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Elle est savoureuse, l’histoire vécue que Frédéric raconte. Elle se passe à Gstaad à la réception d’un hôtel où il discute avec le patron. Arrive un Anglais qui, tout excité, interpelle le patron :

— Tu vois, des Ferrari comme celle-là, il n’en existe que deux au monde.

Il quitte les deux hommes et revient peu de temps après, en état d’excitation, mais pour d’autres raisons. Il s’approche d’eux et s’écrie :

— Il n’en reste plus qu’une !

Il vient de broyer son bolide à un passage à niveau, s’en sortant indemne par miracle.

… Et ils sont réjouissants, les démêlés de Frédéric avec Rolls-Royce. Ils occupent quatre pages en verve de ses confidences à Jean Durieux. Ses premiers droits d’auteur importants lui flambent dans les doigts. Il achète à Genève une Silver Shadow et part peu de temps après en Savoie. Voulant emprunter des petites routes, il se perd et, au débouché d’une allée, entre dans la cour d’une usine en grève ! Les plaques suisses le sauvent du lynchage ! À sa sortie suivante, sur un chemin de montagne, il est soudain dépassé par une roue : sa propre roue avant droite qui vient de se décrocher ! Dépannage, concessionnaire, coup de fil à la maison mère à Crewe et arrivée le lendemain à son domicile de trois Rollsmen : T’aurais vu les British devant ma roue… la tombe du Soldat inconnu ! Trois bouteilles de champagne plus tard, la livraison d’une nouvelle voiture est acquise. À la première sortie, une fumée se dégage du véhicule. Frédéric s’arrête à temps pour constater qu’un des pneus arrière brûle et que les flammes lèchent le réservoir. Un extincteur aura raison du début d’incendie, ainsi que de la passion très éphémère de Frédéric pour la prestigieuse marque.

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Cette fascination pour l’automobile est-elle puérile ? Frédéric ne le conteste pas. Lui qui, quand il est piéton, est, comme beaucoup, un monsieur qui va chercher sa voiture. L’aveu est clair : La seule chose matérielle qui m’intéresse, c’est la voiture. Voilà. Je suis un gosse. Il aurait fait un beau couple avec Coluche, le jour où il s’est rendu sur le stand de General Motors au salon de Genève. Tombé en panne en pleine campagne avec sa Ferrari, il s’est heurté au refus du garagiste du coin d’ouvrir le capot, arguant du fait qu’il répare les voitures, pas les horloges. Depuis, Frédéric ne jure que par les américaines. Le temps d’une tocade. Et commande une Cadillac rose ! Terriblement coluchienne.

Pas besoin d’aller chercher loin l’explication. Frédéric n’est pas avare de commentaires sur cette addiction infantile, dont il n’arrive pas à guérir :

Il y a des moments où l’homme moderne se rend compte qu’entre une incongruité de la pine et lui il n’y a pratiquement aucune différence : c’est quand il descend de sa voiture. Hors de son auto, il est foutu, l’homme moderne. C’est un cul-de-jatte en péril. Il se tue généralement au volant de sa bagnole, mais c’est seulement quand il est à pied qu’il a conscience d’être mortel.

Le commissaire San-Antonio souffre du même syndrome. Si on le voit commencer ses aventures au volant d’une traction, on le retrouve à la fin des années 1990, au terme de cinquante ans d’évolution de bolides, en Maserati, puis dans un cabri-au-lait Mercedes, d’après Béru. Lequel Béru roule dans une voiture qui lui ressemble, sa Célestine, une Citroën des années 1930, pourrie, qu’en sa Ford intérieure il trouve très adaptée à son standinge. Toutefois, il ne méprise pas les gros 4 × 4 V8, rapport à la dimension de la plage arrière. En visite au Salon de l’auto de Paris avec Pinuche, il vérifie sa thèse en demandant à l’hôtesse du stand de bien vouloir s’allonger sur la moquette du coffre. Dans « hôtesse », il y a « le client est roi ». Il y a aussi Béru qui, ayant enjambé le hayon, hésite à la grimper en levrette ou à la duc Dos-au-Mâle. S’étant déganté le Pollux, il profite de l’inévitable effet de surprise pour une troussée cosaque en plein salaud de loto, j’veuille dire, salon de l’auto ; tu m’troubes ! lui avoue-t-il. Sans interrompre ses ébats, mais n’oubliant pas le but premier de sa visite, il admire la qualité de la voiture, et de sa « démonstratrice ». Dans cet ordre !… pour ce dont il est des amortisseurs, chapeau ! Tu sens comme on opère dans le moileux ? Un vrai v’lours. Faut dire que tu lubrifies d’première, ma gosseline. J’ai rarement calcé une frangine aussi opérationnelle du frifri. S’ensuit un truc pas racontable, que San-A. raconte quand même, où la môme prend son goume en pure vorace. L’aventure aurait pu en rester là. Mais non, car Pinuche tient à tester le confort du monstre en s’asseyant sur le siège conducteur. Désireux d’entendre le bruit du moteur, il actionne la clef de contact sans se gaffer qu’une vitesse se trouve enclenchée. La voiture bondit. Croyant freiner, Pinuche accélère. Il en résulte des dégâts irréversibles au fur et à mesure qu’il traverse le Salon, détruisant les stands : Ferrari, adieu à une somptueuse Testarossa ; Porsche, une Carrera au tapis ; Peugeot, une moisson de 205 ; et des tires japonaises broyées au stand que visite justement l’ambassadeur du Japon à Andorre, Son Excellence Yamamoto Kékassé. Après être passée à travers une gigantesque baie vitrée, la voiture folle fonce sur l’esplanade de la Porte de Versailles, écornant un bus, défonçant un kiosque à journaux, broyant une Fiat Panda, saccageant la terrasse d’une brasserie qu’il franchit de part en part avant d’embugner un galandage séparant la salle des toilettes où un certain Albéric Lenécreux est en train de déféquer en lisant Paris-Turf.

Nous ne sommes qu’à la page 30, il y en a 312 du même délire. Ça s’appelle Les cochons sont lâchés  : MONUMENTAL !

J’en oublierais Pinuche qui, du premier au dernier San-Antonio, passe du scoutère à la Rolle Rosse, dixit Béru, fortune faite dans le flaconnage de lotion après rasage.

Et je m’en voudrais de quitter cette entrée sur les chapeaux de roue sans motoriser — pardon, m’autoriser — à citer une autre passion de Frédéric, les canots automobiles ! Celle-ci débuta sur la Seine, dans les environs des Mureaux, avec des embarcations modestes, et se termina en œuvre d’art avec un magnifique Riva, qu’il amarra au ponton du château de Coudrée, au bord du lac Léman. Les droits de L’Histoire de France et du Standinge lui auraient sans doute permis d’acheter le château avec, s’il avait été à vendre. Il baptisa son Riva le Standinge, comment faire moins, et partit se faire construire un chalet à Gstaad, qu’en écrivain reconnaissant envers son héros il appela « San-Antonio ».

Voyages

Voyager, c’est l’idée qu’on s’en fait.

Rien n’existe que nous et nos idées reçues.

San-Antonio.

16 novembre 1941. Frédéric est à l’étroit, à Lyon, dans cette France prétendument libre. Libre… de rien, oui ! Et surtout pas de bouger. Pénurie de transports en commun, pénurie de véhicules, pénurie tout simplement d’essence. Hier, il est resté interdit devant une affichette placardée au coin de sa rue, l’œuvre des Boches ou celle des collabos, qui sait ? Elle n’est pas signée.