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Allez, j’arrête là mes divagations : On liquide et on s’en va  !

Tropes

En matière de recherche sur l’œuvre de Frédéric Dard, l’association des Amis de San-Antonio offre un brassage fécond de spécialistes, d’universitaires, d’amateurs avertis ou impatients de le devenir, et d’une manière plus générale de curieux et de passionnés. Chacun y apporte sa compétence, sa connaissance ou son simple point de vue. De ces échanges est née une approche qui situe de mieux en mieux l’œuvre dans le paysage littéraire du XXe siècle. Elle permet d’apprécier les multiples facettes du talent littéraire, de la philosophie existentielle et de l’humanisme de Frédéric Dard. Ce dictionnaire doit beaucoup à tous, le partage et la confrontation intelligente nourrissant et enrichissant la réflexion. Il est redevable à certains en particulier, dont la curiosité et l’amour de San-Antonio ont permis d’éclairer les mécanismes et les aboutissants d’une littérature hors du commun. Parmi ceux-ci, Raymond Milési est un homme précieux. C’est un professeur de français et, selon sa propre expression, un « san-antoniophile pour l’éternité ». Étant à la retraite, il a trouvé en nous de nouveaux élèves, san-antoniens, san-antoniologues, voire san-antoniolâtres, particulièrement attentifs à ses trouvailles. C’est aussi un homme de listes, et il a vite compris, carnet de notes à la main, que San-Antonio était un sujet inépuisable. C’est enfin un écrivain à la plume chaleureuse, passionné de science-fiction, sachant trouver les mots pour célébrer le génie de San-A. Sans jamais se prendre ni prendre le monde au sérieux, en bon adepte de Frédéric Dard. Cinquante années de fréquentation du commissaire en ont fait un intime de San-A., et on peut imaginer que sa culture dardienne est à la hauteur. Conscient de cette proximité, et en témoignage de remerciement pour ses ouvrages variés sur l’œuvre (voir l’entrée Bibliographie), le Fleuve Noir consacra les trente dernières pages du 174e et dernier San-Antonio (Lâche-le, il tiendra tout seul) à un guide de lecture San-Antonio mode d’emploi, patiemment agencé par Raymond Milési. À la suite de cet insert, Frédéric Dard lui adressa ce mot qui offrit l’éternité à ce si sympathique et si cultivé Thionvillois : Je vous aimerai jusqu’à la fin du monde.

En nous proposant ses multiples classements thématiques et son remarquable travail bibliographique, Raymond Milési nous aide beaucoup dans l’approche de l’œuvre titanesque de San-Antonio. Il nous permet de nous y retrouver, alors que son seul plaisir à lui est de s’y perdre, de plonger dans les aventures de notre héros « comme dans une piscine et de s’y laver l’âme dans une belle eau bien fraîche ». L’ancien professeur est pédagogue, et sa curiosité n’a pas de limites. Une de ses dernières lubies fut de taille. Elle consista à répertorier tous les tropes dont San-Antonio use et parfois abuse. Entendez par « trope » ce qu’on nomme en rhétorique une figure de style. En clair, tous ces chiasmes, épanalepses, antonomases, hypotyposes, isolexismes et autres parataxes qui font le sel et la richesse de notre belle langue française. Frédéric Dard n’avait sans doute pas l’idée qu’il recourait à ces tropes, mais Balzac, Flaubert ou Victor Hugo non plus ! Parions même qu’aucun académicien ne serait en mesure de nous donner une définition et un exemple de la plupart de ces procédés littéraires dont l’étude exhaustive semble réservée à une poignée d’hyperspécialistes. Dont Raymond Milési ! Pour preuve, son ouvrage Les Figures de San-Antonio, dont l’humour n’est pas le moindre des attraits, a pour sous-titre Hyper, mes tropes !

Lire ce que l’on ne comprend pas peut être un enchantement. À titre d’exemples, les théories mathématiques, la physique quantique ou l’astrophysique, sous la plume de leurs meilleurs connaisseurs, peuvent parfois offrir au profane des plaisirs de lecture ne tenant qu’au seul « bonheur des mots ». Il en va ainsi pour l’énoncé de certains tropes ; espérons que ces quelques extraits donneront envie de lire Milési… et San-Antonio, cela va de soi. Les exemples cités sont le « tout de son cru » (trope classé parmi les contrepèteries).

ALEXANDRINADE

On comprend qu’il s’agit d’alexandrins glissés dans la conversation :

— Qui aurait pu prévoir aurait su l’éviter ! réponds-je à cloche-pied (douze pour les dames).

— Je ne pouvais prévoir un aussi grand malheur, alexandrine-t-elle.

Mais San-A. sait également emprunter aux classiques : Ce grand cœur qui paraît au discours que je tiens…

ANAPHORE

Ce trope consistant en une répétition d’un même mot est devenu célèbre lors d’un débat opposant deux candidats à la présidentielle. San-A. ne les pas attendus pour en user : Pinaud douta, Pinaud sortit et Pinaud crut.

Qu’on ne confondra pas avec le ressassement ni avec l’épanalepse, répétition d’un ou de plusieurs mots : Il a la peau grise, une chemise grise, des souliers gris et pour se gratter il met sûrement de longs gants gris. (Comprenne qui pourra, ou qui s’est déjà gratté… c’que j’pense !)

ANASTROPHE

Cette inversion de l’ordre des mots ne nous fait pas quitter le domaine de la politique auquel San-A. réserve souvent ses piques : Il faut « raison garder », disent ces cons de politiciens.