Le chauffeur se pointe en m’agonisant, comme quoi je lui fais perdre son temps, qu’un taxi de nuit peut pas se permettre de ceci cela et j’ sais quoi encore.
La bouille que je lui propose doit pas être photographiable pour un mensuel sexy car il arrête son gazouillis.
— Police ! grondé-je.
Jamais, décidément, je ne me serai autant vanté d’être de la Rousse que depuis que je n’en fais plus partie.
Et j’ajoute :
— Si tu la ramènes encore, je te fais bouffer ta gueule !
Il se calme. Hésite à s’enfuir. N’ose pas et reste immobile sous sa gâpette à petits carreaux, avec sa moustache de terreur de chiottes pour lui tenir compagnie et lui épargner d’éventuels embruns.
J’ouvre les portières de la voiture, après avoir noté le numéro. Sur la banquette avant, se trouve un fusil à canon scié et des gants de pécari.
Voyons la boîte à gants, now…
J’y trouve du banal : une carte de France ravagée par ses pliures trop de fois dépliées et repliées, une lampe électrique, un tournevis, une boîte de cigarettes à bouts dorés. Je tique : ces sèches sont autrichiennes. Voyez Danube bleu, roi de Rome tubar, François-Joseph…
Je les coule dans ma vague.
A présent, le coffiot. Là, c’est le tout grand panard, ô mon Lecteur Assidu-Laid. Et juge le combien cette expression argotique est judicieuse, car j’y déniche deux paires d’énormes chaussons de feutre pour terre-..euvas. Mais dans le cas présent, ce sont, je subodore, des morues qui les ont chaussées. Et sais-tu pourquoi, dis, belle colique ? Pas seulement pour ne point laisser d’empreintes de godasses, mais pour qu’on ne puisse détecter qu’il s’agissait de souliers féminins.
Bon, ben, c’est tout.
Le taxi, impressionné par ma démarche policière et la sûreté (si tu permets) de mes gestes, attend mon bon vouloir, le petit doigt sur la tirette de sa braguette.
Je regrimpe dans sa caisse en lui jetant l’adresse du claque de maman Angèle.
Une sacrée coriace, cette punaise de serrure. Mais tout vient à poing à qui sait t’attendre, mon joli. Bon, je me pointe dans ce cher petit bordel, si pimpant, intime, familial que c’en est à se demander pourquoi les messieurs qui viennent là ne restent pas plutôt chez eux à calcer leur brancard au lieu de le laisser calcer par les amis et connaissances.
Je retrouve l’aimable livinge, les deux chambres de « travail », la salle de bains qui sent le tout-venant et la savonnette collective. A te dire vrai, je n’attends qu’un renseignement de cette taule : l’adresse privée de la tenancière. Mais j’ai beau fouiller, je ne renouche rien. Pas le moindre faf qui puisse m’éclairer. Cet appartement est un logement de fonction. Il scelle pudiquement la vie privée de cette fort surprenante dame, qui fait reluire, le jour, l’humanité engorgée, et qui, la nuit, joue les Jeanne d’Arc du crime avec une maestria qui donnerait des cauchemars à Buffalo Bill.
Faut que je me grouille, l’Identité Judiciaire est en train de faire son boulot, donc d’identifier Mâme Angèle, et mes ex-tas de confrères vont radiner.
Mais les tiroirs des meubles ne contiennent que des linges de toilette, des martinets, des godemichés, des pots de vaseline, des bouquins pornos et un chapelet à gros grains oubliés céans par un cardinal de passage.
Conclusion : nothing !
J’apprête à tailler lorsqu’un détail me sursaute. In extremis, comme disent les latins angoras grâce à une ultime vue d’ensemble du studio. J’y avise deux appareils téléphoniques. Un noir, normal, à cadran, un autre gris, sans cadran, posé sur une console supportant quelques ouvrages pleins d’illustrations représentant des culs et des c…, nubiles ou poilus comme des bonnets de grognards. J’approche ce dernier et décroche. Rien… Il y a un bitougnot rouge sous la fourche. Je l’enfonce. Une sonnerie d’appel retentit. Je raccroche et me rends dans les deux chambres. Aucun appareil téléphonique ne s’y trouve. Perplexe, je reviens à l’appareil gris et me mets à en suivre le fil, saisi d’une idée aussi géniale que subite. Ce fil plonge dans le plancher. Il me suffit d’écarter avec mon couteau le bord de la moquette pour voir qu’on a percé un trou vertical dans le sol. Donc, l’appareil est relié à un autre qui se situe dans l’appartement du dessous. La défourailleuse émérite n’a donc qu’un étage à gravir pour venir sur son lieu de travail.
Tu vas voir ce que la vie est attrayante, pour peu que tu y mettes du tien. Evidemment, le clapoteux qui ne tente rien, qui n’attend rien, qui ne provoque rien, peut faire tapisserie pendant des millénaires, le cul sur un pliant, à regarder flotter son destin sur l’eau opaque de ses jours[3].
Mais le téméraire à la Sana, décidé, énergique, tisonneur d’aventure, toujours sur ou dans la brèche, ben mon vieux, fais confiance qu’il récolte une sacrée moisson de péripéties, tiens ! Yayaille ! T’as qu’à tendre ton tablier, fillette, pour en ramasser.
Je m’agenouille devant la seconde porte, mon sésame à la main, prêt à caramboler une fois de mieux la maison Yale (travaillez, prenez du pêne, c’est le gond qui manque le moins), lorsque je perçois un bruit de verrou qu’on déverrouille. J’ai pas le temps de dégainer Tu-Tues, la lourde s’en va de devant mon pif. Je me trouve devant deux jambes en pyjama, deux mules vernies noires, un pan de robe de chambre en soie que ça représente des fleurettes blanches sur fond d’azur. Tout juste la pensée m’arrive que ces mules sont masculines. Et déjà, d’une détente féline, comme ils disent, le Santonio pique, boule la tête la première dans le personnage. Au-dessus de moi, à quelque quatre-vingts centimètres par un « hhhan » de douleur privée de souffle pour s’assumer. Le télescopé carabate, effondre un petit meuble genre bonheur-du-jour, qui se déguise en malheur de nuit, le tout dans un fracas de bois précieux éclaté et de porcelaine plus précieuse encore, menu-morcée. Je suis toujours agenouillé. J’ébroue. Ma pauvre épaule a effacé une abominable secousse et des tisons brûlants la titillent.
Je regarde ma victime. S’agit d’un monsieur très aristocratique d’aspect, avec de beaux cheveux blanc-gris bleuté, un regard bleu pervenche, et une médaille pieuse au cou représentant sainte Apoplexie au bain de siège de La Rochelle.
Revenant de sa stupeur et de son télescopage, le monsieur distingué porte la main à la poche de sa robe de chambre en Hermès pur fruit, afin d’y puiser le pistolet qui l’alourdit. Ce que comprenant, je me relève d’une admirable détente, encore plus féline que la précédente, et pose mon pied droit sur sa poche, cependant que, de ma godasse gauche, je lui tire un coup franc direct au temporal. Il abandonne ses projets homicides, son arme et ses esprits, ce que j’en profite pour fermer la porte derrière moi, récupérer son feu et attendre le dévapage du monsieur entre les bras en « v » d’un fauteuil savonarole.
L’événement ne tardant pas à se produire, je me mets à converser.
— Ne cherchez pas votre pistolet, cher monsieur, je viens de le placer sous séquestre. Et il est inutile que vous montiez dans l’atelier de ces dames, au-dessus, c’est moi qui ai actionné le téléphone intérieur ; je crains, ce faisant, de vous avoir réveillé, n’est-il pas vrai ?
Il se relève assez souplement, vu son âge qui n’est plus du premier et encore si peu du second.
Les mains dans ses poches vides (mais pleines de mains, donc), il me fixe sans rancune apparente. Son regard contient davantage de surprise que d’amertume.