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« C’est comme ça pour nous, quand on a pris de la vapeur, répondit Rose. C’est tout ce que tu as besoin de savoir. »

Elle baissa la tête et ça recommença.

11

Un peu avant minuit, assis sur le marchepied du bus Bounder de Charlie le Crack, Baba la Russe et Charlie fumaient un joint en contemplant la lune. Du EarthCruiser de Rose montèrent de nouveaux hurlements.

Charlie et Baba se regardèrent en souriant.

« Y en a une qu’aime ça, observa Baba.

— Et qui aimerait pas ça ? » répondit Charlie.

12

Andi s’éveilla à la première lueur du jour, la tête nichée comme dans un oreiller sur la poitrine de Rose. Elle se sentait totalement différente ; elle ne se sentait pas différente du tout. Elle souleva la tête et vit que Rose la regardait de ses incroyables yeux gris.

« Tu m’as sauvée, lui dit Andi. Tu m’as ramenée.

— J’y serais pas arrivée toute seule. Tu le voulais. » T’en crevais d’envie, poupée-chérie.

« Ce qu’on a fait ensemble après… on pourra plus le refaire, si ? »

Rose secoua la tête, tout sourires. « Non. Et c’est bien comme ça. Certaines expériences sont impossibles à renouveler. Et puis, mon homme rentre demain.

— Il s’appelle comment ?

— Il répond au nom d’Henry Rothman, mais juste pour les pecnos. Son identité Vraie, c’est Papa Skunk.

— Tu l’aimes ? Hein, que tu l’aimes ? »

Rose sourit, attira Andi plus près et l’embrassa. Mais sans lui répondre.

« Rose ?

— Oui ?

— Est-ce que je suis… encore humaine ? »

À cette question, Rose apporta la même réponse que Dick Hallorann naguère à Danny Torrance. Et avec la même froideur: « Tu te fais du souci pour ça ? »

Andi décida que non. Elle avait trouvé sa famille.

MAMA

1

C’était un imbroglio de rêves pénibles — un homme armé d’un marteau le poursuivait à travers un dédale de couloirs, un ascenseur montait et descendait tout seul, des haies taillées en forme d’animaux prenaient vie et se refermaient sur lui — et de ce dédale émergea finalement une seule pensée claire: Je voudrais être mort.

Dan Torrance ouvrit les yeux. Le soleil s’y engouffra, transperçant son crâne douloureux, menaçant de mettre à feu son cerveau. Lendemain de cuite de première. Son visage palpitait. Il avait les narines bouchées, à part un minuscule trou d’aiguille dans celle de gauche qui laissait filtrer un mince filet d’air. La gauche ? Non, la droite. Il pouvait respirer par ses lèvres entrouvertes, mais il avait un affreux goût de clope et de whisky dans la bouche. Son estomac plombé de mauvaise bouffe était une enclume. Le bidenvrac du lendemain, comme un vieux copain de bordée appelait cette sensation ignoble. Quel copain ? Aucun souvenir. C’était un miracle qu’il se souvienne encore de son nom.

Un ronflement sonore à côté de lui lui fit tourner la tête. Sa nuque poussa un cri de protestation et une autre flèche lui vrilla la tempe. Il rouvrit les yeux, à peine une fente: par pitié, arrêtez avec ce soleil aveuglant ! Il était couché sur un matelas nu posé à même un sol nu. À côté de lui, couchée sur le dos, il y avait une femme nue. Dan se regarda et vit que lui aussi était en tenue d’Adam.

Elle s’appelle… Dolores ? Non. Debbie ? T’y es presque, c’est…

Deenie. Elle s’appelait Deenie. Il l’avait rencontrée dans un bar, le Milky Way[3], et ils s’étaient bien marrés jusqu’à…

Il se rappelait plus. Un coup d’œil à ses mains — enflées, jointures droites éraflées et croûteuses — et il décida qu’il tenait pas à se rappeler. À quoi bon ? Le scénario de base ne changeait jamais. Il se soûlait, un mec disait un truc de trop, et ensuite, tout n’était plus que saccage et chaos dans le bar. Un chien enragé vivait dans sa tête. À jeun, il arrivait à le tenir en laisse. Mais dès qu’il buvait, la laisse disparaissait. Tôt ou tard, je vais tuer quelqu’un. Pour ce qu’il en savait, il l’avait peut-être fait la nuit dernière.

Hé, Deenie, tripote-moi la weenie.

Il avait vraiment dit ça ? Merde, il avait bien peur que oui. Des bribes lui revenaient à présent, et même ce peu était de trop. La partie de billard. Il avait voulu donner un peu d’effet à sa queue et elle lui avait échappé. Après avoir méchamment raclé le tapis, elle était partie en vol plané et avait roulé jusqu’au juke-box où passait — quoi d’autre ? — de la musique country. Joe Diffie, crut-il se rappeler. Pourquoi avait-il raclé le tapis comme ça ? Parce qu’il était bourré, pardi, et parce que Deenie était collée à lui. En train de lui tripoter la weenie, juste sous la table, et il faisait le malin pour elle. Oh, tout ça juste pour se marrer. Et puis y avait ce type avec sa casquette Case et sa chemise de cow-boy en soie chicos qui avait ricané, et ça, c’était le truc à ne pas faire.

Saccage et chaos dans le bar.

Dan palpa sa bouche et découvrit deux petites saucisses à apéritif rebondies à la place des lèvres normales qu’il avait, hier après-midi encore, quand il était sorti du guichet d’encaissement des chèques avec un peu plus de cinq cents dollars en poche.

Au moins, j’ai encore toutes mes dents…

Son estomac se retourna dans un soubresaut liquide. Un renvoi lui inonda la bouche d’une viscosité acide au goût de whisky et il la ravala. Ça redescendit en brûlant. Il roula du matelas pour se mettre à genoux, se leva en titubant et resta là, debout, à osciller d’avant en arrière tandis que la pièce commençait à danser doucement le tango autour de lui. Il avait mal aux cheveux, la tête qui explosait, le bide en vrac de toute la mauvaise bouffe qu’il avait ingurgitée la veille pour éponger l’alcool… mais surtout, il était encore ivre.

Il ramassa son caleçon par terre au bout de son doigt en crochet et sortit de la chambre en le tenant serré dans sa main, sans boiter vraiment mais en faisant porter nettement plus le poids du corps sur la jambe gauche. Il avait le vague souvenir — pourvu qu’il ne se précise jamais plus — du cow-boy Case bazardant une chaise. C’était le moment qu’ils avaient choisi, lui et Deenie-tripote-moi-la-weenie, pour ficher le camp, pas tout à fait en courant mais en riant comme des fous.

Son estomac contrarié fit une deuxième embardée. Accompagnée cette fois d’une crampe, comme une main dure se crispant dans un gant de caoutchouc mou. Tous les avertisseurs de la phase vomi se déclenchèrent: l’odeur de vinaigre des œufs durs marinés dans le grand bocal en verre, le goût des couennes de porc saveur barbecue, la vision des frites noyées dans un épanchement de ketchup sanglant. Toute la bouffe crade qu’il s’était enfilée la veille entre deux gorgeons. Il allait dégueuler, mais les images continuaient à tournoyer comme la roue d’un jeu télévisé de cauchemar.

Avec quel prix repartira notre prochain candidat, Johnny ? Eh bien, Bob, il s’agit d’une grosse portion de SARDINES BIEN GRASSES !

La salle de bains était juste au fond d’un petit tronçon de couloir. La porte était ouverte, l’abattant des W.-C. relevé. Dan s’élança, atterrit à genoux et vomit une belle gerbe gluante jaune marronnasse sur un étron flottant. Il détourna la tête, chercha le bouton de la chasse à tâtons, le trouva, l’actionna. De l’eau dévala en cascade, mais nul bruit d’évacuation ne suivit. Il regarda à nouveau et vit une chose alarmante: l’étron, probablement le sien, montait sur une houle de bouffe de bar à moitié digérée jusqu’au rebord aspergé de pisse de la cuvette. Juste avant que les chiottes ne débordent, pour compléter la liste de ces banales horreurs matinales, quelque chose se racla la gorge dans la tuyauterie et tout le bordel reflua. Dan vomit une deuxième fois puis, assis sur ses talons, dos au mur, tête baissée, attendit que le réservoir se remplisse pour pouvoir tirer encore la chasse.

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3

La Voie lactée.