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Ils pioncent profondément, dans la lumière du hall, détendus, repus, heureux d’être jusque dans l’inconscience du sommeil. Une vive félicité se dégage de ces deux hommes de bon aloi, si formels et si authentiques que, franchement, c’est plus la peine d’en faire d’autres.

Une boutanche de whisky, dérobée dans mon bureau, repose sur le flanc, et on regarde d’instinct pour s’assurer s’il y a un petit voilier à l’intérieur. Mais le voilier doit naviguer dans les rêves de ces deux messires.

Je pousse un grand cri en sirène de steamer réclamant l’entrée du port et ils condescendent de leur canapé, clignotant de partout : de la paupière et du clapoir, cherchant des choses hydratantes pour se rincer le civisme, se réadapter à la vie courante qui, pendant un moment, a pris des fourmis dans les jambes.

Pinuchet, le premier, déballe du cohérent, en chuchotant, d’une voix d’agonisant qui veut faire un geste avant de sombrer :

— Quelle heure est-il ?

Je regarde, mais ma breloque est arrêtée. Alors il regarde la sienne et s’auto-renseigne :

— Quatre heures vingt.

Bérurier achève d’émettre ses messages personnels du matin, sur sa première et sa seconde chaîne (celle du bas, en couleur).

— D’où qu’ t’ viens ? il demande en passant une main fougueuse dans sa braguette disloquée pour aller porter la panique dans son élevage portatif.

Je leur raconte mes mésaventures. T’en épargne le récit, qui deviendrait pour toi, qu’as le privilège d’être au courant, celui de Tu ramènes, ô mon Lecteur Cabossé.

Ces étonnantes péripéties périphériques nocturnes les babassent.

— Eh ben, si on s’ serait t’attendu, nous qu’on désespérait de te voir venir.

— Tu es gravement touché ? s’alarme le Débris, en me voyant réprimer une grimace de douleur.

— Pas trop, y a des gazmen, à Verdun, qui l’ont été plus que moi. C’est pas le tout, mes camarades, va falloir en finir avec cette histoire dans les meilleurs délais, comme on dit sur les lettres commerciales. La police nous talonne. Nous n’avons qu’une longueur d’avance sur elle, profitons-en. Si on se laisse rejoindre, après on sera marron pour évoluer, noyés, noyautés, refoulés.

Le Gravos bâille à nous découvrir la marque de son slip.

— C’était déjà pas mal compliqué quand on appartenait à la vraie Rousse. Maintenant ça l’est toujours autant, et en plus, on a nos anciens potes contre nous ; pour jouer la difficulté, on s’y entend, non ? On est passé les trois orfèvres en la matière !

— Faisons le bilan !

— D’ici qu’on soye t’obligé de le déposer, rigole l’Enflure…

Nullement découragé par les interruptions du Très Cher, je dresse un état de la situation.

— Voyons les protagonistes de cette œuvre d’action, dis-je. Hans Kimkonssern, ancien nazi, réfugié en Amérique du Sud, rencontre un jour un gros industriel français, Stéphane Lhurma, dont il fut jadis le condisciple. Les deux hommes tombent dans les bras l’un de l’autre et le second convie le premier à venir séjourner chez lui. Les deux bonshommes commencent à mener une vie douillette de vieux garçons, dorlotés par une soubrette délurée, la môme Lanclôt, lorsque Lhurma doit partir en voyage. Avant de quitter Paris, Lhurma téléphone à une mère maquerelle qui lui procure de la chair fraîche lorsque la viande le tourmente, et la prie de dépêcher à son pote une gentille péteuse pour meubler sa solitude provisoire.

— Bien dit, l’ami, approuve Sa Bérurerie, quand tu causes, les choses paraissent d’une limpidité d’aurochs.

— Merci, mais ne m’interromps pas, si les funambules rencontraient des feux rouges sur leur fil, ils se casseraient la gueule plus souvent. Je continue. Au cours de la nuit qui suit, Lhurma décède dans son hôtel hollandais et la môme Julie, après avoir fait le bonheur de Kimkonssern, est égorgée dans le lit de celui-ci. Hans, le pauvre Hans qui séjourne en France incognito, ne sachant à quel saint se vouer, fait appel à notre agence. Je l’écoute, le prends en charge et l’installe dans notre appartement secret. Ensuite nous enquêtons à La Celle-Saint-Cloud, et nous découvrons plusieurs choses intéressantes : toi, une pochette d’alloufs au nom du Bar Aka, Mathias, que les assassins portaient des pantoufles de feutre.

« Pendant nos investigations, la mère Angèle téléphone pour ordonner à sa gagneuse de rejoindre sa base. Ce qui nous permet de foncer chez l’aimable bordelière. Nous y faisons sa connaissance, ainsi que celle de ses deux autres pensionnaires, Maud et une autre dont j’ai oublié le nom.

— Mais pas moi le c… ! tranche le Montagneux de la coiffe.

Pinaud somnole comme un perroquet malade sur son perchoir. Tu sais : ces vieux cacatoès déplumés, qui ont la pelade, l’œil atone, la paupière tombante et qui rêvent de la Côte-d’Ivoire au fond de quelque boutique de marchand d’animaux, entre des acaniches à coliques et des perruches piaillardes ?

— Tu en écrases, dis, la Délingue ? je le houspille.

Le Bêlant rebiffe :

— Pas du tout : je coordonne !

Rassuré, je poursuis :

— Après cette visite aux dames putains, nous allons au Bar Aka. A peine nous y trouvons-nous que Maud radine. Nous avisant, elle s’esbigne. Je la course, la rattrape, l’interviewe. Elle m’explique qu’elle était très liée avec Julie et que cette chère disparue créchait au-dessus du Bar Aka. Pour le coup, je retourne au Bar Aka avec elle. Un micheton l’y attend. On grimpe chez la morte où je découvre un enregistrement destiné au micheton, sur lequel figure la voix de Hans Kimkonssern. Laura, la barmaid, vient me rejoindre. Nous… bavardons.

— En morse, ricane Bérurier, et le morse avait un chibroque gros commak, hein, rigolo ?

Je me contente de peu, c’est-à-dire de hausser les épaules, ce qui m’est on ne peut plus douloureux, vu ma blessure.

— Je ramène, enchaîné-je imperturbablement, la petite Laura ici. Lui montre Kimkonssern pour savoir si elle l’a déjà vu. Elle me répond non, et s’en va. On bavarde avec la bonniche triomphalement ramenée par Pinuche, quand Maryse se pointe pour annoncer lde l’Allemand. La soubrette profite de la confusion pour s’esbigner. Et nous, nous constatons la mort de notre pensionnaire, trucidé comme l’a été sa camarade de la nuit. Me revoici donc au Bar Aka manière de cuisiner Laura…

« Oh, Laura, visage entrevu… »

L’air me revient, suave, insistant. A quatre heures presque et demie du morninge, tu te rends compte, la ténacité de la musique ?

« Oh, Laura, visage entrevu… »

J’ai du mal à repartir. Faut que je me remonte la manivelle. La fatigue, ma blessure, les émotions… Tu résisterais, toi, Lecteur Découillé ? Mon œil ! Depuis lulure tu serais allé te cacher, vilain ! Rat sans poils, tarte molle, fouinasserie !

Allez, t’arrête pas, Sana. Rassemble bien tout ton matériel.

Je file une bourrade au cacatoès frileux :

— Tu coordonnes toujours, César ?

— De plus en plus, balbutie le Semi-présent.

— Et t’as besoin de ronfler, quand tu coordonnes, tézigue ? pouffe l’Ogre.

Je me gargame le cognolet, ma voix en devient plus incisive, presque claironnante.

— Au Bar Aka, le taulier m’apprend que Laura n’est pas revenue. Elle aurait eu un accident de la circulation en sortant de chez nous. Nous quittons cet établissement à la con, lorsque je constate que deux vilains pas beaux nous filent le train. On les courtjute et, sans trop se laisser esquinter le portrait, ces joyeux salopards nous révèlent qu’ils ont aperçu Maud à une première de film, au bras d’un élégant quinquagénaire du corps diplomatique descendant d’une voiture immatriculée Autriche.