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Sarey fit oui de la tête.

Rose portait une ceinture-banane. Elle l’ouvrit, fouilla à l’intérieur, en sortit une clé, la tendit à Sarey. Celle-ci marcha jusqu’à la remise dans l’herbe haute qui bruissait contre ses mollets. La clé ouvrait un cadenas posé sur la porte. Lorsqu’elle l’ouvrit, le soleil vespéral illumina un espace à peine plus grand qu’un cabinet d’aisances, qui abritait une tondeuse à gazon et un seau en plastique contenant une faucille et un râteau. Une pioche et une pelle étaient appuyées contre le mur du fond. Il n’y avait rien d’autre, et rien derrière quoi se dissimuler.

« Vas-y, entre, dit Rose. Voyons de quoi tu es capable. » Et avec toute la vapeur que t’as en toi, tu devrais être capable de m’étonner.

Comme les autres membres des Vrais, Sarey la Muette avait son petit talent.

Elle entra dans la remise, renifla et dit: « Pouffère.

— On s’en fout, de la poussière. Je veux te voir faire ton petit numéro. Ou plutôt, je ne veux pas te voir. »

Car c’était ça, le talent de Sarey. Elle n’était pas capable d’invisibilité (aucun d’eux ne l’était), mais elle savait créer une sorte de flou qui s’harmonisait parfaitement avec sa silhouette frêle et son visage quelconque. Elle se tourna vers Rose, puis regarda au sol son ombre maigrichonne. Elle se déplaça — pas de beaucoup, un demi-pas — et son ombre se fondit dans celle projetée par la poignée de la tondeuse. Là, elle s’immobilisa complètement et la remise fut déserte.

Rose ferma les yeux, puis les rouvrit brusquement, et Sarey était là, debout à côté de la tondeuse à gazon, les mains sagement nouées sur son ventre comme une jeune fille timide au bal espérant qu’un garçon l’invite à danser. Rose détourna le regard vers les montagnes au loin, et quand elle le ramena dans la remise, celle-ci était de nouveau déserte — juste un minuscule réduit sans aucun endroit où se cacher. Dans la forte lumière solaire, on ne percevait même pas une ombre. À part celle projetée par la poignée de la tondeuse. À part…

« Rentre ton coude, dit Rose. Je le vois. Juste un peu. »

Sarey la Muette fit ce qu’on lui demandait et, l’espace d’un instant, elle disparut vraiment tout à fait, du moins tant que Rose ne se concentra pas pour la voir. Lorsqu’elle le fit, Sarey était de nouveau là. Mais évidemment, Rose savait que Sarey était là. Le moment venu — et il n’allait pas tarder à venir — la petite bâtarde ne le saurait pas.

« Bien, Sarey ! la complimenta-t-elle avec chaleur (avec autant de chaleur que possible). J’aurai peut-être pas besoin de toi. Et si je t’appelle, tu prends la faucille. Pense à Andi en la prenant. D’accord ? »

Au nom d’Andi, les lèvres de Sarey se plissèrent en une moue de tristesse. Elle regarda fixement la faucille dans le seau en plastique et hocha la tête.

Rose s’approcha et prit le cadenas. « Je vais t’enfermer maintenant. La petite bâtarde captera les autres, enfermés dans le Lodge, mais toi, elle te captera pas. J’en suis sûre. Parce que t’es la silencieuse ? Pas vrai ? »

Sarey hocha encore la tête. Elle était la silencieuse, elle l’avait toujours été.

(et comment leu)

Rose sourit. « Le cadenas ? T’inquiète pas pour ça. Inquiète-toi de pas bouger. Pas bouger, pas parler. Compris ?

— Voui.

— Et t’as compris pour la faucille ? » Rose n’aurait jamais confié une arme à feu à Sarey, même si la Tribu en avait possédé une.

« La vozille. Voui.

— Si je lui mets sa raclée — et pleine de vapeur comme je suis, ça devrait être une partie de plaisir —, tu ne bouges pas d’ici jusqu’à ce que je t’en fasse sortir. Mais si tu m’entends crier… voyons… si tu m’entends crier m’oblige pas à te filer ta raclée, ça voudra dire que j’ai besoin d’aide. Je m’arrangerai pour qu’elle te tourne le dos. Tu sais ce que tu auras à faire alors ? »

(Ze monte zescayers et)

Mais Rose secoua la tête. « Non, Sarey. T’auras pas besoin. Je la laisserai jamais arriver en haut de la plate-forme. »

Ça lui ferait mal de perdre toute cette bonne vapeur, encore plus que de ne pas tuer la petite bâtarde de ses mains… après l’avoir fait souffrir… et longtemps. Mais elle ne devait pas jeter la prudence aux orties. La môme était super forte.

« Quels mots tu guetteras, Sarey ?

— M’obize pas filer waclée.

— Et quel mot tu penseras très fort alors ? »

Les yeux à demi cachés sous la frange hirsute flamboyèrent. « Venzance.

— C’est ça. Vengeance pour Andi, assassinée par les amis de la petite bâtarde. Mais seulement si j’ai besoin de toi, parce que je veux lui régler son compte moi-même. » Les poings de Rose se crispèrent, ses ongles creusant un peu plus profondément les croissants incrustés de sang qu’ils avaient déjà imprimés dans ses paumes. « Mais si j’ai besoin de toi, t’arrives. T’hésites pas et tu te laisses arrêter par rien. Tu t’arrêtes pas tant que t’as pas planté cette faucille dans son cou et vu la lame ressortir par sa gorge. »

Les yeux de Sarey luirent. « Voui.

— Bien. » Rose l’embrassa, puis ferma la porte et le cadenas. Elle remit la clé dans sa ceinture-banane et s’appuya contre la porte. « Écoute-moi, ma choute. Si tout se passe bien, c’est toi qu’auras la première vapeur. Je te le promets. Et ça sera la meilleure que t’auras jamais eue. »

Rose retourna vers la plate-forme panoramique, inspira plusieurs fois longuement pour se calmer et commença à monter l’escalier.

4

Tête basse, les yeux clos, Dan s’appuyait des deux mains à l’une des tables de pique-nique.

« Faire ça comme ça, c’est de la folie, commenta Billy. Je devrais rester avec toi.

— Tu peux pas. T’as d’autres chats à fouetter.

— Et si tu t’évanouis sur le sentier ? Et même si tu ne t’évanouis pas, comment tu vas venir à bout tout seul de toute cette bande ? À voir ta mine maintenant, tu tiendrais pas deux rounds contre un gosse de cinq ans.

— Je crois que dans pas longtemps, je vais me sentir beaucoup mieux. Beaucoup plus fort, aussi. Vas-y, Billy. Tu te souviens où te garer ?

— Tout au fond du parking, près du panneau qui dit que les gosses mangent gratis quand les équipes du Colorado gagnent.

— C’est ça. » Dan leva la tête et remarqua les lunettes de soleil géantes dont Billy était désormais affublé. « Enfonce bien ta casquette. Jusqu’aux oreilles. Aie l’air jeune.

— Je connais un truc qui me fera paraître encore plus jeune. Si j’arrive encore à le faire, cela dit. »

C’est à peine si Dan l’entendit. « J’ai besoin d’une dernière chose. »

Il se redressa et ouvrit les bras. Billy l’étreignit, avec le désir de le serrer fortement — farouchement — contre lui, mais il n’osa pas.

« Abra a pris une sage décision. Jamais je serais arrivé ici sans toi. Maintenant, va faire ce que tu as à faire.

— Toi aussi, dit Billy. Je compte sur toi à Thanksgiving pour assurer le circuit de Cloud Gap.

— J’adorerais ça, dit Dan. Le plus chouette train électrique qu’un gosse ait jamais eu. »

Billy le regarda partir à pas lents, marchant en direction du panneau à l’autre extrémité de la clairière en se tenant le ventre à deux mains. Il y avait deux flèches en bois. L’une pointée vers l’ouest et le belvédère de Pawnee Lookout. L’autre pointée vers l’est et le bas de la colline. Cette dernière indiquait VERS BLUEBELL CAMPGROUND.

C’est sur ce sentier que Dan s’engagea. Durant un petit moment, Billy put le suivre des yeux à travers le jaune lumineux des feuilles des trembles, marchant lentement, douloureusement, tête baissée pour ne pas trébucher. Puis il disparut.