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— J’avais cru comprendre que vous n’aimiez pas les flics ?

— Je n’ai guère d’inclination pour eux, c’est exact, mais j’aime encore moins les égorgeurs.

Je lui présente un verre pas mal tassé. Elle le refuse d’un signe de tête.

— Le quart suffira pour moi.

Je rectifie le tir. On se porte un toast muet. On boit. Et puis, je ne sais pas comment ça se goupille, mais voilà qu’un drôle de silence s’abat sur nous, comme une couverture molletonnée.

Cela, en ce qui me concerne, porte un nom : cela s’appelle le trouble. Un trouble capiteux, suave. Un état d’émotion physique et mental que j’éprouve rarement à ce si haut degré.

On dirait qu’elle le comprend ; ou du moins le sent. Qui sait : peut-être le partage-t-elle ?

Les bruits extérieurs nous parviennent, rumeur familière de Paris. Bagnoles, ronrons, clapotement des populations en déambulation sur les trottoirs. Parfois, un éclat de voix, un cri d’enfant, l’enflement brusque d’une radio dont par erreur on monte le niveau sonore, croyant la fermer. Fausse manœuvre.

Et pendant ce temps-là, à la Paris Detective Agency ? hein ? Qu’est-ce qu’ils foutent, mes plombiers, avec la bonniche ? Et Herr Kimkonssern, dans notre séjour secret ? Il attend quoi ? Que je le sorte de l’auberge ? Mais de quelle auberge ? Si c’est vraiment sa voix qui figure sur la cassette, toutes les données sont chamboulées. Car cela signifie qu’il connaissait Julie avant la séance d’hier à La Celle Saint-Cloud. Et aussi qu’il se trouve en France depuis plus longtemps qu’il ne le dit, la cassette du colonel ayant été préparée depuis un bon bout de moment, je suppose.

Voilà que je recause :

— Il vient ici depuis longtemps, le vieux birbe de tout à l’heure ?

— Il venait déjà avant que je travaille ici.

— Et vous y travaillez depuis combien de temps ?

— Un mois et demi.

— Que faisiez-vous, auparavant ?

— Je vivais avec un con qui tenait un club équestre. Je m’occupais du bar, de la comptabilité.

— Et le con en question ?

— Lui s’occupait des chevaux, bien sûr. Il ne pensait qu’à ça. Je l’appelais le centaure. J’ai fini par comprendre que je n’étais pas une jument et je l’ai quitté, cet idiot. Il avait les jambes arquées comme un bulldog et vivait en bottes. Il puait l’écurie, trouait les tapis de ses éperons et gardait sa cravache à la main même pour pisser. Un type pas plus grand que ça. Ridicule. Nom à particule…

Chose curieuse, elle éclate de rire à l’évocation de son ancien amant. Je devine qu’avec le recul, elle le réalise enfin, le con équestre, l’admet tel qu’il devait être, une fois dissipés les sortilèges de l’amour. Cet amour dingue qui fait que tu ne vois pas qui tu aimes, que tu en fais ce que tu as envie qu’il soit.

— C’est chouette que ça vous fasse marrer…

— Oui.

— Comment ça s’est fait, le Bar Aka ?

— Par Julie.

— Vous étiez copines ?

— Disons seulement qu’on se trouvait « en sympathie ». Elle montait au « club » du con, chaque dimanche.

Marrant pour une pute.

— Vous saviez ce qu’elle faisait ?

— Je l’avais compris, elle s’en cachait si peu. Un jour au manège, elle a rencontré un de ses clients. Un quinquagénaire grave comme un conclave. Il venait au club avec sa femme et sa grande fille, une gourde qui, sous sa bombe, ressemblait à un crapaud ahuri. Sa gêne ! Que dis-je : son effroi… Julie s’est amusée comme une folle et, ne pouvant garder la chose pour elle, m’a raconté ce qui se passait.

— Vous aviez son adresse ?

— Son téléphone, comme nous avions celui de tous nos chers « membres ».

— Et vous lui avez téléphoné, après avoir quitté le centaure ?

— Voilà.

— Vous mijotiez d’entrer dans la galanterie ?

Elle tressaille, me regarde… Puis elle détourne les yeux.

— Probablement.

— Et Julie vous en a dissuadée ?

— Elle m’a dit que je n’étais pas faite pour… Qu’il fallait posséder une forte dose de connerie ou une psychologie particulière et que je n’entrais dans aucune de ces catégories. On a pris rendez-vous, néanmoins.

— Au Bar Aka ?

— Oui. Le patron s’y trouvait. Elle a eu l’idée de lui parler de moi ; tout de suite il m’a engagée comme barmaid.

— C’est quoi, le taulier du Bar Aka ?

— Oh, rien de bien particulier. Un fils à papa pied-noir à qui sa riche maman a acheté cet établissement pour dire de lui fournir un semblant d’occupation. Il s’en occupe à peine et préfère déconner en compagnie d’une bande de minets.

— Pédoque ?

— A ses heures, sûrement. En fait, il n’est rien qu’un oisif qui cherche à se créer un personnage.

— Il y a du louche, dans ce rade ?

— Qu’appelez-vous du louche ?

— Au plan de la clientèle ?

— C’est mêlé. Des truands des Champs-Elysées y viennent volontiers, ça, il faudrait être aveugle pour ne pas les voir. Mais il ne s’y passe rien d’illégal, si c’est ce que vous voulez dire.

— C’est pourtant un habitué du Bar Aka qui a égorgé Julie.

— Vous êtes sûr ?

Je brandis la pochette d’alloufs.

— Il a paumé ça sur les lieux de ses exploits.

— Ç’aurait aussi bien pu être Julie qui l’ait perdu, non ?

— Oui, ç’aurait pu, quoiqu’on ait découvert cette pochette au pied de la fenêtre d’où les meurtriers observaient leur future victime.

— Les allumettes, c’est comme le feu qu’elles détiennent : ça se transmet. J’ai dans mes sacs à main des pochettes portant les noms d’établissements où je n’ai jamais mis les pieds.

— Bien sûr, mais enfin Julie et Bar Aka, ça n’a pas un côté fortuit, n’est-ce pas ?

Elle ne répond rien.

Regarde sa montre.

— Vous êtes pressée ?

— J’ai le temps.

Un moment d’un nouveau silence, moins « spécial » que le premier, mais aussi ravageur.

— On est bien, non ? soupiré-je après beaucoup de temps passé.

Elle murmure, tout bas :

— Oui, c’est vrai.

Alors je vais m’agenouiller à côté d’elle et je pose ma bouche sur la sienne.

9

Ce qui s’ensuit, à quoi bon te le décrire minutieusement ? Pour te faire goder ? T’en es plus là tout de même, à ton âge. T’as ta self-bandoche, non ? Tu panardes en autonomie totale, circuit fermé, sans connivences extérieures. Ou alors faut t’aller faire psychanalyser, mon tout petit. Raconter tes problos à un mironton sentencieux, qui t’expliquera tout bien, détails inclus, le pourquoi du comment tu jouis.

Moi, une gonzesse, dès le premier ras-bord, je sens si je vais me l’afficher gagnante ou non. Un premier regard : le mien. Un second : le sien. Et c’est parti, marché conclu, lu et approuvé, bon pour accouplement ! La courroie de transmissure fonctionne. Message parvenu, mon commandant !

La manière qu’elle me noue son bras à la nuque, me décapsule la menteuse, tu la croirais en manque de radaduche depuis des immémoralités de temps, Laura. Après tout, son homme-bourrin l’avait trop déçue. Elle a fait une fixation chevaline, la pauvrette, ça arrive. A assimilé tous les bonshommes à son cavalier à roulettes. Elle a dû désenchanter du frifri, à morfondre au club pendant que Dupaf faisait faire à dada aux demoiselles brise-miches de la high société et à celles du demi-monde. Pas la première fois que San-A. redonne le goût de la tringle à une dame perturbée. Qu’il la reconnecte d’autorité. Je suis conscient de porter une écrasante responsabilité à cet instant. Suppose que je lui rate l’enchantement, à Laura, et c’est le verrouillage complet de ses sens. Fermeture définitive pour cause de liquidation ! Alors, le big numerous, please, pour madame. Pas de précipitation. Prends ton temps, gamin. Vas-y des labiales, très à fond. Fais-lui un « complet », question bouche-à-bouche. Lésine pas. Voluptas goûte-moi, je te goûte. Ça t’émouste, hein, ma poule ? Tu chavires du caberlingue. T’hydrates de l’entresol. Miam, miam, bono ! Bouge pas que je te fasse le traitement antigingivite, doucement, pardessus tes croqueuses, du bout de la menteuse. Là, c’est chouettos, hein, ma gosseline ? Ça papouille. Ça trifise. Ça glanuche… T’en as de la chance d’avoir de la veine ! Mince, t’opères ta reprise avec un seigneur. T’aurais pu emballer sur un minable à triczir féroce. Un de ces trousse-volailles qui rebrousse-plument comme des miteux et t’inséminent à la volée : braque auguste du semeur, sans s’inquiéter de ce qui répércute chez la partenaire.