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et l’interprète Bérurier, responsable de la première guerre d’Algérie en 1827.

Il s’installa ensuite en Normandie et engendra la lignée des Bérurier que nous connaissons.

Il serait dommageable pour l’Histoire d’oublier la branche corse des Bérurier de Saint-Locdu-le-Vieux par la cousin’rie av’c les Pommier, dont laquelle r’monte à l’ennui d’étang. Une famille Pommier apparentée aux Ramolino, dont une Laetitia n’est autre que la mère de… Napoléon. La ressemblance entre ce dernier, à l’époque où il était bien portant, et not’Béru national, lève, de surcroît, tout doute sur leur filiation. Plus sujette à caution est la branche canadienne de la famille, découverte fortuitement dans Ma cavale au Canada. Le Mahousse y fait la connaissance de Louisiana Bérurier et s’en éprend follement, avec la conséquence tragique qu’on imagine pour son couple. Une issue heureusement provisoire chez cet être vivant au jour le jour et dont les souvenirs de sa Baleine auront raison de cette énième infidélité. Néanmoins, tout émoustillé, il prévient San-A : On a étudié notr’ arb’ zoologique. On n’est pas parent, d’après nos origegines. Moi, c’est la branche alcoolique d’Normandie, elle c’est la branche syphilitique des Ardennes ; c’qui esplique que, pour la bouillave, on peut y aller franco de porc : aucune sanguignolité ent’ nous. Pour la deuxième fois en deux ans, le couple Berthe-Béru se sépare. Leur divorce semblait déjà irrémédiable en 1987 dans Le Trouillomètre à zéro  ! Leur liberté sexuelle étant au moins égale à leur jalousie réciproque, on ne peut jamais prévoir pourquoi ni comment surgira la tempête. Elle est en eux, avec sa comète de scandales, ses nébuleuses de turpitudes prêtes à éclater. Les Béru, c’est comme un appartement envahi par le gaz d’éclairage : suffit d’un léger coup de sonnette pour provoquer la monstre explosion.

Cette fois-ci, Béru se fend d’une lettre de trois pages qui en dit long sur sa motivation, et dont l’élégance n’a d’égale que le style enlevé. On peut l’apprécier dans ce bref extrait :

Lètre à Berthy

Une qui va tomber des nues sur son gros cul, c’sera toi, ma pauv’ femme, quand t’est-ce que j’t’aurai annoncé la grande nouvelle, je me casse. […]

J’m’ai ram’né du Canada un’ p’tite frangine choucarde en plein, prop’ comme un dollar neuf, av’c le poilu tiré à quat’épingu’, c’qu’a son charme, même pour un môssieur peu porté sur les blablutions comme moi. S’ensuivent force détails sur comment que la Louisiana en question le pratique une fois qu’il lui a collé l’Pollux dans l’étau, pour embrayer sur sa grande magnitude en matière de partage des biens communs, avant de s’achever par une formule pleine d’empathie : Allez, tchao ! Surtout, chiale pas, la mère. Dis-toi une fois pour toutes qu’la vie, c’est la vie. J’t’souhaite une bonne continuation avec ton bamboula[8].

Celui qui signe déjà ton ex :

Alexandre-Benoît B.
Poste-Critérium : R’lativement au partage, j’te propose l’arrangement suvant : je prends en charge la bagnole et toi not’ fils Apollon-Jules, c’qui paraît équitab’.

Bestiaire

Kangourou : seul animal qui, avec le morpionibus, marche sur la queue.

Frédéric Dard.

Cette fois-ci, Josiane se l’est promis : il a beau être le meilleur des hommes, et même s’il l’a encore augmentée la semaine dernière, qu’elle en est toute gênée, elle va oser dire à M. Dard qu’elle n’a pas aimé la fin de son livre. Voilà cinq ans qu’elle tape les adaptations de ses romans pour le théâtre ou le cinéma, elle a l’habitude des excentricités de « Monsieur Frédéric », comme l’appellent entre eux Josiane et son mari René. Souvent, ils se demandent même où il va chercher tout ça. Comment peut-il inventer des histoires pareilles, enfermé à longueur de journées dans sa maison des Gros Murs ? Peut-être quand il fait ses ronds dans l’eau avec son fils, dans leur petit bateau à moteur ? C’est sûr, c’est à cause de la Seine. Il s’imagine sur l’Atlantique et il part voyager dans sa tête. Mais cette fois-ci il est allé trop loin.

— Tu crois pas que j’ai raison, René ? Tiens, passe-moi les carbones. Il vient cet après-midi et j’ai encore trois pages à taper. Je vais lui dire, je vais lui dire ! C’est pas possible qu’il fasse crever cette pauvre mule qui a déjà tant souffert. C’est pas La dynamite est bonne à boire qu’il doit l’appeler, son livre, mais Les couleuvres sont trop dures à avaler  !

* * *

Cinquante ans plus tard, tandis que Josiane Gony, devenue Mamie Jo en même temps qu’une pétillante grand-mère, me raconte, émue, cette anecdote, et son unique et sincère rébellion, me revient en mémoire mon pincement au cœur à la lecture des dernières pages de ce formidable roman, écrit en 1959. Une histoire d’amour impossible, avec pour décor des mines d’argent au fin fond du Pérou. En maître du suspens, Frédéric décrit le calvaire d’une mule, charriant pendant des jours le cadavre d’un homme sur son dos, attaquée par des vautours, mordue par un serpent. Et, à la fin, achevée d’un coup de couteau dans le flanc. M. Tommy Lee Jones, n’auriez-vous pas lu Dard autant que Faulkner, avant d’entreprendre le tournage de votre oppressant Trois enterrements  ?

Par hasard, j’avais lu peu de temps auparavant le premier article du jeune Dard, intronisé — enfin ! — journaliste au Mois à Lyon  : celui sur un petit âne de la place Bellecour, nommé Manon. Un aliboron à poil rêche de tapis brosse, enchâssé dans les brancards de sa carriole bleue, qui tourne depuis si longtemps autour de la place qu’il ne sait peut-être plus qu’il marche ! Il tourne encore, il tourne toujours, comme s’il était remonté pour l’éternité. Et voilà qu’en romancier il faisait subir le martyre à une pauvre mule, lestée d’un cadavre ! Un instant, j’oubliai l’inventeur d’histoires et doutai de son amour des animaux, à lire son acharnement dans l’horreur. Un sentiment fugace car je connais trop bien l’enfance paysanne du jeune Frédéric et son attachement profond à la nature et aux animaux en particulier. Des animaux qu’il met en scène dans certains de ses romans, jusqu’à faire de l’un d’entre eux, le chien basset hound Salami, l’auxiliaire de San-Antonio. Apparu pour la première fois en 1997 dans La Queue en trompette, Salami n’est pas né de la seule imagination de San-Antonio. Après la chienne Jézabelle (Belle tout court), morte d’avoir trop goûté à une taupe empoisonnée, un deuxième basset hound, arrivé tout droit de sa Charente-Maritime natale, a partagé la vie des Dard à Vandœuvres. Salami a les honneurs de « 30 millions d’amis » et aurait eu une vie bien courte, ayant été fauché par une voiture, si son hôte ne lui avait donné une deuxième chance, littéraire, celle-ci. Adopté sans hésiter par San-A. (Les décisions importantes de mon existence, je les ai toujours prises dans un élan incontrôlé), Salami comprend le langage humain, semble lire parfois dans les pensées et, on s’en doute, préfère les femmes aux chiennes. Une leçon de vie pour Milou et Idéfix ! Vous voulez mon sentiment ? Non ! Je vous le donne quand même. Frédéric Dard, l’avide lecteur de Maupassant, le brillant adaptateur de Bel-Ami, aurait pu lui trouver un autre nom, à son Salami !

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8

Le bamboula en question n’est autre que Couci-Koussa, le cousin germain de Jérémie Blanc, pour lequel Berthe a eu quelques faiblesses. On voit que les torts sont partagés, comme dans la plupart des couples en danger de rupture.