Saumur, où des festivités sont organisées chaque printemps autour du livre… et du vin. Il n’y a pas de contradiction au pays de Rabelais, l’épicurisme qui lève le coude en tenant la plume est une tradition française. On ripaille à Fontevrault, dans l’enceinte de l’abbaye, près de la tombe d’Aliénor d’Aquitaine. On remet ça le lendemain matin, avec un petit déjeuner rustique (grattons, boudins, rillettes, vins de Saumur à volonté). J’aime me poser à Chênehutte, en aval de Saumur, dans une ancienne abbaye recyclée en auberge. Décidément ce pays — la France — est tapissé d’abbayes. Épicurisme et monachisme ont fait bon ménage au long de ce fleuve. Ici, il découvre une île dont les arbres se reflètent sur l’eau au lever du soleil. Sur l’autre rive, un clocher, un village embrumé : on dirait une autre île. Plus loin, une rangée de peupliers, un autre village. Toits noirs, murs blancs, une barque accostée. Au couchant, le ciel est jaune et rose, c’est un spectacle d’une douceur infinie. Même douceur entre Gennes et Saint-Mathurin où certaines vieilles maisons sur la rive gauche sont les plus gracieuses de tout le val. C’est à Gennes, sur le pont métallique, que les cadets de Saumur se sont battus héroïquement contre les Allemands, en 1940, juste pour l’honneur de leur uniforme et avec l’énergie du désespoir.

Je connais mal la Loire du pays nantais, je l’ai surtout vue depuis le train, inondant des prés. Il m’est arrivé de la rejoindre là où elle va se perdre dans l’océan — Saint-Nazaire, Le Pouliguen, La Baule, Le Croisic. J’ai souvenir d’un dîner à l’extrême bout de l’estuaire, dans un restaurant « historique » adossé à des roches battues par les vagues, en compagnie de deux écrivains. Bar en croûte de sel, spécialité de la maison. C’était plaisant et adéquat d’y voir mourir la Loire en parlant de littérature après avoir revu Guérande et la Brière.

Vercingétorix

Le premier en date de nos héros nationaux est un guerrier auvergnat bien baraqué à la longue crinière blonde. Il a l’air farouche avec ses moustaches, son casque, son glaive et son bouclier. On le représente souvent à cheval. Sa statue équestre domine la place de Jaude, à Clermont-Ferrand, au bas de la cathédrale. À l’époque de Vercingétorix, Clermont (alias Nemossos) n’était qu’une bourgade, au pied des volcans et du plateau de Gergovie.