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(promis je t’aime oncle Dan)

(moi aussi je t’aime)

Il dessina un baiser. Abra en dessina un aussi: de grosses lèvres rouges de dessin animé. Il le sentit presque sur sa joue. Puis elle disparut.

Billy le fixait. « Tu viens juste de lui parler, hein ?

— Exact. Surveille la route, Billy.

— Ouais, ouais. On dirait mon ex-femme. »

Billy mit son clignotant et doubla une énorme et lourde autocaravane Fleetwood Pace Arrow. Dan regarda fixement le véhicule, se demandant qui l’occupait et si ses passagers regardaient aussi à travers leurs vitres fumées.

« Je veux faire encore cent cinquante, deux cents bornes avant qu’on s’arrête pour la nuit, dit Billy. Comme je vois les choses, demain, ça nous laissera une heure pour faire tes courses et on sera en montagne à peu près à l’heure que vous avez fixée pour le duel, Abra et toi. Mais faudra qu’on prenne la route avant le lever du jour.

— Parfait. Tu as pigé comment ça va se passer ?

— J’ai pigé comment c’est censé se passer. » Billy lui lança un bref coup d’œil. « Tu as intérêt à espérer que, s’ils ont des jumelles, ils s’en serviront pas. Tu penses qu’on a des chances d’en revenir vivants ? Dis-moi la vérité. Si la réponse est non, je vais me commander le plus gros steak que t’as jamais vu de ta vie ce soir pour dîner. MasterCard n’aura qu’à poursuivre mes héritiers pour ma dernière dette. Et tu sais quoi ? J’ai pas d’héritiers. Sauf si tu comptes mon ex-femme, mais elle me pisserait même pas dessus pour m’éteindre si j’étais en feu.

— On en reviendra », dit Dan. Mais sa réponse lui parut bien pâle. Il se sentait trop malade pour donner le change.

« Ouais ? Mais bon, peut-être que je vais quand même me taper ce gros steak ce soir pour dîner. Et toi ?

— Je crois que je pourrais avaler un peu de soupe. Du bouillon, plutôt. » L’idée d’ingurgiter quelque chose de trop épais pour pouvoir lire le journal à travers — velouté de tomate, crème de champignons — lui retournait l’estomac.

« D’accord. Et si t’essayais de refermer un peu les yeux ? »

Dan savait qu’il ne réussirait pas à dormir profondément — pas tant qu’Abra était aux prises avec cette antique horreur qui ressemblait à une femme — mais il parvint à somnoler. Un somme léger mais suffisamment profond pour qu’il fasse d’autres rêves, d’abord de l’Overlook (la version du jour comprenait l’ascenseur qui montait et descendait tout seul en pleine nuit), puis de sa nièce. Cette fois, Abra avait été étranglée à l’aide d’un cordon électrique. Elle fixait Dan avec des yeux exorbités, accusateurs. Il n’était que trop facile de lire ce qu’ils exprimaient. Tu m’avais dit que tu m’aiderais. Tu m’avais dit que tu me sauverais. Où tu étais pendant que je mourais ?

8

Abra ne cessait de repousser ce qu’elle avait à faire jusqu’au moment où elle s’aperçut que sa mère ne tarderait pas à lui crier de se coucher. Elle n’allait pas en classe le lendemain matin, mais ça serait quand même une grosse journée. Peut-être aussi une très longue nuit.

Reporter les choses à plus tard ne fait que les aggraver, cara mia.

Ça, c’était l’évangile selon Momo. Abra jeta un coup d’œil vers sa fenêtre. Si seulement elle avait pu y apercevoir son arrière-grand-mère au lieu de Rose. Ç’aurait été vraiment bien.

« Momo, j’ai tellement peur », dit-elle. Mais après deux longues inspirations, elle prit son iPhone et pianota le numéro de l’Overlook Lodge au Bluebell Campground. Un homme répondit, et lorsque Abra dit qu’elle voulait parler à Rose, il demanda de la part de qui.

« Vous savez très bien qui je suis », répondit-elle. Et, d’un ton qu’elle espérait désagréablement inquisiteur, elle ajouta: « Êtes-vous déjà malade, cher monsieur ? »

L’homme au bout du fil (c’était Double P) ne répondit pas, mais elle l’entendit murmurer à l’adresse de quelqu’un. Une seconde plus tard, Rose était en ligne, de nouveau en ferme possession de son sang-froid.

« Bonjour, ma chère. Où vous trouvez-vous ?

— Je suis en route, répondit Abra.

— Vraiment ? J’en suis fort aise. Donc, si je vérifie l’indicatif de ton numéro, je vais pas trouver que ton appel vient du New Hampshire ?

— Ben non, répondit Abra. J’appelle avec mon portable. Faut vous mettre à l’heure du XXIe siècle, pétasse.

— Que veux-tu ? » La voix dans son oreille était soudain cassante.

« M’assurer que vous connaissez les règles, dit Abra. Je serai là-bas à dix-sept heures demain. À bord d’une vieille camionnette rouge.

— Conduite par qui ?

— Mon oncle Billy, répondit Abra.

— C’est l’un de ceux de l’embuscade ?

— C’est lui qui était avec moi et le Skunk. Arrêtez de poser des questions. Contentez-vous de la boucler et d’écouter.

— Que tu es mal élevée, commenta tristement Rose.

— On se garera tout au fond du parking, près du panneau qui dit REPAS GRATUIT POUR LES ENFANTS QUAND LES ÉQUIPES DU COLORADO GAGNENT.

— Je vois que tu as été sur notre site internet. Comme c’est mignon. Ou alors c’est ton oncle, peut-être ? Il a beaucoup de courage de te servir de chauffeur. C’est le frère de ton père ou de ta mère ? Les familles de pecnos, c’est mon passe-temps. Je fais des arbres généalogiques. »

Elle va te baratiner pour te tirer les vers du nez, lui avait dit Dan. Il ne s’était pas trompé.

« C’est quoi que vous comprenez pas quand je vous dis de la boucler et d’écouter ? Vous voulez qu’on le fasse ou pas ? »

Pas de réponse, juste un silence d’attente. Un inquiétant silence d’attente.

« Du parking, on verra tout: le camping, le Lodge, le Toit du Monde. Vous avez intérêt à ce que, mon oncle et moi, on vous voie perchée là-haut, et intérêt aussi à ce qu’on voie vos Nœuds Vrais nulle part. Ils vont rester bien gentiment en salle de bingo pendant qu’on fera ce qu’on a à faire. La grande salle, compris ? Oncle Billy captera pas, s’ils sont pas là où ils sont censés être, mais moi oui. Si j’en repère un seul ailleurs, tonton et moi on se casse.

— Ton tonton, il restera dans son camion ?

— Non. C’est moi qui resterai dans le camion, jusqu’à ce qu’on soit sûrs. Ensuite, il se remettra au volant et moi, je monterai. Je veux surtout pas qu’il s’approche de vous.

— Très bien, ma chère. Il en sera fait comme vous l’exigez. »

Non, c’est pas vrai. Tu mens.

Mais Abra aussi mentait, ce qui les mettait d’une certaine manière à égalité.

« Encore un mot, ma chère. J’ai une question vraiment importante à vous poser », dit Rose aimablement.

Abra faillit lui demander quelle question, puis elle se souvint de l’avertissement de son oncle. Son vrai oncle. D’abord une question. Qui en entraînerait une autre… et une autre… et encore une autre.

« Ravalez-la et qu’elle vous étouffe », dit-elle. Et elle raccrocha. Ses mains se mirent à trembler. Puis ses jambes, ses épaules, ses bras.

« Abra ? » Maman. Qui l’appelait du bas des escaliers. Elle le sent. Juste un peu, mais elle le sent. C’est un truc de maman ou une étincelle du Don ? « Chérie, ça va ?

— Super, m’man ! J’mets mon pyjams !

— Encore dix minutes, et on monte pour la bise. Sois prête.

— J’serai prête. »

S’ils savaient à qui je viens de parler, pensa Abra. Mais ils ne le savaient pas. Ils croyaient juste être au courant de ce qui se passait. Elle était ici, dans sa chambre, toutes les portes et les fenêtres de la maison étaient verrouillées, et ils croyaient que ça suffisait pour qu’elle soit en sécurité. Même son père, qui avait vu le Nœud Vrai en action.