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Revenons aux Amis de San-Antonio. On n’imagine pas une telle association sans une revue digne de son sujet ! C’est ainsi que Le Monde de San-Antonio (le MSA) voit le jour à l’été 1997. L’article de fond du no 1 est consacré au premier des fidèles, Alfred Hidalgo[5], un gamin de quinze ans à l’époque où il tombe dans la marmite San-Antonio. Année 1964 ; il nourrit une passion naissante pour cette série policière déjà célèbre et fait preuve d’une innocence qui n’appartient qu’à son âge. Il faut croire que le jeune Alfred est à l’image de sa première émotion san-antonienne, intitulée J’suis comme ça. Sans trop se poser de questions, il écrit à l’auteur dont il vient de découvrir le visage dans un reportage télévisé. Quelques jours plus tard, il trouve sans doute normal de recevoir un coup de téléphone : « Le mois prochain, je dois aller en Normandie, si tu veux, je passe te voir. » Frédéric Dard sait ce qu’il doit à certaines rencontres qui ont marqué sa vie et décidé de sa carrière. Aujourd’hui adulé, à son tour San-Antonio renvoie la balle, titre prémonitoire du 40e roman de la série. Leur première et longue entrevue sera suivie de bien d’autres. Elles seront à l’origine d’une amitié qui ne se démentira jamais, d’une revue, Le Petit San-Antonien, et de la carrière de journaliste d’Alfred Hidalgo, désormais Fred Hidalgo de son nom de plume ! Un prénom qui lui va si bien !

Quant au MSA, au rythme de quatre par an, il devient vite une revue incontournable pour qui veut comprendre l’œuvre tentaculaire de Frédéric Dard.

Lui-même est finalement heureux de mieux découvrir ces lecteurs de l’ombre, moins en vue, mais sans doute plus fidèles que tant de célébrités l’ayant assuré de leur engouement et de leur amitié indéfectibles : Moi qui ne suis pas vaniteux, je crois que cette marque d’admiration me comble davantage que les honneurs dont on m’aura gratifié. Fin 1999, déjà très diminué physiquement, il s’adresse une dernière fois à notre joyeuse tribu dans ce petit mot que chacun d’entre nous découvre avec émotion : Ai-je donc tant vécu pour connaître cette apothéose ? Merci à ma garde prétorienne, à mes disciples, à mes féaux, à vous tous, lecteurs d’élite. Je vous capte de mes bras pieuvresques pour vous transformer en cataplasme de tendresse. Quelques mois plus tard, l’association doit apprendre à vivre sans lui, mais sa disparition est une motivation supplémentaire pour prolonger sa parole, d’autant plus que nombre de ses membres deviennent proches de la famille, nous permettant de découvrir l’homme privé derrière l’écrivain public. Dans la famille Dard, un écrivain déjà confirmé, Patrice, va prolonger l’œuvre de son père. Il écrit la suite de la saga avec talent, trouve vite ses lecteurs et, pour notre plaisir reinventé, naissent en 2002, Les Nouvelles Aventures de San-Antonio  !

Aujourd’hui, à côté d’articles de fond, d’interviews, de billets d’humeur et de découvertes de textes inédits, le MSA accueille chaque année le compte rendu ludique des trois jours de l’assemblée générale annuelle et celui, plus rigoureux, d’événements, d’inaugurations ou de colloques universitaires sur le thème de San-Antonio. En toile de fond, des hommes et des femmes, aux profils aussi variés que l’est le lectorat des San-Antonio, entretiennent une flamme qu’on redoutait de voir s’éteindre avec la disparition de l’auteur. En effet, ce début de siècle, si pressé, dominé par la brutalité des rapports humains, notre regard complaisant sur nous-mêmes et une information lapidaire où le spectaculaire prévaut sur la réflexion, semblait peu se refléter dans son œuvre. Erreur ! Le génie de Frédéric est de porter un message transcendant ces soubresauts de la société, de ne jamais désarmer face à la bêtise humaine, de nous parler d’amour, de respect de nous-mêmes, de générosité, des autres et de notre planète[6]. Même si, en définitive, à l’échelle du temps, rien n’est sérieux, il eut raison de nous écrire qu’il nous enveloppait d’ondes positives. Nous en avons tous besoin.

Argomuche

(« Argot » en… argot)

Aux mains de Banane, le chauffeur espagnol, la « 15 », gazogène sur le toit, trace à mort dans les rues de Lyon, libéré le jour même. À l’arrière, Ange, le chef de la bande, un petit Corse à la gueule inquiétante, savoure son nouveau rôle d’auxiliaire de police chargé de l’épuration. Une belle revanche pour ce gangster, et une récompense pour avoir traqué les Boches pendant quatre ans. Quelles que fussent ses motivations ! À côté de lui, deux apprentis résistants, un truand de la même espèce, et Frédéric, monté dans la « tire » sur la recommandation de son copain de fraîche date, le commissaire Gregory Alexinsky. Les voyous ne rechignent pas à l’embarquer dans leur expédition punitive. Après tout, il paraît qu’il est journaliste et bon écrivain. Ça leur « fait les honneurs » à la bande de Pieds nickelés. Il pourra témoigner de leur vaillance. Dans leurs mots à eux, si ça lui fait plaisir. Frédéric n’en mène pas large avec ces têtes brûlées, autant à cause de la vitesse que des tirs de mitraillette qu’ils viennent d’essuyer. Et pourtant, il ne céderait sa place à personne, dans cette virée à la Al Capone. L’excitation ambiante y est pour beaucoup. Et puis, il lui tardait « d’en être ». À cause de son bras foutu, il n’a pas porté l’uniforme. Ses faits de résistance se limitent à avoir sauvé la mise à Grancher, recherché par Barbie. Inconscience ou non, il a réussi à dissimuler des documents compromettants, à la barbe de la Gestapo, et à prévenir à temps Grancher qu’il était tricard à Lyon. Tiens : tricard ! V’là qu’il pense en argot, maintenant ! Comme les voyous avec lesquels il est en train de faire la traque aux collabos. Ah, l’argot, ses drôleries, son rythme, son pittoresque ! Recroquevillé à l’arrière de la « Citron » qui ne ralentit pas et roule plus souvent sur les trottoirs que sur la chaussée, il écoute Ange balancer ses ordres et pense à Céline, à cette langue qui l’a médusé dès la première page. Le con, qu’est-ce qui lui a pris, plus tard, de raconter toutes ces saloperies sur les Juifs ! Un coup de volant trop brusque, la portière arrière s’ouvre, et son voisin de banquette est éjecté en pleine rue. Sa tête résonne en frappant le mauvais revêtement. On s’arrête, le temps que l’éclopé se relève, chancelant, et vienne reprendre sa place.

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5

Alfred Hidalgo a créé L’Union, troisième quotidien national d’Afrique francophone dans les années 1970, le magazine Paroles et Musiques en 1980, puis Chorus. Ses chroniques paraissent régulièrement dans Le Monde de San-Antonio.

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6

« San-Antonio n’est plus seulement un personnage, une révélation romanesque tirée à 160 millions d’exemplaires, c’est un phénomène de civilisation que les essayistes du prochain siècle tenteront sans doute d’exorciser dans leurs manuels à défaut de le comprendre. J’aimerais qu’ils sachent se contenter de lire des phrases qui sont aux couleurs de la vie, propres, sales, vraies, fausses, drôles comme autant de ruissellements d’eau de toutes sources nées d’un cascadeur » (Jacques Chancel).