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Parfois, dans les San-A., les animaux sont prétexte à drôlerie, comme en témoigne la balade à cheval de Béru et Berthe, en forêt, dans Mange et tais-toi. Un monument du rire : Quand ils ont démarré, les deux nôtres, j’ai crié à Berthy : « Passe-z’y les deux bras autour du cou et appelle-le mon chéri, Grosse, autrement sinon, on se ramasse un billet d’orchestre avant la fin de la croisière.  » Béru en profite pour nous faire part de ses opinions forestières : Je considère que le forestier, c’est fait pour la cueillette des champignons ou pour se faire écosser le kangourou[9] par une petite rurale, en tout cas pas pour jouer Il y va Noé entre les arbres. Au chapitre des grandes délirades, la façon dont le mastard dompte une autruche et un kangourou (un vrai, celui-là !) dans une fête tasmanienne est un grand moment de littérature animalière (Zéro pour la question). Mais le must revient à l’inénarrable compagnonnage de Béru avec un bélier, baptisé Cyprien, dans Tango chinetoque (voir cette entrée). Ainsi, à leurs retrouvailles : La joie de ce bélier est indescriptible. Il se frotte au Gravos en poussant des soupirs pâmés. Il est enamouré, en transes, fou de bonheur. Généreux, le gars Béru se déchausse afin de récompenser comme il se doit le fidèle animal.

À d’autres occasions, le romancier transforme une histoire vraie en un carnage programmé, cela donne des scènes d’une cruauté assez insoutenable. Jugez plutôt. Dans Tire-m’en deux, c’est pour offrir, Sana nous raconte un souvenir d’enfance : le chat d’une cousine s’était glissé à son insu dans le four qu’elle venait d’allumer avant de partir faire des courses. De profundis pour minet, ce gros con frileux, conclut Frédéric qui n’avait peut-être pas à l’époque une grande sympathie pour les matous. Dans un roman suivant, il met en scène un flic sadique s’acharnant, à chacune de ses visites, à buter un par un les douze chats d’une vieille retraitée. Réservant au final un sort particulier à une vieille chatte poilue — je vous laisse deviner laquelle ! — qui ne le restera pas longtemps.

Parfois, nous croisons de drôles de bêtes, sans l’invention desquelles Frédéric Dard ne serait pas San-Antonio. Exemple, ce curieux personnage croisé dans En avant la moujik. Il porte une chaude pelisse en peau de dzobbe et un bonnet de fourrure en poil d’oku. Explication : le dzobbe est un petit mammifère qui vit dans la région du lac Honasse et dont la principale particularité est qu’il change très souvent de terrier. Le poil d’oku, lui, est particulièrement apprécié des gens méticuleux. Bref, un étrange bestiaire, sans parler des féroces animalcules qui prennent régulièrement possession de la toison foisonnante de Béru, dit Sa Divinité mal braguettée  !

Soufflons le chaud et le froid, à la manière de San-A. : évoquer un animal peut être une manière de réfléchir sur notre propre condition  : Je me rappelle justement un rat que j’ai vu périr quand j’étais môme. Il s’était laissé poirer dans une cage grillagée à cause d’un petit bout de gruyère, cette cloche !… Ma grand-mère a plongé la cage dans une grande bassine d’eau… Il s’est allongé dans l’eau pour mourir… On a eu honte, grand-mère et moi… Depuis lors, j’ai toujours bien aimé les rats.

De son enfance, Frédéric garde des images fortes qui ne le quittent plus. De toute la gent animale, il n’y a guère que les reptiles qui n’ont pas grâce à ses yeux : Moi, le serpent, c’est ma bête noire. J’ai toujours nourri une peur irraisonnée pour tout ce qui est reptile. Quand j’étais mougingue et que je me baladais à travers les champs, du côté d’Aillat, j’exécutais une cabriole et poussais un hurlement chaque fois qu’une ronce me piquait le mollet. Une répulsion dont il trouve un jour le prolongement, sinon l’explication : Quand j’étais mouflet, je rêvais d’un animal qui ne bédolerait[10] jamais. On m’avait dit le crocodile, tous les huit jours, ou le boa, je crois bien. Mais en fait de reptiles, les hommes me suffisent amplement.

Frédéric tiendrait-il des animaux son art de l’intrigue ? Voici l’étrange révélation qu’il nous fait dans la préface de son livre pour enfants Cacou, l’œuf qui n’en fit qu’à sa tête : Étant enfant, j’avais la passion des gallinacés. […] Ma grand’mère, chez qui je séjournais la plupart du temps, habitait la campagne et nous jouions elle et moi à y élever des poulets. […] Nous commandions les œufs dans les élevages recommandés par Le Chasseur français et les mettions à couver. Le jour de l’éclosion constituait toujours un événement, et c’est penché sur un nid que j’ai contracté le goût du suspens.

Impossible de terminer ce chapitre animalier sans évoquer une de ses plus belles et troublantes histoires, signée Frédéric Dard. Puisque les oiseaux meurent est un court roman paru en 1960. C’est l’histoire d’un homme accompagnant sa femme, accidentée, dans ses derniers moments de vie, après l’avoir rapatriée à leur domicile. L’intrigue se noue autour d’un oiseau, un verdier au plumage jaune-vert et au gros bec solide. Il pénètre dans la chambre et devient pour la jeune femme la réincarnation de son amant mort dans le même accident de voiture. Le huis clos est en place, auquel seul survivra le mari, avant qu’un autre oiseau… Non, lisez-le, c’est du grand Dard, du grand art.

* * *

— René ! Tu as vu, il avait l’air tout chose, Monsieur Frédéric, quand je lui ai demandé de ne pas tuer la mule à la fin de son livre. J’ai cru qu’il allait pleurer. Ça m’a fait drôle quand il m’a dit : « Vous êtes comme Odette, ma chère Josiane. Mais, voyez-vous, je peux rien changer, je l’ai imaginé comme ça, et ne vous inquiétez pas, ce n’est pas la vérité. La vérité, c’est ce qui fait plaisir  ! »

Bibliographie

Inclure une bibliographie sous forme de chapitre en milieu d’ouvrage, voilà bien une manière de bousculer les codes qu’aurait sans doute appréciée San-Antonio. Il nous avait prévenus : J’en ai ma claque de toujours te baliser le parcours ; ça te rend cossard, mon pote. T’as les méninges qui poissent. Tu sais que ton cervelet fuit ?

Alors, prenons-nous au jeu, et suivez le guide ! Aux entrées Amis de San-Antonio et Kill Him (sur les pseudonymes), j’explique qu’il est impossible, l’auteur étant décédé, de constituer une liste exhaustive des écrits de Frédéric Dard, dit San-Antonio. Un certain nombre d’incertitudes subsistent sur l’attribution ou non d’articles ou de nouvelles, de livres parfois, peu en réalité comparé à la totalité de l’œuvre, mais le doute complet ne sera jamais levé. Qu’importe ! Cette liste, ou plutôt ces listes, car tous les genres littéraires sont répertoriés, ont fait l’objet d’ouvrages du vivant de Frédéric Dard, puis de catalogues après sa mort, approchant au plus près l’ensemble de l’œuvre, traductions et innombrables rééditions comprises. La Bibliographie illustrée de Christian Dombret (AAction Média, 1990) est le premier ouvrage de référence, celui qui a montré le chemin. Il fut suivi de Moi, vous me connaissez, de Pierre Grand-Dewyse (Rive Droite, 1994), San-Antonio, premier flic de France, de Raymond Milési (DLM Éditions, 1996), puis de trois catalogues dont la réalisation demanda des mois de patientes recherches : le Catalogue San-Antonio de Jean-Paul Bouquin (Les Amis de San-Antonio, 2009), le Catalogue Frédéric Dard/San-Antonio des éditions étrangères de Philippe Aurousseau (Les Amis de San-Antonio, 2010) et Il était une fois… le cinéma, le théâtre et la télévision : Frédéric Dard/San-Antonio de Didier Poiret (Les Amis de San-Antonio, 2012). Pour les curieux, la liste des San-Antonio établie par Raymond Milési à la fin de Lâche-le, il tiendra tout seul (S.A. 174, Fleuve Noir 1999) propose un classement très original, par thème (aventures de guerre, lutte contre les nazis, lutte contre des trafiquants en tout genre, etc.), et un autre, qui lui est personnel et forcément suggestif, mais très pertinent, sur les San-Antonio les plus drôles, les inoubliables et les grandes épopées planétaires. Raymond Milési est aussi l’auteur des Figures de San-Antonio (Les Amis de San-Antonio, 2010).

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9

Béru doit penser à : se faire arracher le copeau, chipolater le sournois, narguiler le brise-jet, stratifier l’Angélique, briquer le chinois, éponger le Monseigneur, extrapoler le pollen, lubrifier le panais, décoder Prosper, voire pomper le dard  !

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10

Caguer, cagoinsser, mouler un bronze, débourrer, nous expliquerait Béru !