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Le nectar descend en vous.

Fermez un instant les yeux.

Vous voilà de l’autre côté de la vie.

Lire San-Antonio est un jeu. C’est si vrai qu’un jeu de société, du type Trivial Pursuit, propose 3 000 questions sur son œuvre. Trouve-t-on celle-ci : quel est le plus beau texte de Frédéric ? Je n’ai pas vérifié. Mais je n’hésiterais pas une seconde quant à la réponse. Elle est contenue dans cette préface où je me suis amusé à emprunter des mots du nectar afin d’évoquer l’excellence de son texte. Frédéric Dard est un intermittent de l’épicurisme. Quand le doute ne le paralyse pas, il sait jouir des plaisirs de la vie. Parmi ceux de la table, qui, avec ceux de la chair, y occupent une grande place, yquem représente l’apothéose du goût, sous-titre du livre qui lui est consacré. Signant le livre d’or à l’issue de sa première visite de la célèbre maison de Lur Saluces, il eut cette formule explicite : Le plus grand jour de ma vie ? Mon épouse étant absente, je réponds oui sans hésitation ! Merci de toute mon âme.

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Je vais vous dire ; je le veux comme épitaphe. Sur ma tombe, tout seul mais gros comme ça : un point d’exclamation, je vous en supplie. Pas mon blaze, ni mes dates-parenthèses. À quoi bon ? Pas de croix non plus, Dieu me reconnaîtra sans l’emblème de sa guillotine. Simplement, pour ma satisfaction posthume, ce signe typographique, dressé comme un bâton d’agent au milieu de la foule. D’ailleurs, n’est-il pas employé sur certains panneaux de signalisation du code autoroutier ?

Qu’est-ce que je vais me faire ch… dans mon cercueil, moi, s’ils oublient de m’y foutre de quoi écrire.

* * *

M. et Mme Dard se sont liés d’amitié avec Madeleine Ferragut (en souvenir d’Ernest !), une dame sympathique et originale qui tient une boutique d’antiquités au Paradou, un hameau des Baux-de-Provence. La magicienne sait dénicher de merveilleux meubles ibériques qu’elle exhibe en goguenardant de joie malicieuse. Pas savoir à quel point elle m’indispense, cette mâtine au regard comme deux dagues damasquinées. C’est décidé, Françoise et lui appelleront leur belle maison de Vandœuvres Le Paradou. Et puis, voyez comme le hasard fait bien les choses, elle est située au 7, chemin du Paradis. Une antichambre, en somme, comme dit son copain Garcin.

* * *

Moi, je te jure, ça m’est arrivé avec une horloge, ce phénomène. J’étais mouflet à la campagne. Seul dans une pièce, je regardais aller et venir le balancier doré de la grande horloge, et je me disais : « Il passe de gauche à droite comme ça, depuis des années. Il suffit de donner un coup de manivelle chaque semaine et il va, il vient »… Fasciné, le Santonionet. Et alors, le prodige : v’là que le balancier se fige, là, sous mes yeux. Inerte. Mort de ce que je l’avais trop longtemps fixé.

Le jour que je souhaiterais crever, je n’aurai qu’à mettre ma main sur mon cœur et attendre. Tu verras.

* * *

L’image est forte, celle de Frédéric Dard monté sur sa propre tombe, lors d’un reportage… sur sa vie. Il est intitulé… Cette mort dont je parlais.

Cette ultime demeure, Frédéric, tu l’as choisie au fond du cimetière de Saint-Chef, afin de voir le Mont-Blanc et pour t’éloigner des cons, une dernière fois. Pas de chance, un de tes cousins, pas le plus sympathique, est venu s’installer juste à côté. Amer, toi ? Non, on ne termine jamais sa vie en beauté, tu le sais. Toi, tu la termineras en bonté, comme tu l’as vécue. Une dernière fois. Alors, cousin, Bienvenue au club  ! Tu grimpes sur le marbre. J’espère que je vais pas me casser la gueule, ce serait un comble, hein ? Le mec qui se tue en montant sur sa tombe. Le romancier n’est jamais très loin de l’homme. Il suffit de relire Vas-y, Béru ! : Ce serait drôle que je me tue sur ma tombe. Imaginez un peu la chose ; le San-A. mordant la poussière pour le compte ! Du coup, le soleil se couche sur la littérature ! Tout s’obscurcit, tout s’académise, tout rentre dans le rang, en rang !

* * *

— C’est vrai qu’on agrandit le cimetière ?

— Que veux-tu, la vie continue.

* * *

C’est curieux, de son vivant, je n’ai jamais pensé à sa mort ! Peut-être parce qu’il en rigolait lui-même : Moi, je vais vous dire, quand on va m’emmitoufler dans les planches, pas besoin de déguiser ma boîte-à-miettes en croisé. Vous collez dessus la photo d’Hallyday ou celle d’Albaladejo, un portrait de Bardot, une vue de Napoli, le prospectus de Maserati, bref n’importe quoi d’en couleurs, et qui vive.

* * *

La vie, c’est la mort et l’amour. Et puis franchement, rien d’autre. Rien !

* * *

Je ne l’ai jamais imaginé mort ! Fatalement, si je puis dire ! J’avais pris l’habitude de vivre avec San-Antonio, un Immortel, et de ne pas désespérer qu’il rentre un jour chez les agagadémiciens  ! Si, juste pour voir leur tête pendant son discours. Ai-je rêvé ? Non, j’ai bien lu un jour, sous la plume rigolarde et inspirée de Pivot : « Nous avons retrouvé dans les papiers de Frédéric Dard le texte qu’il avait écrit pour remercier l’Académie française au cas où elle l’élirait ! » Un monument de drôlerie ! L’hommage à Amédée-Alphonse de la Patamodelé, le bicorné venant de passer l’épée à gauche et qui lui cédait son fauteuil : « Quel casse-burettes ! Pire que Robbin-Grillet des Bois ! » Et quelle envolée quand Pivot-Dard imagine celui qui, à son tour, le remplacera ! « Choisissez, je vous le demande, ni un déshérité du caillou ni un délabré du colbart [calbar, sans doute], mais un citoyen qui a au moins trois poils d’humour et qui ne va pas se mettre la cervelle au court-bouillon pour savoir ce que j’ai voulu dire quand j’ai parlé du polygone de suce-tentation, ce que désignent les sœurs Brontë et les frères Karamazov, et ce que signifiait, pendant la Première Guerre mondiale, la loi de Joffre et de l’Allemande. Vous avez élu Dard, mesdames et messieurs, et voyez l’animal : il pense déjà à sa disparition. »

** *

Devant le cimetière, y aura une pièce de beaujolais (de chez Pivot) à la disposition des soiffards et, si mes ayants droit sont à la hauteur, ils paieront des pipeuses en caravane pour astiquer les tiges de mes potes éplorés, après le funéraire, les replonger rapidos dans la vie, que leur zob aussi ait la larme à l’œil.

* * *

Non, l’idée de sa mort ne m’a jamais effleuré ! Sans doute parce qu’il nous avait promis de revenir : Je reviendrai plus tard ! Ferai au moins une apparition… Pas à Lourdes : j’ai horreur des grottes. Je réapparaîtrai dans un coin chauffé et bon vivant : à la Samaritaine, par exemple, ou au salon de l’équipement de burlingue. Vous me reconnaîtrez à mes stigmates : une précirrhose, ou une surtrophie des burnes ! Quéque chose de ce tonneau, quoi. Ce n’sera pas la peine de célébrer mon culte sur la commode de l’autel du passe-passe. Je viendrai pas faire de miracles : juste en visiteur. Vérifier les progrès de la technique. M’assurer que tout ce que j’aurai envisagé au cours de ma belle existence s’est bien accompli, tel que je prévoyais. Sans déranger personne, jamais.

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Le chapitre XVII de Du mouron à se faire s’intitule «  !!!! », assorti de ce renvoi en bas de page : Si j’ose m’exprimer ainsi.

Il fait suite au chapitre XVI intitulé : «  ???? » et précède le chapitre XVIII intitulé : « Ô Seigneur ! »