Elle se confie, et je sens le soulagement sur sa ravissante frimousse. Elle veut que je comprenne son cas, la raison pour laquelle la mort de Karl Albrecht est une joie pour elle.
Triste histoire, sombre destin. Navrance humaine.
— Quel est votre nom ?
— Gertrude.
Ça ferait marrer si elle pesait vingt kilos de mieux et si elle avait des verrues sur la frite. Mais c’est adorable, la concernant. Ça lui va comme une capote anglaise à un collégien. Gertrude…
Je lui prends la main, la baisotte à lèvres extasiées. Lui salive l’épiderme pour l’assurer de ma célérité et de ma sécrétion.
— Dites encore, douce fleur.
Merde, de toute beauté ! Je cause comme si je traduisais du japonais !
Douce fleur, je me croyais pas capable. Ça fait vachement pays du matin triomphant, non ? La poésie after le coït, normal. Français !
Elle dit sa vie pour conte de Dickens… Un Dickens qui se serait aligné sur la littérature moderne et deviendrait porno. La manière que son tonton-tuteur se l’est payée, Gertrude. Elle était innocente, la chérie. Oie immaculée. Très impressionnée par l’autorité de l’Autrichien (de ma chienne), sa prestance, son élégance. Lui, il l’a entourée de tendresse, au départ, si tant et bien tellement qu’elle en fut bouleversée, l’amour. Et les marques d’amour tontalien dégénérèrent peu à peu, saligaud, va ! On passa au mimi appuyé, à la lichette sur la nuque, à la gentille caresse mammaire, au bitougnet acoustique, à l’anguille sous roche, au some like it hot et enfin, à la douce carambole dans des pénombres parfumées de lys ; voluptueuse en plein, suave, douce, lascive, à l’abandon vertigineux. Bref, Gertrude devint sa chose, sa maîtresse innocente qu’il façonna, éduqua, tout ça bon, parfait, très bien… On suit la trajectoire sans encombre. L’humain, la trique, les sens, le fade, prends-moi, mets-moi le doigt là, plus haut, traite-moi de salope, va plus doucement, tourne à gauche, tends la main, suce, refais, arrête, plus vite, chante, ferme la radio, tire le rideau, rajoute deux doigts, dis-moi que tu m’aimes… La vie, que je te dis, hé, baudruche ! Bien vicelarde, componctieuse et ardente, selon.
Des années, il se l’est baladée dans les extases, la merveilleuse Gertrude. Et puis enfin, la grosse décision : « Je t’épouse. » Tu te rends compte de l’apothéose que ça représentait pour cette gentille gosse, ô mon Lecteur mal Retapé ? Ce conte d’Orphée. Ce panard éblouissant. Elle, la mignonne, farcie de tous les bords par un technautrichien, enamourée de triglettes, devenant la femme de ce beau mâle si riche en savoir, si superbe d’allure. Corps diplomatique, les soirées de gala, les réceptions…
Hélas, hélas, hélas, comme disait le grand Machin, les bons contes de fée ne font pas les bons amis. Il fallut déchanter. Bientôt le beau Karl (à cornichon) la délaissa. Ensuite vinrent les rebuffades. De là on passa aux sévices. Et ainsi, l’existence de la pauvrette devint un enfer (à cheval). Albrecht la séquestrait positivement, la battait, découchait cinq nuits par semaine et, les deux autres, ramenait des amis à la maison, en compagnie desquels il la forçait de partouzer, l’abject fumelard que rien que de parler de lui, j’en prends des picotements dans les poings malgré qu’il soit réduit en cendres.
Naufrage d’une nymphe, on aurait pu intituler son histoire. La chute d’un ange c’est déjà pris. Hein, qu’en penses-tu de « Naufrage d’une nymphe » ? T’aimes pas ? T’as raison, c’est con. Bon, alors on intitule pas.
Et alors, moi qu’arrive, au petit, au tout petit matin, beau comme un dieu qui ne serait pas trop mal foutu de sa personne, le calbute arqué dès le premier regard, le goume plus costaud que du cœur de chêne, moi qui te la reluis au super-Miror, à la cosaque de l’époque Blanche, avec des initiatives étourdissantes de brio : la colombe gavée, le diabolo amante, le vertige du professeur Chpruck. Moi qui l’empâme en grand seigneur, si bellement et fortement que j’ai cru lui voir gicler des étincelles. Moi qui la confesse comme un ami sûr, compréhensif, d’une intelligence profonde à foutre le vertige au général Massu. Rends-toi compte, mon Lecteur de Semaine, si elle biche, cette tendresse. Le havre de Val-de-Grâce que je représente ! Quelle radieuse plage de repos moral, de félicité physique. La manière bouleversante dont je suis le bienvenu.
Quelques coups de klaxon, qui se voudraient discrets, partent de la street. Mince, avec cette aventure délicate, j’ai complètement oublié mes archers, mézigue.
Je précipite à la fenêtre. En bas, je reconnais Pinuche, et son bitos gondolé. A cause de la perspective plongeante (cet ennemi de l’humain comme a écrit Sartre dans la Nausée) il ressemble à un vieux champignon, César. Catégorie vesse-de-loup. T’appuies dessus, il part un petit nuage couleur de souffre.
— Ça se passe bien ? demande l’Inquiet.
— Pas mal !
Il me montre une chignole stationnée derrière la mienne.
— Ils sont là.
— Alors montez !
Je reviens à Gertrude.
— Vous voudrez bien me pardonner mon audace, douce amie, mais mes hommes sont en bas, qui m’attendent, et je me suis permis de…
— Vous faites bien. Il y a des formalités à propos de la mort de Karl ?
— Mon Dieu, compte tenu de la façon dont elle s’est produite, attendez-vous à pas mal de va-et-vient dans les heures qui viennent. Vous lui connaissez des ennemis ?
— Non. Mais, vous savez, je ne sais rien de précis sur sa vie. C’était un homme extrêmement discret. Je ne connaissais que ses mœurs parce que cela, il prenait un plaisir sadique à l’étaler.
Je n’attends pas que mes équipiers sonnent pour aller leur ouvrir. Ils se pointent queue leu leu. Pinuche en fer de lance, de face, il n’a plus l’air d’un champignon moisi, mais d’un cintre à habit supportant une vieille gabardine déliquescente.
Il est suivi de Maud, et le Gravos ferme la marche.
Sa Majesté rouscaille :
— On se gelait les frangines, en bas. Dis, t’y prends tes vacances dans cette crèche ?
— Entrez, et soyez corrects. Otez vos chapeaux, essuyez vos pieds, et dites bonjour à la dame.
— On pourrait p’t’être aussi faire le ménage si elle serait en rade de main-d’œuvre ! grommelle l’Irascible.
Toutefois, ils obtempèrent.
Je referme la porte, les guide au salon. Gertrude est allée passer une robe de chambre. Je souris à Maud.
— Vous ne m’en voulez pas trop pour le dérangement, petite ?
— Je ne vous en voudrais pas, si votre pachyderme se comportait un peu mieux. Sous prétexte que je travaille dans la galanterie, il a voulu à toute force abuser de moi. Et comme je refusais, il m’a menacée.
Gradube hocha la tête :
— Entendre déformer les faits de cette manière, je te jure, y a de quoi se filer en pétard.
— C’est pas vrai, peut-être ! éclate Maud.
Le Majestueux recoiffe son bitos, car il est pour lui signe d’autorité. Nu-tête, il se sent à merci, le Gros. Fragile. Il se balade à poil sans sourciller, mais à condition de conserver son bada. Les monarques ceignent une couronne pour rendre les autres à l’évidence de leur majesté, lui, il ceint son galure.
— C’est de la voir se linger, explique-t-il. Tu regardes sans broncher une bergère enfiler ses bas, toi ? Je dis bien : des bas, pas des collants à la gomme. Moi, j’en chope la danse de Saint Glinglin, mon pote. Et quand cette péteuse vient prétendre que je voulais abuser d’elle, elle cherche à créer l’incident. Tu sais ce que j’y ai demandé ? Dis, pour voir… Une pipe ! Une simple pipe pour petit commerçant de sortie. De la part d’une mousmé qui y va au calumet dix heures d’enfilée, comme c’eusse pu la gêner en quoi que ce fut. C’est bien de la mauvaise volonté ou j’ m’y connais pas, non ?