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Elle ne les regardait ni l’un l’autre. Ses yeux étaient fixés sur la rivière, mais Lucy savait qu’elle ne la regardait pas vraiment non plus. Elle était loin d’ici, dans un endroit où aucun d’eux ne pouvait l’aider. « Pas longtemps. Vous devriez chacun me faire un bisou et retourner à l’intérieur.

— Mais… », commença Lucy. Puis elle vit Dave lui faire non de la tête. Une seule fois, mais très fermement. Elle soupira, prit une main d’Abra (comme elle était froide !) et posa un baiser sur sa joue gauche. David en posa un sur la droite.

Lucy: « N’oublie pas ce qu’a dit Dan. Si les choses tournent mal…

— Vous devriez rentrer maintenant, tous les deux. Quand ça commencera, je prendrai Pippo dans mes bras. Quand vous me verrez faire ça, vous ne devrez plus m’interrompre. Sous aucun prétexte. Vous pourriez faire tuer oncle Dan, et peut-être Billy, aussi. Il se peut que je tombe, comme si je m’évanouissais, mais ça sera pas un évanouissement, alors ne me touchez pas et ne laissez pas Dr John me toucher, non plus. Laissez-moi juste comme ça jusqu’à ce que ça soit fini. Je crois que Dan connaît un endroit où on peut être en sécurité ensemble. »

David dit: « Je ne comprends pas comment un truc pareil peut fonctionner. Cette femme, cette Rose, elle verra bien qu’il n’y a aucune petite fille…

— Vous devez rentrer maintenant », dit Abra.

Ils firent ce qu’elle disait. Lucy lança un regard implorant à John ; il ne put que hausser les épaules et secouer la tête. Tous trois se postèrent à la fenêtre de la cuisine, se tenant par les épaules, pour regarder dehors la petite fille assise sur le perron, les bras serrés autour des genoux. Aucun danger d’être vus ; tout était paisible. Mais quand Lucy vit Abra — sa petite fille — attraper Pippo et poser le vieux lapin en peluche sur ses genoux, elle poussa un gémissement. John lui pressa l’épaule. David resserra son bras autour de sa taille et elle se cramponna à sa main avec panique.

Je vous en prie, épargnez ma petite fille. S’il doit arriver quelque chose… quelque chose de grave… faites que cela arrive à ce demi-frère que je n’ai jamais connu. Pas à elle.

« Tout ira bien », dit Dave.

Elle hocha la tête. « Oui, bien sûr. Bien sûr, tout ira bien. »

Ils observaient la fillette sur le perron. Lucy comprit que même si elle l’appelait, Abra ne répondrait pas. Abra n’était plus là.

2

Billy et Dan arrivèrent à l’embranchement pour le camp de base des Vrais dans le Colorado à quatre heures moins vingt, heure des Rocheuses, ce qui leur donnait une avance confortable sur l’horaire. Au-dessus de la route goudronnée, un panneau de bois cintré style entrée de ranch annonçait en lettres pyrogravées BIENVENUE AU BLUEBELL CAMPGROUND ! SÉJOURNE UN PEU PARMI NOUS, ÉTRANGER ! Le panneau en bord de route qui le complétait était nettement moins accueillant: FERMÉ JUSQU’À NOUVEL ORDRE.

Billy dépassa le camp sans ralentir, mais le regard en alerte. « Je vois personne. Même sur les pelouses. Pourtant, j’imagine qu’ils auraient pu poster quelqu’un dans cette petite casemate d’accueil, là. Doux Jésus, Dan, tu as une mine épouvantable.

— Heureusement pour moi, le concours de Mr. America n’aura lieu qu’à la fin de l’année, dit Dan. Dans un kilomètre et demi, peut-être moins. Le panneau indique VUE PANORAMIQUE, AIRE DE PIQUE-NIQUE.

— Et s’ils ont posté quelqu’un là-haut ?

— Non, ils n’ont pas fait ça.

— Comment tu peux en être sûr ?

— Parce que ni Abra ni son oncle Billy ne peuvent savoir que cet itinéraire existe, puisqu’ils ne sont jamais venus ici. Et les Vrais ne connaissent pas mon existence.

— Espérons-le.

— Abra m’a confirmé qu’ils sont tous là où ils sont censés être. Elle a vérifié. Maintenant, tais-toi une minute, Billy. J’ai besoin de réfléchir. »

C’était à Dick Hallorann qu’il avait besoin de penser. Pendant plusieurs années, après leur hiver hanté à l’Overlook, Danny Torrance et Dick Hallorann s’étaient beaucoup parlé. Parfois face à face, le plus souvent d’esprit à esprit. Dan adorait sa mère mais il y avait des choses qu’elle ne pouvait pas comprendre. Comme les coffres-forts, par exemple. Ceux dans lesquels on enfermait les choses dangereuses que le Don attirait parfois. Même si le coup du coffre-fort ne marchait pas à chaque fois. À plusieurs reprises, Dan avait essayé de s’en fabriquer un pour l’alcool, mais ses tentatives s’étaient soldées par de misérables échecs (peut-être parce qu’il voulait que ce soient des échecs). Mrs. Massey, par contre… et Horace Derwent…

Il avait maintenant un troisième coffre-fort rangé au fond de son esprit, mais celui-là n’était pas aussi étanche que ceux qu’il s’était fabriqués quand il était petit. Parce que lui-même était moins fort ? Parce que ce que contenait ce coffre n’avait rien à voir avec les revenants qui avaient fait l’erreur de venir le chercher ? Les deux ? Il l’ignorait. Il savait seulement que le coffre-fort fuyait. Et quand il l’ouvrirait, son contenu risquait de le tuer. Mais…

« De quoi parles-tu ? demanda Billy.

— Hein ? » Dan regarda autour de lui. Il avait une main pressée sur le ventre. La douleur était terrible, maintenant.

« Tu viens de dire “On n’a plus le choix”. De quoi parles-tu ?

— Peu importe. » Ils étaient arrivés à l’aire de pique-nique et Billy s’engagea sur le chemin. Au bout, une clairière était aménagée avec des tables, des bancs et des fosses à barbecue. Dan trouva que ça ressemblait à Cloud Gap, mais sans la rivière. « Juste une chose… si ça tourne mal, remonte dans ta camionnette et décampe, sur les chapeaux de roue.

— Et tu crois que ça t’aiderait, si je faisais ça ? »

Dan ne répondit pas. Il avait les tripes en feu. En feu.

3

Juste avant quatre heures, ce lundi après-midi de la fin septembre, Rose se dirigea vers le Toit du Monde, accompagnée de Sarey la Muette.

Rose avait enfilé un jean moulant qui mettait en valeur ses longues jambes fuselées. Malgré le froid piquant, Sarey la Muette ne portait qu’une robe-tablier d’un bleu clair quelconque qui ondulait autour de ses maigres mollets. Rose s’arrêta pour consulter une plaque boulonnée à un pilier de granit au pied de la cinquantaine de marches permettant d’accéder à la plate-forme panoramique. Cette plaque indiquait que sur ce site historique s’était dressé l’hôtel Overlook, emporté par les flammes trente-cinq ans auparavant.

« Très puissantes sensations ici, Sarey. »

Sarey hocha la tête.

« Tu sais qu’il y a des sources chaudes où la vapeur sort directement de la terre, tu sais ça, n’est-ce pas ?

— Voui.

— C’est comme ça, ici. » Rose se pencha pour humer l’herbe et les fleurs sauvages. Sous leurs senteurs pointait l’odeur métallique du sang versé. « Fortes émotions: haine, peur, préjudice, luxure. L’écho du crime. Pas de la nourriture — trop ancien — mais régénérant tout de même. Un bouquet capiteux. »

Sarey ne disait rien, mais observait Rose.

« Et cette chose. » Rose agita la main en direction des marches abruptes montant à la plate-forme. « On dirait un gibet, tu trouves pas ? Il ne manque que la trappe. »

Toujours rien de la part de Sarey. Du moins à haute voix. Mais sa pensée

(et la gorde)

était assez claire.

« Exact, ma chérie, mais l’une de nous sera pendue ici, d’une manière ou d’une autre. Ou moi ou la petite bâtarde qui a mis son nez dans nos affaires. Tu vois ça ? » Rose désignait du doigt une remise verte, à une dizaine de mètres de là.