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ÉRIC BOUHIER

Dictionnaire amoureux de San-Antonio

COLLECTION FONDÉE
PAR JEAN-CLAUDE SIMOËN

Frédéric Dard, dit San-Antonio :

son œuvre est un « Dictionnaire amoureux de l’Amour » !

Ceci est une préface

À la meilleure des femmes, à ma mère qui m’a souvent dit : « Tout ça n’est pas sérieux. »

Frédéric Dard.

Chers vous tous[1],

Un Dictionnaire amoureux de San-Antonio, si ça part pas dans tous les sens, si ça se regarde écrire, si ça s’écoute penser, si ça a peur de son ombre, si ça voyage au bout de l’ennui, si ça s’enlise, si ça sent Lise, si ça Senlis, si ça se comprend pas dard-dard, si on se caille trop la laitance avec la grammaire, le vocabulaire et tout le bigntz littéraire, si ça cause pas aux cons, si ça cause trop aux cons, si ça considère pas la langue française comme une fière luronne, si ça sait pas dire « merci beau-cul », si ça se demande pas pourquoi il y a cinq « s » à Suissesse, si on tartine, on gribouille, on accumule les pages, on en rajoute pour se mettre bien avec l’éditeur, lui prouver qu’il est pas tombé sur un feignant, qu’il a touché la belle pondeuse, la Bresse noire au fion généreux, si on précautionne, si on chipote, si ça fait son intimidé, son effarouché, son indécis, son vergogneux, son nébuleux, son pusillanime, son hésitant, son honteux, sa mijaurée, si ça lâche pas l’écheveau et si ça ferrarise pas à toute blinde, si ça tire pas dans tous les coins, couché ou Dubout, si ça explique pas tout et surtout son contraire, si c’est pas un hymne à l’amour, l’humour, l’amer, la mer, la mère et la mort où l’âme erre, si les salauds vont plus en enfer, si ça minaude devant une tête de veau et un gratin de macaronis, si ça chante pas l’yquem, si le juliénas coule pas à flots, si ça fait pas escale à Dékonos, si ça passage pas à tabac, si ça croit qu’il y a des trous dans le gruyère, si ça s’étonne que le gratin ne soit que dauphinois, si ça chante pas Lyon, si ça enchante pas Paris, si ça visite pas Saint-Cloud, Saint-Chef et Saint-Locdu-le-Vieux, si San-Antonio c’est mieux qu’avec, si son IBM devient maboule, Simonin Albert, Simenon, Si mais Non, s’il faut tuer les petits garçons qui ont les mains sur les hanches, Si maman me voyait, Si ma tante en avait, Si, Signore, si ça te prend pas à témoin, à la gorge, au dépourvu, au débotté, au saut du lit, si ça a peur de choquer le bourgeois-cul-bénit, les gluants du bulbe, les effarouchés de la prose diarrhée, les craigneux du stylo-poubelle, si ça passe les pets sous silence, si loufer n’est plus loufoque, si ça cache les grosses bites sous le boisseau, si ça regarde pas dans la culotte des filles, si ça confond « le concours Lépine » avec « le con court les pines », si ça déclare forfait au beau mitan d’un envolée fougueuse, si ça a peur de choquer les amoindris du calbar, les frileux du zifolet, les désolés du paf, les rabougris du kangourou, si ça franchouillardise pas un poil, si ça bérurise pas toutes les trois pages, si le Gros défonce plus les sommiers en chantant « Les Matelassiers », si Berthe tombe en panne des sens, si ça raconte pas Félicie, si Pinaud mégotte, si M’zelle Zouzou délaisse l’Achille, si San-A. marie Marie-Marie, si Jérémie Blanc n’est plus noir, si Les escargots ne savent plus baver et si Patrice range son clavier, si ça jeu-de-mote pas un brin, si ça calembourde pas un tantisoit, si ça argote pas un chouilla, si ça néologise et digresse pas de temps en temps, si c’est Peuchère, si ça réclame pas un minimum de taf de phosphore, si ça parle pas à la plupart d’entre toi, si ça poète pas plus haut que son luth, si ça fait pas pouêt-pouêt, si ça oublie de s’adresser à Lui entre quat’z’yeux, si ça renvoie pas en bas de page, si ça prie pas d’insérer, si ça tire pas un peu la quatrième de couverture à soi, si ça fait pas un peu semblant, si ça rêve pas éveillé,

… si ça aime pas les listes,

et surtout, surtout, si ça se prendrait au sérieux, je te me le demande un peu où ça irait un dico amoureux de Sana qui serait comme ça !

Ceci n’est pas une préface

Ceci n’est pas une préface. Ceci est à peine un texte.

Par ces deux courtes phrases, l’écrivain Frédéric Dard, dit San-Antonio, introduit l’ouvrage Lunes rousses du poète Scutenaire, ami indéfectible du peintre Magritte. Le titre ci-dessus leur rend hommage à tous les trois ; ils avaient tant de points communs !

Les lecteurs de San-Antonio, amateurs avertis ou passionnés, connaissent bien leur Frédéric Dard. Les lecteurs occasionnels et les non-initiés ne savent pas forcément qui se cache derrière ces deux noms d’auteurs, si différents l’un de l’autre. Voici brièvement l’histoire. Frédéric Charles Antoine Dard, né en 1921, a très tôt vocation d’écrivain. Son premier livre, La Peuchère, est achevé avant ses dix-huit ans. Les dix années suivantes, années d’ambition autant que d’errance littéraire, constituent un terrain d’essai à la recherche d’un style, une des leçons qu’il a retenues de la lecture de Proust, de Simenon et de Céline, tous trois convaincus que l’écriture, c’est le style. Pour l’écrivain qui se cherche, c’est une période d’enthousiasme et de doute sur ses propres qualités de romancier. Au point qu’il s’abrite souvent derrière de nombreux pseudonymes pour signer ceux de ses livres, nouvelles et contes écrits dans l’urgence risquant d’entacher le nom et la carrière de l’auteur Frédéric Dard. En 1949, période de vaches maigres, il explore une piste à la mode, le roman policier à « l’anglo-saxonne », laissant toutefois certains de ses personnages s’exprimer de manière argotique et cocardière. Et il signe de nouveau sous un nom d’emprunt ! Ainsi crée-t-il un énième pseudonyme qui se veut, celui-ci, à consonance américaine : San-Antonio ! Du nom de l’agent spécial dont il pense raconter une seule aventure. Mais il n’imagine pas qu’un éditeur, Armand de Caro, un critique, Igor B. Maslowski, Le Canard enchaîné et quelques rares lecteurs pressentent, eux, qu’un curieux et attachant phénomène littéraire est né. Sous la pression amicale d’Armand de Caro et de Guy Krill, récents créateurs du Fleuve Noir, et sous la frappe fébrile du jeune Dard, un deuxième San-Antonio sort un an et demi plus tard, prélude à une série au rythme de parution effréné. La saga se poursuit sur toute la seconde moitié du siècle. Elle rallie des millions de lecteurs tout au long des 183 aventures de San-Antonio[2], reflet d’une comédie humaine débridée, au succès jamais démenti. De son côté, Frédéric Dard trépigne, observant le succès de son commissaire et de ses acolytes avec scepticisme d’abord, résignation ensuite, plaisir enfin. Pourtant, cela ne le détourne pas de son ambition première : devenir un « grand » écrivain. Il s’abrite encore derrière quelques pseudonymes, puis signe de son vrai nom des œuvres, certes fortes, mais ne rencontrant pas le succès escompté. Théâtre et cinéma le divertissent un temps, d’autant que la critique lui est vite acquise. Mais l’écrivain solitaire n’est pas fait pour le travail d’équipe. Du reste, qu’est-ce tout cela à côté des 600 000 exemplaires de chaque San-Antonio qui, quatre à cinq fois par an, mettent désormais la France en joie et attirent de plus en plus un public intellectuel, au début indifférent, puis vite conquis ? À la fin des années 1970, Frédéric Dard capitule ! Dès lors, avec ou sans le beau commissaire, tout ce qui est de sa main sera signé San-Antonio. Comme il en convient lui-même, sa marionnette a pris possession du marionnettiste. Presque apaisé, il entreprend même les démarches nécessaires auprès de l’Administration afin que son passeport soit au nom de Frédéric Dard, dit San-Antonio. C’est sous ce patronyme qu’on peut le trouver aujourd’hui dans le charmant petit cimetière de Saint-Chef, où il repose depuis le 9 juin 2000, ayant enfin retrouvé son Dauphiné natal. À l’ombre de la tour du Poulet, c’est bien le moins !

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1

Vas-y, Béru !, 59e épisode de la série des San-Antonio, commence par cet avertissement à ses féaux lecteurs :

Chers vous tous,

Depuis le temps qu’on se pratique, on a fini par bien se connaître. L’univers san-antonien que causent les journaux, on se l’est mis au point, et on a une façon bien à nous, maintenant, de se parler et de se comprendre.

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2

Soit 174 San-Antonio « petits formats » et 9 hors-séries.