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— Qui êtes-vous ? me demande-t-il avec un accent issu de germain.

— Le commissaire San-Antonio, pour vous servir.

Il sourit.

— L’ex-commissaire San-Antonio.

— Je vois que vous êtes au courant de bien des choses ?

— C’est préférable.

Un temps. On s’observe, comme toujours dans ces cas-là. T’es là, tu massacres un mec, il récupère, on sait pas quoi se dire. Y a comme de la timidité, tu comprends ? Ça provient du respect humain, ce fâcheux frein qui si souvent t’empêche de t’accomplir pour de bon.

— Vous êtes autrichien, n’est-ce pas ?

Il a un fugace sourcillement. Semble surpris.

— Me permettez-vous de vous donner un conseil amical, cher Herr ?

—  ? ! ? ! ? ! me répond-il.

— Habillez-vous et filons d’ici, car la police, la vraie, la ronflante, ne va pas tarder à rappliquer.

Incrédule, il amorce un deuxième sourire qui ferait très joli sur une photo officielle.

— Sceptique ? je demande.

Moue du Distingué.

— Vous avez tort. Dame Angèle est morte, mes ex-collègues sont en train de l’identifier, peut-être est-ce déjà chose faite, et…

Pas le temps d’en bonnir davantage, une sourde rumeur monte des profondeurs de l’escalier.

— Chopez vos fringues et barrons-nous, les voici ! l’houspillé-je.

J’entrouvre doucement la porte. Fectivement, ça tambourine, en bas, à la vitre du concierge. Mon interlocuteur a pigé le sérieux de la situation. Il bondit dans une chambre proche, ramasse à brassée ses hardes et croquenuches et revient à moi, tout pâlot.

En bas, une voix demande :

— Angela Albrecht, je vous prie ?

Et explique, laconique :

— Police !

— Deuxième et troisième gauche ! répond un bonhomme effaré.

L’homme aux cheveux blancs m’interroge du regard.

— Il faut grimper par l’escalier, dis-je, grouillez !

Je coupe la lumière, tire doucement la porte derrière nous. On s’élance dans l’escadrin au pas de charge de velours. Troisième, quatrième, cinquième. Un couloir terminé par un second escalier plus modeste. On s’y engage et ça nous parvient au dernier, sous une vaste tabatière à travers laquelle on voit la lune comme je te vois. Mon compagnon se reloque précipitamment.

Pendant qu’il, moi je m’assois par terre pour attendre que ça se passe.

— Vous croyez qu’ils monteront jusqu ici.

— Pourquoi le feraient-ils, ils ne cherchent personne, ils viennent seulement perquisitionner chez Angèle.

— Est-il vrai qu’elle soit morte ?

— Authentique. Je l’ai abattue moi-même sur mon perron.

— Vous !

— Bé, je l’avais prise pour un homme, et elle avait commencé par me tirer dessus, j’ai une épaule à moitié démolie. Toujours est-il qu’avant de trépasser, cette pauvre femme m’a parlé. Oh, très peu, car elle arrivait au terme de son voyage, mais enfin, peut-être m’a-t-elle dit l’essentiel ?

— Vous croyez ? fait l’Elégant.

— Elle m’a parlé de vous.

— C’était pourtant une femme fort discrète.

— L’imminence de la mort a raison de la discrétion la mieux ancrée, car la mort est indiscrète, cher monsieur, philosophé-je, que tu dois en prendre plein les badigues et comprendre quel écrivain follement émérite je suis.

Il hausse les épaules :

— Et que vous a-t-elle dit de moi ?

— Rien de très important au plan de la personnalité, mais passionnant au plan général ! Elle a murmuré : « L’Autrichien est chez moi, il faut le prévenir tout de suite ; il y a beaucoup d’argent à gagner. »

Poum !

Tu te rends compte, les inventeries que je suis capable ? Où il va chercher ça, le Santa, merde ! Si c’est pas franc le génie du siècle, c’est au moins celui de ces six derniers mois, non ? Pour phosphorer de la manière que voilà, avancer des pions sculptés à l’improviste en faisant croire que c’est le Roi.

Ce que je lui torpille laguche est-il plausible ? Point d’interrogation à la ligne.

En tout les cas, j’ai mis l’accent convaincant.

Il reniflotte deux trois petits coups, comme le ferait un camé, rien laisser perdre de sa blanche.

— Je pense que j’ai bien fait de suivre son conseil, ajouté-je en désignant les étages inférieurs de mon pouce renversé. Du moins pour vous. Car dans la diplomatie, on n’aime pas trop les scandales, bien qu’on les étouffe la plupart du temps.

Nouveau bon point.

Je progresse.

Mon processus est entamé. Le procès suce !

Cela dit, j’aimerais bien savoir ce qu’un respectable membre de l’ambassade autrichienne peut avoir à fiche avec une maquerelle assassine.

Pas toi, l’Affreux ?

18

Il finit par s’asseoir auprès de moi, par terre, le dos au mur. Délicat, il a placé son pyjama et sa robe de chambre sous ses fesses diplomatiques. Ce qu’il y a de bon, avec ces immeubles modernes, c’est qu’ils te restituent fidèlement tous les bruits, où que tu te trouves. La cage d’escalier réverbère les investigations de ces gentils messieurs poulets. On les entend qui rumeurent dans l’appartement de la mère Tazety, s’appellent, se posent des questions, se font part de leurs trouvailles, tout ça, bien comme il faut, car ils ont laissé la porte palière ouverte, ces soudards.

Je murmure, soucieux d’enchaîner avec l’affaire :

— C’est vrai qu’il y a beaucoup de fric à affurer dans votre cas ?

L’homme aux cheveux blancs médite sa réponse.

Puis me la livre tous frais payés :

— Pourquoi avez-vous quitté la police officielle ?

— Parce qu’elle nourrit mal son homme. J’ai découvert que ma peau valait mieux que ce qu’on me la payait.

— Bref, vous aimez l’argent ?

— C’est lui qui m’aime.

— Et ça marche, votre agence ?

— Je débute. Vous êtes ma première affaire.

— Moi ?

— Enfin, vous en faites partie, non ? Ou alors que fichez-vous dans le noir, à près de quatre heures du matin, dans le couloir de cet immeuble ?

Il opine, puis se tait.

— Curieuse histoire, reprends-je. Vraiment pas banale. Plaisante, quoi, au plan de l’intérêt.

Nouveau silence, écrémé par les « poliçonneries » des archers républicains en rut chez dame Angèle.

Y en a qui se trouvent dans le local « professionnel » de l’aimable femme et qui se marrent comme des mouflets en découvrant le matériel de camping. Ils se font de puissantes astuces au sujet des godes ; des comparaisons, des suggestions. « Hé, Machecru, si tu veux l’emporter pour t’en faire un tabouret ! »… Ou bien : « Je parie que çui-là, c’est un moulage à la bite du principal Grorognon, paraît qu’il est monté comme un mammouth, il défonce tous les pots ! » Tu vois le genre, ô mon Lecteur Dulcifié ? La pure veine humoristique pour fin de banquets français.

— J’aimerais bien que nous nous mettions à jour, cher monsieur autrichien. Je le mérite. Tout autre que moi vous poserait le marché suivant : « Parlez ou sinon j’appelle les poulets ici présents et vous laisse vous démerder. » Avouez que c’est là un levier de chantage idéal, auquel vous pourriez difficilement résister. Mais rassurez-vous, je ne l’emploierai pas. Je suis intéressé par l’argent, mais pas au point d’user de procédés infamants. Simplement, je crois que nous devons accorder nos violons. En fait, une dame chez qui vous avez votre pyjama, vient chez moi, masquée et armée et me tire dessus. Je riposte, car je suis l’un des tireurs les plus rapides de France, sinon l’un des meilleurs. Avant de défunter, la dame me demande de vous sauver la mise, ce que je m’empresse de faire. Exact ?