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B

Bérurier

(Une saga familiale)

À elle seule, la famille Bérurier mériterait qu’on lui consacre la moitié de ce dictionnaire. Sans Alexandre-Benoît Bérurier, dit Béru, notre beau commissaire n’aurait pas connu le même parcours. Ni physiquement, car il lui sauve souvent la vie, ni littérairement, car bon nombre de lecteurs n’auraient pas suivi ! Sans Berthe, dite B.B., et une centaine de surnoms, Béru n’aurait pas eu de porc d’attache, ni de moitié, un euphémisme pour une accorte personne dépassant les cent vingt kilos. Leurs exploits de couple, essentiellement sexuels, sont à la classique partie de jambes en l’air ce que l’Everest est à un rocher de Fontainebleau. Leurs exploits hors couple, essentiellement sexuels, sont empreints d’une immense liberté, d’une tolérance envers l’autre presque sans limites et d’une imagination au-delà du raisonnable. Toutefois, le sexe n’est pas la seule passion qu’ils partagent. La bonne chère, la picole et l’adultère sont dans le contrat de mariage. Comment pourrait-il en être autrement ? Jeune fille — on a de la peine à se la représenter ! — , Berthe a été bonne dans un hôtel, puis serveuse au restaurant des Aminches, où elle n’est restée ni longtemps ni jeune fille. C’est là que le fringant Béru, dit A.B.B., a fait sa connaissance. Dans son uniforme de poulaga à boutons argentés, l’aubergine blanche accrochée au côté, le préposé à la circulation du boulevard Richard-Lenoir en imposait : Y en a des vicieuses qui se faisaient verbaliser exprès pour pouvoir me causer et me renifler la vareuse, nous informe-t-il. On veut bien le croire. De même quand il affirme que Berthe, dite la Berthe à l’époque, a eu ses émois de printemps en l’apercevant. Béru, c’est sa force, n’a jamais douté de son charme, et encore moins redouté la concurrence. Ce charme tient aussi à ce qu’il a toujours été sûr de sa force ! Ce jour-là, en grande tenue poulardière, il sait qu’il ne peut pas se permettre la main au valseur, comme les autres clients, taximen et petits voyageurs miteux. Quand c’est nécessaire, il a de la ressource. Il sait se rabattre sur le madrigal et paraître aux seuls yeux de Berthe d’une mondanité exorbitante  ; rien dans le geste déplacé, tout dans le langage velouté, quoi ! Du caressant qui amorce le frisson[7]. Du genre : Ce qu’il y a de meilleur dans ma blanquette de veau, mon petit chou, c’est vot’joli pouce qui trempe dans la sauce. Galant comme jamais, comme jamais plus, il diffère leur première rencontre privée, attendant un prétexte valable pour se retrouver seul à seul avec celle qui a senti le gars de l’élite, illico. C’est le classique bouton de braguette qui s’est fait la valoche et la main secoureuse de la gentille serveuse : Venez prendre le thé et amenez-moi tous vos dégâts, que je vous répare. L’extase est vite atteinte. Normal quand les biscuits cuiller sont remplacés par des andouillettes, des vraies, des lyonnaises, dodues et juteuses, avec du grenu sous la peau et des fissures qui bavent jaune clair. De ce jour-là est né le couple le plus vivant de la littérature française, deux esprits tout en finesse, la leur, car ayant compris que les bonnes manières, c’est la base du bonheur. Un peu plus tard, chacun commentera à sa façon ce premier moment de complicité. Pour Berthe : Un jour, j’ai rencontré c’gros sac à gadoue d’Bérurier. Il avait une queue d’enfer : j’l’aye épousé pour pas laisser échapper une bite pareille plutôt que par amour ! Version Béru : Les plus belles andouillettes de ma vie, les gars, c’est ce jour-là ! On avait l’impression de bouffer le bon Dieu !

Joli couple, non ? Ce n’est que le début de leurs aventures ! Grâce à un appétit jamais démenti pour le sexe, la bouffe et la castagne, Béru, dit le Gravos, dont la devise est « Mieux vaut queutard que jamais », gravit tous les échelons de la police et devient Minis’ de l’Intérieur. Grâce à un appétit jamais démenti pour le sexe, la bouffe et son amant Alfred, Berthe, dite la Gravosse, gravit toutes les braguettes qui passent à sa portée et devient présidente de la République du Rondubraz. Autant vous dire que les péripéties touchant nos deux héros sont nombreuses dans les San-Antonio, et qu’en conséquence nous les retrouvons souvent dans ces pages, dans leur page, ou dans celui des autres.

De surcroît, c’est l’occasion pour eux de nous présenter leurs familles respectives : les Poilfout du côté de Berthe, dite la Baleine, dont le père était rétameur et la mère rempailleuse de chaises, une lignée de paysans normands du côté de Béru, dit l’Hénaurme, lui-même originaire de Saint-Locdu-le-Vieux, réincarnation possible du village de Broglie. Sans oublier de nous faire participer aux aventures de leur fille d’adoption, Marie-Marie, dite la Musaraigne, et de leur fils, Apollon-Jules, dit Éléphant Boy, beau bébé de seize livres, né en 1986, « à la limite du hors-jeu », selon l’expression de Sa Majesté Béru Ier de père.

Si, au fur et à mesure des épisodes, on fait la connaissance des Bérurier et de leur ribambelle de cousins, nièces, tantes et oncles, on apprend qu’ils sont la plus ancienne famille dont on ait gardé une trace, bien antérieure aux premiers rois de France. En effet, le Commentaire sur la guerre des Gaules de César Pion mentionne le paysan gaulois Bérurix qui eut un rôle capital dans la reddition de Vercingétorix à Alésia. Le seul biographe autorisé de notre Béru moderne, San-Antonio, nous révèle plus loin dans L’Histoire de France vue par lui-même — document qui est à l’histoire de notre pays ce que la chanson de salle de garde est à l’enseignement médical — que Bérurix est suivi en ligne presque directe par, excusez du peu :

— Béruris, soldat de Clovis,

— Carolus Bérudberg, un des premiers élèves des classes de Charlemagne,

— Béruyer, valet du roi Louis IX, dit Saint Louis,

— Bérudan, barbier de Louis X, dit le Hutin,

— Béruroi, un fripon qui fit entendre des voix à Jeanne d’Arc,

— Alain Bombérubard, marchand de morues à Camaret qui découvrit l’Amérique juste avant Christophe Colomb,

— Messire Béruron, joaillier, et sa dame Adeline, dite « la belle Bérurière », favorite de François Ier,

— Béruguise qui révéla à Henri III ses penchants pour la jaquette,

— le fauconnier Béruriac qui fut obligé d’abandonner sa fille à Henri IV,

— le mousquetaire Bérugnan, natif de Bourg-la-Reine, qui eut l’honneur de partager une nuit la couche d’Anne d’Autriche et offrit Louis XIV à la France,

— Agénor Lebérul, un des rares à avoir su qui s’était dissimulé derrière le masque de fer, lui en l’occurrence,

— le banquier Bérucheul, qui acheta et offrit la Corse à Louis XV,

— le compagnon Béruriez, véritable inventeur de la guillotine,

— le grognard Bérurier, dit Pan-Pan-la-Tunique, à l’origine du célèbre « Merde » de Cambronne,

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Si vous avez une phrase mieux torchée à me proposer je suis preneur, même sans facilité de paiement. San-A.