— Remettez-vous ! qu’elle répète, sans avoir l’air d’y croire en rougissant comme tu sais quoi ? Qui vient de répondre : une écrevisse ? T’as déjà vu rougir une écrevisse quand un monsieur érecte, toi ? Non : en rougissant comme un homard qui vient de recevoir une poussée de bas en haut en étant plongé dans un liquide porté à ébullition par un zig nanti de gants fourrés.
Me remettre, alors que je ne pense qu’à mettre.
Mon soubassement continue de démanteler. Les lézardes s’accentuent. Je vais exploser de la valve. Je peux plus contraindre Popaul. Il a choisi la liberté, le téméraire. Il veut vivre son vis ! Il va attaquer à l’arme blanche. La chute de Shanghai ! Taratata tata tata ! Baïonnette au canon ! Le Grand-Cañon du col au radeau qui méduse ! Rendez-moi ce qui méduse !
La pauvrette non plus n’a jamais assisté à pareil spectacle. Elle met un temps à comprendre. S’attend à voir bondir une mangouste de mon culchard, un dauphin triomphant, azimuté du clapet. Et puis elle pige la nature du désastre qui se prépare. En croit de moins en moins ses yeux…
— Re… mmmmmett… tez-vvvvv…
Elle finit pas sa phrase. Sa tentation a été trop vive, d’une main incontenable, elle vient de vérifier l’identité du zoziau en rupture de slip. Alors c’est le débordement qui fait gicler le vase de sa goutte d’eau. Pouf ! L’irréparable ! Crac ! Présent, mon capitaine ! Au garde-à-vous !
C’est le déchaînement des passions, comme disent les pubes pour le ciné à José Bénazéraff. Total, éperdu.
Alors, la gentille pseudo-jouvencelle, la nymphe au regard de biche céleste, me précipite sur en criant des choses qu’on s’attend généralement pas de la part d’une nymphe au regard de biche céleste, même possédant un cul comme voilà le sien dans mes deux mains.
Tu sais ce qu’elle me raconte ?
Je te vas l’exprimer, moitié en français moderne, moitié en pointillés anciens :
— B… — moi, s… ! B… — moi, avec ta grosse b… de taureau, espèce de grand s… ! F… — moi de partout, d… !
Elle cesse de réclamer, ayant obtenu.
Et puis après, quoi ?
Je dois récupérer les bribes d’esprit qui me subsistent. Dedieu de Dieu, cette inoubliable séance ! Dans l’entrée, rends-toi compte, ô mon Lecteur Charognard ! Par terre. Mais rassure-toi pour son joli dos et mes musculeux genoux : y a au sol une moquette épaisse comme ta connerie, tu juges du moelleux. « Refais-le moelleux ! » Et poum, on se remet le couvert d’une autre façon, elle accoudée à une banquette anglaise, comme qui regarde passer le défilé du Quatorze Juillet dans la rue. Et paf (si j’ose dire) on reprend au refrain façon Saint-Michou terrassant le dragon, et c’est moi Sana, qu’interprète le dragon., et c’est pas Saint-Michel qui est armé de l’épieu. Brelingue, brelong ! Encore ! Houlala.
La minette travaille dans un style fabularous, extrêmely véry vonderfoule. Ce qu’elle peut aimer, user, abuser, trémulser, astiquer. Quand elle crie pouce, c’est pas à mon attirail d’auto-stoppeur qu’elle se réfère, crois bien.
Nous v’là donc, fortement contusionnés par le déferlement d’amour, à gésir sur le sol, face à face. Elle a un teint à n’y pas croire, alors te fatigue pas, et moi non plus.
— Je n’aurais jamais imaginé…
— Moi non plus…
— Qu’une chose pareille…
— Moi non plus…
— Je trouve que ça a été…
— Moi aussi…
— Qui êtes-vous ?
— Je vous l’ai dit…
— Policier ?
— Oui.
— Vous veniez au sujet de mon…
— Oui.
— Il lui est arrivé quelque chose de fâcheux ?
— Assez, oui…
— Quel genre ?
— Le genre irrémédiable.
— Il est…
— Oui.
— Mort ?
— Hélas…
Je lui supposais pas de religion, nécessairement, à cette exquise. La v’là qui se signe, commak, sur la moquette, avec ses nobles éclaboussures, sa chemisouille en n’haillons, son teint empourpré comme la rose à Mitterrand.
Oui, elle décrit un superbe signe de croix, que même au Vatican tu ne peux pas trouver mieux fignolé.
Et tu sais ce qu’elle dit, d’un ton surfervent ?
— Merci, mon Dieu !
Moi, je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est une drôle de veuve, pas toi ?
21
La suite au salon !
Dans une attitude classique. Mondaine, un peu, si tu vois ? On ne va pas jusqu’au petit doigt levé, d’abord parce que ça ne se fait plus que dans les sous-préfectures, et aussi parce que j’ai plus la force de lever quoi que ce soit après tout ce que t’ai raconté !
Sans compter ma blessure, hé, l’ami ! Note que le sang se refait plus vite que le f…, mais quand même, t’as la douleur sapante qu’est là, qui te rogne, te grignote, te décrépit gentiment, pareille à des charançons obstinés.
— Il est vraiment mort ?
— Je n’ai jamais vu revivre un carbonisé, même sainte Jehanne d’Arc n’a pu renaître de ses cendres.
— Oh, quel bonheur !
— Vous, au moins, vous ne cherchez pas à travestir vos sentiments !
— A quoi bon ! Après ce qui vient de se passer entre nous, je n’ai guère envie de vous jouer les veuves éplorées. J’aimerais danser, pour fêter ça. Vous voulez bien me faire danser, dites ?
— Vous le haïssiez à ce point ?
— Pire ! Mon point de haine n’est pas discernable.
Je la contemple, si belle, si noble, si jeune, si sauvage, et frémissante. Quelle drôle d’idée il avait, Albrecht, d’aller se retrombonner la mère Angèle, ce veau mal repeint dont la carrosserie devait crouler de partout ?
Les bonshommes ont de ces passions à la gomme, je te jure ! Plus leurs nanas sont fraîches et jolies, plus ils aiment les doubler avec des boyaux faisandés.
Après tout, c’est une forme de la volupté, ça.
— Vous, l’épouse d’Albrecht, une gamine. J’en frémis.
Elle pouffe.
— Quel âge me donnez-vous donc ?
— Vous n’êtes sûrement pas majeure…
Repouffade de la charmante.
— J’ai trente-deux ans !
Te dire que j’en suis pantois serait me situer nettement au-dessous du niveau de la vérité, comme le dit si simplement un grand écrivain dont je connais.
On est là, à se regarder. Moi, je peux pas détacher mes yeux, même avec du K2R (publicité absolument gratuite). Curieux comme des êtres conservent intact ce bien précieux entre tous qu’est la jeunesse, ainsi que l’écrivait Machin, le cousin de l’autre, çui qui a une bicyclette à dix vitesses et qui se sert d’un manche à couilles pour bouffer le gigot. Elle est fabuleusement préservée, cette fille. D’une juvénilité qui, dès lors qu’on connaît son âge, paraît éternelle. Y aurait des gonzesses à l’Académie, faudrait l’élire au fauteuil de Jean Dutour et la mettre secrétaire perpétuelle, elle remplirait à merveille ce rôle si utopique.
— Il y a longtemps que vous avez épousé Albrecht ?
— Dix ans.
— Et ça n’a pas été une réussite ?
— Ce fut une sorte d’inceste.
— Il est de votre famille ?
— C’est mon oncle par alliance. Il m’a élevée… Ce qui est une façon de parler, car j’ai vécu dans des instituts pour orphelines aisées à partir de ma cinquième année. Sa première femme était la sœur de ma mère…
— Angela ?
— Angela était sa seconde épouse. Moi, je suis sa troisième. Quand il a été veuf, il s’est marié tout de suite après avec cette garce. Elle ne voulait pas de moi auprès d’elle, et c’est alors qu’on m’a mise en pension. Il venait me voir deux ou trois fois par an, en coup de vent. Et puis au bout d’une douzaine d’années, il a divorcé, et c’est alors qu’il m’a reprise chez lui.