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— Alors ?

— Je veux que tu m’écrives la suite !

— Tu as aimé ?

— Je suis dingue de ton personnage ; je crois que c’est un de mes plus beaux rôles. Je ne peux plus marcher convenablement à cause de la canne que tu lui as foutue ni parler un français correct à cause du dialogue, mais je reste comme envoûtée.

— Comment est Serrault ?

— Époustouflant !

— La mise en scène de Laurent Heynemann ?

— Un vrai bonheur ! »

Extrait du dossier de presse du film de Laurent Heynemann, La Vieille qui marchait dans la mer, 1991

Divine Jeanne ! Frédéric raccroche, nostalgique tout à coup. L’entendre si enthousiaste l’a momentanément rasséréné, mais il n’aime plus le cinéma et sait qu’il n’écrira pas de suite à La Vieille, et ne fera pas d’autre film. Trop de personnalités dérangeantes, trop de pognon en gage d’autorité et trop de conneries débitées comme des vérités. Marre des producteurs, de leur bêtise en guise de catéchisme. Une seule satisfaction : celle de leur rendre leur chèque d’avance quand ils n’aiment pas ses scénarios. Ils en tombent sur le cul. Ras le bol des négriers de la pellicule. Comment j’ai pu travaillé quinze ans avec ces gens-là ? J’ai honte, s’emporte-t-il, avant de retrouver le sourire, se remettant en mémoire le cinéma d’hier. Ses premières déceptions du parlant, passagères devant le bonheur de tant de films d’après guerre. Puis la découverte d’une Jeanne ensorcelante dans Touchez pas au grisbi. Sans parler de M’sieur la Caille : son premier film en tant qu’adaptateur et leur première rencontre !

Frédéric se revoit à Paris, au début des années 1950, dans ces salles de quartier où il pose son cul sur des fauteuils de moleskine qui colle aux fesses. Seul, s’offrant une tranche d’érotisme pour pas cher, à reluquer les actrices quand elles se baladent en petite tenue, portant des guêpières et des jarretelles. Tu veux faire comment pour résister, quand un metteur en scène te propose d’écrire le scénario de Jésus-la-Caille et de voir comment ça se passe sur un plateau ?

Trois ans auparavant, Francis Carco, l’auteur du roman, a reçu Frédéric rue de Béthune et a lu son adaptation théâtrale devant lui, avant de lui dire bravo et de lui serrer chaleureusement la main. La poignée la plus sublime de ma vie, dira un jour Frédéric à Claude Villers. Au grand écran, Jésus-la-Caille est le coup d’envoi de sa carrière cinématographique, une vie de folie, car le rythme de ses bouquins ne ralentit pas pour autant, ni celui des adaptations théâtrales.

Vingt années ont passé. Si le bilan ne lui semble guère glorieux, les souvenirs joyeux et les belles rencontres n’ont cependant pas manqué. Comme le jour, en 1958, où Frédéric accompagné de son metteur en scène Édouard Molinaro présente, dans sa ville des Mureaux, Le Dos au mur. Son deuxième film avec Jeanne Moreau. La salle du Familia est pleine à craquer, comme à chaque séance spéciale organisée par le ciné-club du Val de Seine. Frédéric n’en est-il pas le président d’honneur ? Il y aura d’autres belles rencontres, car le romancier et adaptateur à succès côtoie les actrices, acteurs et metteurs en scène en vogue des années 1950 et 1960. Pourtant, s’il sympathise avec beaucoup, il retourne vite à sa vie sédentaire et ses amitiés de papier.

Brève parenthèse, en 1966 : époustouflés par le succès des San-Antonio, les producteurs ont l’idée saugrenue d’adapter au cinéma une première aventure du commissaire et de ses acolytes. Mauvaise intuition ! S’ils l’avaient bien lue, ils auraient compris que ces personnages ne sont que des caricatures de nous-mêmes, de nous tous, et qu’aucun scénario ne saurait restituer l’univers de cette folle comédie humaine. Gérard Barray en San-A., Jean Richard en Béru, Paul Préboist en Pinuche, et tous les autres, ont beau prêter leur talent et forcer le trait, Sale temps pour les mouches et Béru et ces dames viennent enrichir la liste des nanars auxquels cinquante années de placard commencent juste à donner un certain charme. Cela n’empêche pas Frédéric et Gérard Barray de sympathiser, et de regretter la fin d’une amitié naissante au départ et à l’installation de Gérard en Guadeloupe, puis, plus tard, sur la Costa del Sol…

Ils seront peu à maintenir la flamme de Frédéric pour le septième art. Abder Isker lui reste longtemps fidèle. Mocky, l’incontrôlable, le séduit un temps. Mais, en définitive, seul Robert Hossein restera le pilier de l’aventure cinématographique de Frédéric, devant ou derrière la caméra à six reprises, et sans doute de nombreuses fois comme aiguillon, tant leur complicité est grande. Qu’il soit si souvent présent dans ces pages n’est rien d’autre que le reflet de l’amitié entre deux loups affamés, se renforçant l’un l’autre dans leur confiance en « soi », persuadés qu’il y a toujours quelque chose à faire et que ce sera leur prochain projet commun.

* * *

Hôtel Puento Romano, Marbella, été 1979.

Joséphine joue avec une petite fille de son âge. Les parents de l’enfant ont invité les Dard à dîner, impatients de leur présenter un couple de Français habitant Marbella.

— Entrez, je vous en prie, nous sommes ravis de faire votre connaissance, mon mari connaît bien vos livres, monsieur Dard. J’ai le plaisir de vous présenter de bons amis vivant ici, Teresa et Gérard Barray ! les accueille la maîtresse de maison.

La surprise est grande. Deux années de bons souvenirs jettent Frédéric et Gérard dans les bras l’un de l’autre. On scelle les retrouvailles autour d’une bouteille de pacharan, la liqueur basque de prunelles sauvages, et ils se jurent de ne plus laisser le temps et les distances les séparer. Ce qui fut fait ! Il y a des êtres dont on fait la connaissance et puis il en est d’autres qu’on rencontre et qu’on reconnaît. Ces derniers habitent en vous depuis toujours, disait Frédéric. Gageons que Gérard, tout de gentillesse, faisait partie de ceux-là. Lui qui écrivit un jour de son ami : « Frédéric Dard avait les qualités qui font d’un homme un être exceptionnel. Il avait les faiblesses qui font d’un être exceptionnel un homme. »

* * *

Pour être précis, après La Vieille qui marchait dans la mer[12], sortit en 1993 un dernier film (puis trois téléfilms) tiré d’un roman de Frédéric, mis en scène et joué par Jean-Pierre Mocky : Le Mari de Léon. On avait connu Mocky plus inspiré, notamment dans son remarquable Y a-t-il un Français dans la salle ? avec Victor Lanoux, Jacques Dutronc et Jacqueline Maillan. Un acolyte bien connu de San-Antonio attribua l’échec du Mari de Léon à un manque de concentration des acteurs, une explication qui n’appartient qu’à lui : Le miyeu comédien, c’est ainsi. Y z’ont l’franc parler sur c’qu’est d’la lonche, à force que, pour eux, baisouiller n’aye pas une importance majuscule. Dans les estudios, tu l’sais, on travaille par à-coups, alors faut meubler les temps morts, d’où ce penchant à la lonche et à la picole qu’ils contractent, tous autant qu’y sont.

Ainsi parla Béru !

Colère

Quelqu’un m’a mis dans la confidence : Frédéric, cet homme doux, calme, attentif et indigné, piquait « une colère par an ». Diable ! Vite, des preuves ! J’ai beau faire appel aux témoignages de ses proches, aucun épisode de fureur ne semble avoir marqué son entourage. Réservait-il ses colères à lui-même, dans la solitude de son cabinet de travail ? À moins que, pour ses amis, les années n’aient transformé ces épisodes furibonds en tempêtes dans un verre d’eau ! L’enquête continue. En attendant, il nous reste la lecture de ses livres, et les courroux de ses héros où Frédéric s’est peut-être projeté, à son habitude. Pourtant, là encore, je fais chou blanc. Achille, le Boss, s’emporte bien de temps en temps, mais le personnage est si caricatural, si théâtral que pas une seconde on ne devine l’auteur s’inspirant de situations vécues. San-A. lui-même pousse quelques gueulantes après Béru, mais, invariablement, il se jette dans ses bras à la page suivante, nous y régalant des plus belles odes à l’amitié. Il y a du Astérix et Obélix dans ces colères explosives, prélude à des embrassades homériques ! Dans les années 1950, « on » rapporte une grosse colère contre le copain Hossein, ayant accepté de tourner Les salauds vont en enfer, sur un scénario écrit par un autre que Frédéric, auteur pourtant de la pièce de théâtre du même nom. Là encore, eux seuls ont gardé en mémoire les éclats de leur possible dispute, et sûrement peu de temps, connaissant le lien indéfectible qui unissait déjà ces deux insatisfaits tournés vers l’avenir.

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12

Jeanne Moreau a reçu le césar de la meilleure actrice de l’année 1992 pour son rôle dans La Vieille qui marchait dans la mer. Frédéric Dard le salua ainsi : À toi, donc, le prix d’interprétation, Jeanne. À moi, le prix Jeanne-Moreau ! Te fâcherais-je en te disant que mon prix à moi est plus honorifique que le tien ?

(Un jour pas si lointain, on dira La Vieille pour désigner La Vieille qui marchait dans la mer. Comme on dit le Voyage, sans avoir besoin d’ajouter : au bout de la nuit !)