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— Oui. » Il les avait sentis pendant des années. Parce que le passé définit le présent. Il lui passa un bras autour des épaules, et son bras à elle se glissa autour de sa taille.

« Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?

— On attend Billy. En espérant qu’il soit à l’heure. Et puis, tout va s’enchaîner très vite.

— Oncle Dan ?

— Quoi, Abra ?

— Qu’est-ce que tu as à l’intérieur de toi ? Ce n’est pas un fantôme. C’est comme… » Il la sentit frissonner. « C’est comme un monstre. »

Il ne répondit pas.

Elle se redressa et s’écarta. « Regarde ! Là-bas ! »

Une vieille camionnette Ford entrait en bringuebalant dans le parking visiteurs.

8

Debout sur la plate-forme du belvédère, les deux mains en appui sur le garde-fou à hauteur de ceinture, Rose scrutait le petit camion qui venait d’entrer dans le parking. La vapeur avait acéré sa vision, mais elle regrettait quand même de ne pas avoir emporté une paire de jumelles. Il devait y en avoir dans la réserve pour les visiteurs qui souhaitaient observer les oiseaux, alors pourquoi n’y avait-elle pas pensé ?

Parce que tu avais mille autres choses en tête. La maladie… les rats quittant le navire… la perte de Skunk aux mains de la petite bâtarde…

Oui, tout ça — oui, oui, oui — mais elle aurait quand même dû y penser. Un instant, elle se demanda ce qu’elle avait bien pu oublier d’autre, mais elle chassa cette pensée. Elle était encore maîtresse de la situation, chargée de vapeur jusqu’à la gueule, et au sommet de sa forme. Tout se déroulait exactement comme prévu. Bientôt, la fillette monterait jusqu’ici, parce qu’elle était pleine de cette stupide confiance adolescente et bouffie d’orgueil pour ses propres compétences.

Mais je domine la situation, ici, de tout un tas de façons. Si je peux pas te régler ton compte toute seule, je me servirai du reste de la Tribu. Ils sont tous ensemble dans la pièce principale parce que tu trouvais que c’était une super idée. Mais il y a quelque chose que tu as oublié de prendre en considération. Lorsque nous sommes tous ensemble, nous sommes liés, nous sommes vraiment un Nœud, et cela nous transforme en une batterie géante. Une super puissance sur laquelle je peux me brancher si besoin est.

Si tout le reste échouait, il resterait Sarey la Muette. Elle aurait la faucille à la main. C’était peut-être pas une lumière, mais elle était sans pitié, meurtrière, et — une fois qu’elle avait pigé le boulot — complètement obéissante. Et puis, elle avait ses propres raisons pour vouloir la petite bâtarde raide morte par terre au pied de la plate-forme.

(Charlie)

Charlie le Crack lui répondit aussi sec, et même si en temps normal c’était pas un émetteur terrible, là — amplifié par les autres dans la salle principale du Lodge — il lui parvint, sonore et clair, et quasi débordant d’excitation.

(je la capte bien fort et régulier on la capte tous elle doit être vraiment tout près tu dois la sentir)

Rose la sentait, même si elle continuait à batailler dur pour garder son esprit hermétiquement clos afin que la petite bâtarde ne puisse y entrer et la perturber.

(t’occupe pas de moi dis juste aux autres de se tenir prêts si j’ai besoin d’aide)

De nombreuses voix lui parvinrent en retour, se couvrant les unes les autres. Ils étaient tous prêts. Même ceux qui étaient malades étaient prêts à l’aider autant qu’ils le pouvaient. Elle les aima pour ça.

Rose gardait les yeux fixés sur la fillette blonde assise dans la camionnette. Elle avait la tête baissée. Parce qu’elle lisait ? Parce qu’elle se concentrait avant la bataille ? Priait le Dieu des Pecnos, peut-être ? Qu’importe.

Arrive, petite bâtarde. Monte voir tata Rose.

Mais c’est l’oncle qui descendit. Tout comme la petite bâtarde l’avait dit. Pour vérifier. Il contourna le capot de la camionnette, à pas lents, inspectant de tous les côtés. Il se pencha à la vitre du passager, dit quelque chose à la fillette, puis s’éloigna un peu de la camionnette. Il regarda en direction du Lodge, se tourna vers la plate-forme dressée contre le ciel… et agita le bras. Le toupet de ce bougre. Il la saluait, rien que ça.

Rose ne répondit pas. Elle fronçait les sourcils. Un oncle. Pourquoi les parents avaient-ils envoyé un oncle au lieu d’amener eux-mêmes leur petite bâtarde de fille ? Quand on y réfléchissait, pourquoi même l’avaient-ils autorisée à venir ?

Elle les a convaincus que c’était la seule façon. En leur disant que si elle ne venait pas à moi, c’était moi qui irais à elle. Voilà pourquoi, et ça se tient.

Ça se tenait, mais son impression de malaise allait grandissant. Elle avait laissé la petite bâtarde établir les règles de base. De ce point de vue, tout au moins, Rose s’était laissé manipuler. Elle avait consenti parce qu’elle était sur son propre terrain et qu’elle avait pris ses précautions, mais surtout parce qu’elle s’était laissé entraîner par la fureur. Une vache de fureur.

Elle fixait intensément l’homme debout dans le parking. Il avait recommencé à déambuler, regardant à droite et à gauche, s’assurant qu’elle était seule. Parfaitement raisonnable, c’était ce qu’elle-même aurait fait, mais elle était de plus en plus persuadée que ce que ce type faisait, en réalité, c’était gagner du temps, même si la raison pour laquelle il pouvait vouloir faire ça la dépassait complètement.

Rose scruta plus intensément, maintenant concentrée sur la démarche de l’homme. Elle pensa alors qu’il n’était pas aussi jeune qu’elle l’avait cru tout d’abord. En fait, il marchait, comme un type loin d’être jeune. Comme s’il avait bien plus qu’un début d’arthrite. Et pourquoi la fillette restait-elle aussi immobile ?

Rose ressentit sa première vraie palpitation d’alarme.

Quelque chose n’allait pas, là.

9

« Elle regarde Mr. Freeman, dit Abra. On devrait y aller. »

Il ouvrit les portes-fenêtres, mais hésita. Quelque chose dans sa voix. « Qu’est-ce qui ne va pas, Abra ?

— Je sais pas. Peut-être rien, mais j’aime pas ça. Elle le regarde vraiment durement. Il faut qu’on y aille tout de suite.

— Je dois d’abord faire quelque chose. Tâche de te tenir prête, et n’aie pas peur. »

Dan ferma les yeux et se rendit dans la réserve au fond de son esprit. Des coffres-forts réels auraient été couverts de poussière après toutes ces années, mais les deux qu’il y avait rangés quand il était petit étaient aussi intacts qu’au premier jour. Et pourquoi pas ? Ils étaient faits de pure imagination. Le troisième — le tout nouveau — était nimbé d’une fine aura et Dan pensa: Pas étonnant que je sois malade.

Mais peu importe. Celui-là devrait patienter encore un peu. Dan ouvrit le plus ancien des deux autres, s’attendant à tout, et ne trouva… rien. Ou presque rien. Dans le coffre-fort qui, durant trente-deux ans, avait contenu Mrs. Massey, ne restait qu’un tas de cendres brunes. Mais dans l’autre…

Il s’aperçut trop tard combien il avait été stupide de lui dire de ne pas avoir peur.

Abra poussa un cri strident.

10

Sur le perron de derrière de la maison d’Anniston, Abra commença à convulser. Ses jambes étaient parcourues de spasmes ; ses pieds battaient le tambour sur les marches ; une main — agitée de soubresauts comme un poisson agonisant sur la berge — expédia dans les airs le malheureux Pippo dépenaillé.

« Qu’est-ce qui se passe ?  » hurla Lucy.